La Panthère Rose

De Blake Edwards, 1963

Il n’est pas aisé de saisir le principe quasi-alchimique qui donne naissance au casting parfait. Lorsque l’américain Blake Edward se dit qu’il retournerait bien à quelque chose de plus burlesque, après le grand succès de Breakfast at Tiffany’s (Diamant sur canapé, 1961, adapté d’une nouvelle de Truman Capote avec Audrey Hepburn en vedette), il se dit qu’il tournerait bien l’histoire rocambolesque d’un dandy anglais, dont le flegme n’a d’égal que son succès auprès des dames, qui s’amuse à jouer les cambrioleurs de haut-vol sous l’identité du Fantôme. Un hommage appuyé à l’Arsène Lupin de Maurice Leblanc, en somme.

Et Blake Edwards de convoquer tout l’exotisme classieux de ce début des années 60. Le héros, incarné par un David Niven souriant, charmeur et moustachu, tentera de séduire une magnifique princesse indienne (jouée par la très belle Claudia Cardinale) dans une station de ski transalpine. Car le ski alpin, c’est chic, à l’heure où Aspen commence à attirer la middle-class bourgeoise américaine, surtout si l’on y ajoute le charme désuet et un peu décadent de la vielle Europe. Ajouter à cela quelques plans de Rome et Paris et vous aurez la panoplie complète du « voyage d’Europe » de l’américain éduqué.

La Panthère Rose aurait pu se réduire à cela : un beau voyage exotique, mettant en scène un bandit au grand cœur dans une histoire volontiers excessive et, souvent, convenue. La misogynie latente, où les femmes sont de beaux trophées ou de faibles instruments, par exemple, est très typique d’un certain cinéma populaire de cette époque. Bien que plus actives, elles n’en ont pas moins le rôle de potiche dans lequel la saga James Bond, débutée l’année précédente sur grand écran, allait l’enfermer. Et nous aurions eu là un gentil film de monte-en-l’air, de tire-laine fantasque qui serait probablement tombé peu à peu dans l’oubli, comme nombre de comédies légères sorties en ces années là.

Mais non. Car les astres, en cette année 1963, s’alignèrent. Quelqu’un eu la bonne idée d’intégrer un personnage d’enquêteur/policier français un peu gauche dans cette histoire, prétexte à créer un triangle amoureux en la femme dudit inspecteur et le fameux Fantôme. Et c’est là que le trait de génie du directeur de casting tomba : pourquoi ne pas engager Peter Sellers, le caméléon anglais, pour jouer ce rôle ? Sellers, le prototype du clown triste (sa vraie vie ne fut pas bien jojo), endosser dès lors l’imperméable gris du policier des films noir. Et sa présence remplit l’écran : à chacune de ses apparition, il vole la scène par ses gaucheries et ses maladresses. S’il n’est pas encore le fou excessif qu’il incarnera dans les nombreuses suites de la Panthère Rose, Peter Sellers incarne ici un inspecteur Clouseau toujours à la limite. Même si ce personnage n’est sans doute pas le plus fin des limiers, l’inspecteur Clouseau est encore, dans ce premier opus, un policier relativement normal, même s’il est profondément maladroit. Et Sellers s’en donne à cœur joie : l’humour slapstick est assuré dans chaque plan. Il est constamment conscient et énervé de sa propre maladresse, du léger décalage entre sa volonté et ses actes qui rend chacune de ces actions forcément drôle car systématiquement à côté de la plaque.

Il volera d’ailleurs tellement la vedette dans le film que les nombreuses suites lui seront presque exclusivement consacrée. S’il n’est pas encore assisté par l’inénarrable Kato et qu’il ne répond pas encore aux ordre de Dreyfuss (les deux autres personnages comiques emblématiques de la série), Clouseau/Sellers parasite déjà tellement La Panthère Rose qu’on en oublie aisément l’aimable film qu’il aurait été sans lui. C’est le premier coup d’éclat international de Sellers, qui sera confirmé par la suite dans les deux premières suites de la Panthère (les suivantes tombant probablement par trop dans l’excès et la répétition), dans le légendaire The Party, ou encore dans les plus sérieux Docteur Folamour et Lolita (du grand Kubrick).

Enfant, La Panthère Rose était l’opus que j’aimais le moins de la saga, puisqu’il en était aussi le moins drôle, le plus convenu. Je riais davantage de bon cœur aux idioties de Clouseau, Dreyfuss et Kato dans Quand l’Inspecteur s’en mêle, Le Retour de la Panthère Rose ou encore Quand la Panthère Rose s’en mêle. Et, aujourd’hui encore, ces fantastiques exemples du non-sense anglo-saxon surpasse largement le premier film qui a, il faut le dire, un peu vieilli dans son propos et son décorum suranné. Il n’en demeure pas moins que c’est dans ce premier film que les gimmicks du légendaire Clouseau s’exprimeront la première fois et, certainement, avec plus de légèreté et de subtilité que dans les suites. Un classique à découvrir ou redécouvrir sans hésitation.

PS: ajoutez à cela l’inoubliable thème musical de Henri Mancini et le choix d’avoir animé le générique et vous avez une référence que tout le monde connait. Attention, cependant, si cet article à moitié nostalgique vous a donné envie de vous replonger dans la série, veillez surtout à évitez les trois derniers opus (le diptique A la recherche de la Panthère rose et L’Héritier de la Panthère rose, essentiellement composés de scènes des 5 premiers, puisque Sellers est mort assez vite pendant le tournage, et Le Fils de la Panthère rose, où l’on constatera que Roberto Begnigni n’est pas Peter Sellers – et je ne vous ferais bien sûr pas l’insulte de vous parler du remake de 2006 avec Steve Martin dans le rôle titre…)

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