Dix jours avant la fin du monde

De Manon Fargetton, 2018.

Surtout connue dans le petit monde de la littérature de genre pour Les Illusions de Sav-Loar, sorti il y a quelques années chez Bragelonne, Manon Fargetton est une autrice active depuis déjà pas mal d’années dans des genres différents (fantasy, SF, tranche de vie, etc.) Surtout active dans la littérature jeunesse et adolescente, ce Dix jours avant la fin du monde semble trancher un peu de sa production habituelle, même si le roman fut dans un premier temps publié chez Gallimard Jeunesse. Choix assez étrange, tant les thématiques traitées par le roman s’éloignent un peu des canons du genre. Je peux cependant saisir que le bouquin vise un public d’ados, pour plusieurs raisons qu’on va développer ci-après. J’ai pour ma part lu le livre chez Folio SF, collection à laquelle je reste assez fidèle depuis ces débuts en l’an 2000 et dont je suis rarement déçu des choix éditoriaux. Ce n’est pas la première fois qu’ils republient dans une collection « adultes » des romans destinés initialement à la jeunesse (l’excellente trilogie A la croisée des mondes, de Philip Pullman, la moins inspirée mais agréable trilogie du Chaos en marche, de Partick Ness, etc.), mais ce n’est pas la raison qui me l’a fait sortir de ma PAL. La raison est assez simple : ça fait longtemps que je n’avais plus lu de postapocalyptique français.

Enfin, postapocalyptique, ce n’est pas tout à fait vrai. Comme le titre le laisse entendre, on est davantage dans du « pré-apocalyptique« , pour autant que la locution existe bel et bien. En résumé, dès l’entame du roman, la Terre se retrouve à saisir des fronts d’explosions, dont la provenance n’est jamais expliquée ni justifiée qui annihilent toute vie sur son passage. Ces explosions, débutant quelque part en Extrême-Orient (voir dans le Pacifique), progressent comme des vagues tant vers l’Est que vers l’Ouest. Leur point de rencontre se situe quelque part sur la côte atlantique européenne, à quelques miles marins des rivages normands et bretons. Ce déclencheur narratif nous est conté à travers le point de vue d’une demi-douzaine de personnages qui, au départ du roman, n’ont que des liens distants, quand ils en ont (deux sont voisins, d’autres sont collègues, un chauffeur de taxi vient s’ajouter, etc.) Tout ce petit monde, après le choc initial, va décider de tenter de survivre le plus longtemps possible en se dirigeant depuis Paris vers la côte en question, dans un contexte où la civilisation s’écroule petit à petit autours d’eux (fin des télécommunications, approvisionnement en eau, en nourriture, en carburant, etc.) Après un rapide calcul, ils arrivent à la conclusion qu’ils ont dix jours devant eux. Dix jours avant la fin du monde.

Sous le prétexte de cette apocalypse imminente, les différents protagonistes vont se dévoiler au fil des pages, essayant de résoudre les conflits intérieurs qui les occupent, de faire la paix avec leurs proches (s’ils sont encore vivants) et, surtout, avec eux-mêmes. Je ne pense pas utile de développer davantage l’intrigue ni les différents protagonistes dans ce court résumé, pour vous préserver des spoilers mais, surtout… parce que la personnalité des uns et des autres devient déjà un peu brumeuse dans ma tête, malgré le fait que je n’ai fini le livre qu’il y a quelques jours. C’est un peu le problème du bouquin à mes yeux : si l’autrice a tenté de donner des personnalités et des blessures intimes différentes à chacun de ses protagonistes, je ne peux pas m’empêcher de les confondre les uns avec les autres. Est-ce la paresse intellectuelle de ma part ? Peut-être. Ou est-ce simplement le fait que ces blessures intimes et ces trajectoires individuelles sonnent davantage comme des atermoiements adolescents qu’à de vrais préoccupations d’adultes qui seraient confrontés à pareille situation. Je ne peux m’empêcher de penser à ces séries pour ados produites à la chaîne par Netflix et consorts. Si les thématiques sont sérieuses (le viol, le deuil, le déracinement, etc.), elles sont traitées de manière tellement convenue que les émotions qu’elles provoquent sont finalement interchangeables.

Le bouquin m’est d’ailleurs un peu tombé des mains dans son deuxième acte. La premier acte, l’élément déclencheur, est traité avec suffisamment de subtilité pour provoquer l’intérêt et lorsque les protagonistes entrent en scène, leurs traumas sont encore inconnus et ils ne sont donc pas encore réduits à leurs fonctions narratives. Le dernier acte, la résolution, si elle est par moment convenue, est suffisamment soutenue par un crescendo scénaristique que pour tenir en haleine le lecteur. C’est le ventre mou du bouquin, les 200 pages de développement après le premier acte, correspondant grossièrement au voyage des protagonistes vers l’Ouest et leur installation sur la côte atlantique française, qui m’ont fait sortir de l’intrigue. Peut-être suis-je trop vieux pour trouver un intérêt dans ces développements individuels simplistes, ou peut-être suis-je lassé d’un cahier des charges des messages « humanistes » de la littérature ado auquel Manon Fargetton répond parfaitement. Le bouquin a du coup peu d’aspérités, peu de fulgurances qui en feront une lecture inoubliable. Sans doute l’avis d’un jeune lecteur ou d’une jeune lectrice qui serait ici confronté à son premier bouquin de SF apocalyptique serait différent et plus enthousiaste. Pour le vieux renard que je suis, les ficelles sont un peu grosses et les surprises trop peu présentes pour en faire une lecture réellement digne d’intérêt. La plume de Fargetton est cependant agréable et elle a quelques bonnes idées : le récit dans le récit, par exemple, né d’un personnage écrivain qui trouve son inspiration, presque surnaturellement, dans ces évènements cataclysmiques, offre une parenthèse bienvenue dans le récit linéaire des évènements. Je réserve donc mon avis sur Manon Fargetton comme écrivaine et regrette simplement d’avoir fait sa connaissance à travers un roman trop convenu pour être réellement intéressant.

Rebel Moon: Part Two – The Scargiver

De Zack Snyder, 2024.

Je sais bien que j’ai dit de ne pas perdre son temps à regarder le premier il y a déjà quelques mois dans ces colonnes et il peut donc sembler étrange que je chronique tout de même le second. Est-ce du stakhanovisme ? Du masochisme ? Une recherche un peu putaclic de rester dans l’actualité ? Non, rien de cela. J’avais simplement le secret espoir, sans trop d’enthousiasme malgré tout, que Snyder allait pouvoir déployer un peu plus d’ambition dans un second opus qui ne perdrait pas son temps à exposer ses personnages principaux. Je n’espérais pas un film parfait, car je ne pense pas que Snyder ait jamais réalisé un film parfait, mais j’espérais cependant quelque chose de plus grand, un souffle d’épique caché sous une averse de ralentis et de gimmicks de réalisation lourdingues.

Et je fus bien sûr déçu, comme on pouvait s’y attendre. Comme je m’y attendais moi-même, si on est un tout petit peu honnête. Que dire qui n’a pas déjà écrit un peu partout sur Internet entretemps ? Bien sûr, les longueurs inexplicables des deux premiers tiers, essentielles consacrées à la récolte du blé sur la petite lune qui servait de décors au premier opus, frisent le ridicule. Bien sûr, la maigreur du développement des personnages secondaire oblitère tout impact émotionnel quand l’un d’eux décède. Bien sûr, la fascination de Snyder pour ses nouvelles focales fait que pratiquement aucun plan du film n’est agréable à regarder, miner par des flous constants et embarrassants qui rendent tout le travail de design sur les décors inutile. Bien sûr, le scénario, qui emprunte peut-être encore plus largement à Star Wars et à un salmigondis de références SF mal digéré, frise le degré zéro de l’intérêt alors que je fais à priori partie d’un public de convaincus à la cause.

Tout cela n’est pas nouveau, ni inattendu. Non, ce qui me chagrine particulièrement tient essentiellement à deux choses. D’abord, malgré un budget conséquent, on reste dans une production de type « plate-forme« . Si Netflix et les autres sont devenus au fil des dix dernières années le bon canal de production/distribution pour un certain type de cinéma d’auteur, ils montrent leur limite avec le cinéma grand public. Comprenons-nous bien : je ne dis en aucune manière que Netflix et consorts se sont tout d’un coup trouvé une âme de cinéphiles. Quand ils produisent du cinéma que l’on pourrait appeler « d’auteurs« , c’est pour se donner une bonne image lors de la saison des prix, sachant que les œuvres ainsi produites restent au maximum quelques jours en tête de gondole lorsque vous ouvrez votre application, pour rapidement tomber dans les profondeurs d’un algorithme qui favorisera toujours le dernier blockbuster insipide écrit par une a.i. en mal d’inspiration, façon Adam Project ou Red Notice. Car Neflix veut surtout satisfaire le plus grand nombre avec un contenu aseptisé, facile à digérer, facile à oublier. Du Rebel Moon, en somme. Une grosse production (à l’échelle d’une plate-forme), vendue à grand renfort de « nous avons laissé carte-blanche au réalisateur« , alors même que celui-ci est devenu tellement formaté qu’il n’imaginerait même plus sortir d’un cadre de référence qui ne laisse aucune place à l’œuvre, mais fonctionne en termes de produits.

Et c’est mon second problème : même son réalisateur considère Rebel Moon comme un produit. Dès le départ, il nous explique à force d’interviews que le « vrai » film sera la version longue qui sortira en exclusivité dans quelques mois, dont la double promesse est « plus de sexe, plus de violence« . Quel est donc l’objet que Netflix nous sert alors avec de deuxième opus inachevé ? Une version facilement digeste ? Qui passe la censure internationale des nouveaux marchés que sont la Chine ou le Proche-Orient ? Une forme d’industrialisation de la fameuse scène d’embrassade lesbienne du Star Wars 9, formatée pour être coupée pour les marchés « frileux » auxquels Disney accorde tout son crédit ? Le fossoyeur de film, aka François Theurel s’est récemment associé au Marty de la Séance de Marty pour livrer un dytique sur « le cinéma, c’était mieux avant« . Au-delà du fait qu’il s’agit sans doute de l’un des meilleurs documentaires sur l’évolution du cinéma des 20 dernières années, sur le fond comme sur la forme, et au risque de passer pour un vieux con, je dois admettre qu’ils ont raison. Le « bon » cinéma, ou plutôt le cinéma intéressant, existe toujours. Et il est sans doute plus accessible qu’il ne l’a jamais été dans les back-catalogues de toutes nos laiteries digitales que sont les plateformes de SVOD. Mais il ne faut pas se leurrer : ces mêmes plates-formes ne cherchent pas à développer un art qui arrive en fin de cycle, elles cherchent seulement à développer une industrie dont elles pourront tirer profit jusqu’à la dernière goutte. Il est temps de redevenir sélectif et de réinvestir dans les créateurs en allant au cinéma ou en achetant dans le commerce les supports physiques des œuvres qui vous parlent. Cela ne doit pas forcément être un film ouzbèques sur la culture du pavot au XVIII, mais bien une démarche sincère, même lorsqu’il s’agit de produire un honnête divertissement.

Et Snyder et Netflix ne visent aucunement cela. Ils nous servent simplement un produit aseptisé, dont tous le angles ont été arrondis. Une sorte de fast-food de luxe. Un resto de burgers où des barbus musclés et souriants (comme le barista de chez Starbucks) vous servent un « bête » cheeseburger à 29,99€. Même avec un bel emballage dont le marketing est super bien réfléchi, cela reste de la malbouffe. Si l’on résume, non seulement Rebel Moon, partie 2, est oubliable (et déjà en grand partie oublié), mais il incarne sans doute mieux que l’ensemble des autres productions de plate-forme le cynisme commercial de ces boîtes et leurs « créateurs » qui ne visent qu’à livrer des produits simples et prémâchés à des segments de publics toujours davantage réduits et ciblés en fonction de leurs hauts revenus (comprendre : les geeks sont devenus maîtres du monde !). Demeure une lueur d’espoir : le public, aussi segmenté soit-il, commence doucement à se rendre compte de ce formatage limitatif. Le premier volet, vendu avec une campagne de pub rarement vu pour des plateformes de streaming, n’a pas marché. Et le second volet est sorti dans l’indifférence générale, même plus mis en avant par Netflix. Ce qui signifie sans doute que les futurs plans de Snyder pour en faire encore trois-quatre derrière (ah ! le fantasme absolu des « cinématic universe » !) se verra sans doute traduit dans une série télé annulée après une saison ou dans une série de comics confidentiels. Et c’est sans doute pour un mieux. Entretemps, il nous reste deux longs métrages qui s’inscriront dans doute dans l’histoire du cinéma comme le parangon de la médiocrité et du manque de courage d’un certain cinéma des années 2020. L’exemple poussé à l’extrême du fameux distinguo des frères Russo : « In New-York, they make motion pictures, here in hollywood, we make movies« . Or garbage.

A Scanner Darkly

De Richard Linklater, 2006.

Dans la catégorie des adaptations de romans et nouvelles de Philip K. Dick, j’évoque aujourd’hui sans doute l’une des moins connues du grand public. A côté de mastodontes auréolés de l’étiquette de film culte que sont Blade Runner, Minority Report ou Total Recall, A Scanner Darkly fait office de petit poucet. Adapté du roman éponyme de Dick (traduit en français sous le titre de « Substance Mort« ), A Scanner Darky s’apparente davantage au film d’auteur qu’au gros blockbuster hollywoodien. C’est d’ailleurs moins un film de science-fiction qu’un film d’anticipation. Ajoutez à cela le fait que ce n’est pas un film live, mais bien un film d’animation en rotoscopie basée sur des prises de vue réelle et vous avez en fait un film relativement inclassable. Qui n’a, malheureusement, pas rencontré son public, ni en salle ni après.

Pourtant, Richard Linklater n’est pas un manche. Et en 2006, ce n’était pas un inconnu au bataillon : c’était déjà l’homme derrière Before Sunrise, Before Sunset, Fast Food Nation ou encore Rock Academy. Un réalisateur qui aime bien les concepts, donc. Et qui poursuivra dans la veine, en signant Boyhood en 2014, le fameux film dont tout le monde se souvient car le tournage s’est étalé sur douze années successives, pour suivre la croissance du gamin qui tient le rôle-titre (le film en lui-même comme objet cinématographique n’étant pas spécialement resté dans les mémoires). En plus, Linklater, pour son deuxième film d’animation en rotoscopie (il maîtrisait donc bien la technique/le concept) a pu compter sur un casting de ouf sur A Scanner Darkly : le rôle principal échouant à Keanu Reeves, déjà un superstar à l’époque qui nous livre ici une performance égale à ce qu’il sait faire, et les rôles secondaire dévolus à Robert Downey Jr. (alors au tout début de sa deuxième carrière, tout juste auréolé du succès de Kiss Kiss Bang Bang), Woody Harrelson, Rory Cochrane ou encore Winona Ryder. Que du bon, donc.

Mais qu’est-ce qui n’a pas marché alors ? La rotoscopie en elle-même, qui depuis les essais de Ralph Bakshi sur le Seigneur des Anneaux dans les années 70 n’a jamais réellement trouvé sa place dans l’imaginaire collectif ? Un récit finalement très intimiste, plus proche du huis-clos angoissant que du grand spectacle auquel les adaptations de SF US nous a habité au fil des ans ? Ou encore la thématique du film, qui le rend plus proche d’un Las Vegas Parano que d’un blockbuster ? Ou son rythme très particulier et son développement assez lent ? Sans doute un peu de tout à la fois.

Keanu Reeves y interprète en effet avec brio le personnage de Bob Arctor, un flic infiltré chargé … de se surveiller lui-même ! Infiltré dans une bande de losers drogués jusqu’aux yeux pour comprendre la filière d’approvisionnement d’une nouvelle drogue qui fait des ravages, Bob héberge dans sa maison de banlieue lambda le fantasque James Barris (Robert Downey Jr.) et le perché Ernie Luckman (Woody Harrelson), squatteurs paranos et grands consommateurs. Viennent s’y ajouter Freck (Rory Cochrane), constamment en bad trip, et sa petite amie Donna (Winona Ryder), instable psychologiquement qui refuse pour une raison non-explicitée les contacts physiques.

Bob, afin de jouer son rôle d’infiltré au mieux, commence lui-aussi à consommer cette nouvelle drogue, la Substance D (Substance Mort dans la VF du roman), ajoutant à son mal-être et à son insatisfaction sexuelle les méfaits d’une substance destructrice. Et quand James vient le dénoncer chez les stups comme étant le baron local dudit trafic, le film vire carrément à l’absurde, où les réalités se mélangent dans un grand pot-pourri de camé qui s’enfonce dans les méandres de sa propre psyché malade. On est donc en plein dans du K. Dick, à n’en pas douter. Lui-même, comme ses innombrables bio le confirment, était assez versé dans les psychotropes divers et variés qui, s’ils peuvent étendre l’imagination, ont quand même quelques légers effets secondaires dommageables pour le cerveau humain… D’aucun n’hésitent pas à affirmer, du coup, que ce Scanner Darkly est l’un des récits les plus personnels de K. Dick, prétextant quelques fulgurances anticipatives (le « costume » changeant aux multiples visages changeant en permanence est devenu une réalité entre temps, avec les fameux masques taïwanais qui trompent les caméras de surveillance chinoises en rendant impossible la reconnaissance faciale utilisé lors des grandes manifestations contre le pouvoir), travestit sous la forme d’une histoire assez simple et courte ses propres penchants pour l’autodestruction et la paranoïa aiguë (rappelons que K. Dick était en effet persuadé d’avoir été surveillé par le gouvernement américain, sans que l’on ait jamais su démontré si cela était vrai ou non).

Linklater livre quant à lui sa version du roman de Dick. Aussi colorée que pessimiste, servie par des acteurs au mieux de leur forme, ce long métrage d’animation peut aussi se vivre comme un trip sous acide. La litanie continue délirante de James, dans laquelle on peut repérer les prémices du Holmes interprété par Dwoney Jr. quelques années plus tard, endors littéralement le spectateur dans des fausses pistes et dans une complexité artificielle. La conclusion du récit, aussi expéditive et déprimante que bizarrement porteuse d’espoir, ne font que confirmer le message du film : il FAUT se méfier des autres, des apparences, des paradis artificiels qui ne font que toujours davantage vous isoler. Un film qui se prétend compliqué pour mieux camoufler sa morale simple. Alternativement, une descente aux enfers qui laisse peu d’espoir dans l’humanité. Ou encore une comédie over-the-top où quelques comédiens en roue libre s’amuse à forcer le trait car ils se savent filmés pour mieux ensuite être dessinés. A vous de déterminer quelle version vous voulez voir.

Rebel Moon: Part One – A Child of Fire

De Zack Snyder, 2023.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours défendu Zack Snyder. Depuis l’inénarrable 300 à Justice League (la Synder cut, off course), en passant par Watchmen, Man of Steel ou même Sucker Punch, il y a toujours quelque chose à sauver dans ses films. Si l’utilisation abusive des ralentis, si la coolitude volontaire de certaines scènes et si des personnages totalement over-the-top (Lex Luthor, on pense à toi) ne vous dérange pas, alors Snyder est le fantasme de tous les geeks : il a mis en image ses passions, toutes issues de la culture comics. Du coup, on était tous prêt à lui pardonner beaucoup de chose, même des adaptations spectaculaires mais qui ne rendent pas complètement justice aux œuvres de Frank Miller, d’Alan Moore ou aux multiples itérations de l’homme de Gotham.

Il s’était déjà laisser aller à réaliser un projet plus personnel, avec Sucker Punch, dont il était l’auteur principal du scénario (retravaillé ensuite avec Steve Shibuya). Le film, dont je parlerai peut-être un jour ici tant il m’avait marqué à l’époque, était lui aussi bancal : mais il y avait une certaine grandeur, une certaine aspiration qui se dégageait de l’ensemble. Une volonté de filmer une jeune asiatique dans un mécha rose bonbon qui flingue littéralement des nazis zombies dans des tranchées d’une imaginaire première guerre mondiale. Et de filmer ça le plus sérieusement du monde. Le tout servi par un casting impeccable (même si l’actrice principale en est ressortie traumatisée) et une bande son d’enfer.

Vous comprendrez dès lors mes attentes à l’annonce du premier volet d’un dyptique de science-fiction, produit par Netflix et basé sur un scénario original (chose de plus en plus rare dans le Hollywood actuel, exception faite des plates-formes de distribution). Et l’ampleur de ma déception. On sentait déjà avec Batman vs. Superman et The Justice League que le brave Snyder commençait à s’essouffler un peu, sans doute perdu face à l’ampleur de la tâche (vouloir adapter plusieurs séries de comics en même temps dans deux films syncrétiques relevait en effet de la gageure et perdait le spectateur en commettant le péché originel de toute adaptation : oublier qu’on a une histoire à raconter et des personnages à développer).

Le constat est amer : non seulement Snyder s’essouffle, mais il vraisemblable qu’il n’ait plus grand chose à offrir, si on en juge par ce premier volet de Rebel Moon. Je vous fais le résumé en quelques lignes : une jeune femme travaille la terre dans un petit village paysan de ce qui semble être une lune agricole d’une grande planète aux confins de la galaxie. Elle est effrayée lorsqu’elle voit débarquer au-dessus de son village d’adoption un vaisseau amiral du Monde-Mère (l’Empire, pour faire simple) à la recherche des rebelles qui ont assassiné l’ancien Roi de la galaxie. Ce dernier, apparemment belliqueux, est remplacé par un régent issu des rangs de l’armée et qui semble encore plus agressif. Lorsque les troupes du Monde-Mère débarque sur la charmante lune agricole, la situation s’envenime assez vite et la jeune réfugiée, Kora, se retrouve bien vite à mener… il faut bien le dire, une rébellion (si, si, je vous assure). Elle n’aura alors de cesse de chercher des alliés pour enfin ramener la paix dans la galaxie et la facilité pour son village d’adoption.

Heu… Comment dire… Star Wars, quelqu’un ? Enfin, le Star Wars de chez Wish. Car si j’ai bien un reproche à faire à ce film, c’est son côté cheap. Et c’est avec ça qu’on se rend compte que les plateformes de distribution, à l’instar ici de Netflix, n’ont pas les mêmes moyens que les grands studios américains et ne les auront sans doute jamais. D’où ces films au rabais. Je préfère vous prévenir ; je vais spoiler allègrement le film dans la suite de cet article, car, honnêtement, je vous déconseille de perdre deux heures de votre vie devant Rebel Moon et j’espère que ce texte aidera à vous en convaincre. La scène la plus emblématique de cet aspect fauché est pour moi la scène de résolution finale : alors que les dix gentils se sont fait arrêtés, il y a genre cinq pauvres soldats méchants qui traînent sur la rampe de lancement et qui échangent trois coups de pisto-lasers quand les gentils finissent, forcément, par s’échappé. Et du grand vaisseau amiral des méchants (le Star Destroyer du pauvre, encore une fois), on ne voit qu’une bête tourelle qui attaque les chasseurs des alliés des héros avant d’être la cause, par on ne sait quel truchement, de la destruction du Star Destroyer dans son ensemble. Et ça se finit par un duel sur une petite plateforme volante entre la gentille héroïne et le méchant du film (le second couteau du grand méchant qui sera évidemment là dans le deuxième volet) : un remake de la scène de fin de GoldenEye ou encore de Rogue One, mais avec moins d’intensité, moins d’éclat, moins d’enjeux et moins de brio. Snyder n’a même pas pu se résoudre à tuer le méchant de l’épisode, qui reviendra donc nous emmerder dans le second chapitre.

Et ce patchwork d’influences caractérise en fait tout le film : le groupe des héros récupère Djimon Honsou à côté d’un Colisée galactique tellement inspiré de Gladiator que cela en devient navrant (Djimon Honsou jouant dans Gladiator, pour rappel) ; Staz Nair joue un personnage à mi-chemin entre Conan et John Carter from Mars ; Bae-Doo Na joue un archétype de samouraï asiatique au grand cœur (avec sabre laser, s’il vous plaît !); Charlie Hunnam, laisser en roue libre, devient une caricature de ses rôles dans les Guy Ritchie malgré le fait qu’il essaie d’imiter Hans Solo, etc. etc.

Les quelques fulgurances du film, comme la scène d’intro de Némésis (Bae-Doo Na) où elle lutte contre une femme-araignée directement copiée sur le design de Lolth, la déesse drow des Royaumes-Oubliés, ou encore le retournement de situation quand on se rend compte que le personnage de Hunnam est en fait un méchant, sont bien vite gâchées. Ce qui pourrait passer pour de belles idées cache en fait des facilités d’écriture qui ne développent ni l’intrigue ni les personnages. La mort du personnage de Hunnam, qui intervient quelques secondes après la révélation de son retournement de veste, est parfaitement ridicule, pratiquement digne de la mort de Marion Cotillard dans The Dark Knight Returns

Et je pourrais continuer les exemples à l’infini. L’essentiel est que ce patchwork d’influences, ce pot-pourri d’inspirations geeks oublie tout simplement d’avoir une histoire intéressante ou un quelconque développement de personnages. Les péripéties s’enchaînent sans vraiment de lien entre eux. Les quelques flashbacks sonnent creux. La collection de « héros » ne présente aucun lien entre eux et le spectateur est tout à fait en droit de se demander pourquoi ils se retrouvent embarquer dans la même histoire, au-delà d’un simple ressenti contre le Monde-mère.

C’est nul, voilà tout ce qu’il faut retenir. A la veille d’une année où les films attendus sont le deuxième Dune (la suite d’un remake), le nouveau Ghostbuster (la suite d’un reboot), Godzilla x Kong (la suite d’un reboot), Kingdom of the Planet of the Apes (le début de la deuxième trilogie d’un reboot) ou Mad-Max Furiosa (le prequel d’un reboot), on pouvait espérer quelque chose d’un scénario original, du début d’une nouvelle franchise. Les mauvaises langues diront qu’au moins on en a fini avec les Marvel à répétition, mais il n’en demeure pas moins que cela dit quelque chose sur le cinéma actuel : l’idée est de prendre le moins de risque possible, quoi qu’il arrive. Et même une plateforme qui n’a pas les mêmes impératifs, avec un grand réalisateur geek et un scénario inédit n’y arrivent pas : n’étant ni le remake, ni le reboot, ni la suite, ni le prequel de quelque chose, Rebel Moon réussi l’exploit de proposer encore moins que ces concurrents potentiels. Et la promesse d’un « Snyder-cut » ne peut pas sauver le bouzin : c’est devenu un gimmick commercial. Si un réalisateur n’est plus fichu de présenter la bonne version du premier coup, alors qu’il ne propose simplement pas cette première version. Il a perdu son mojo. L’ampleur présente dans ses échecs précédents, l’intention louable, est ici disparue. Reste un navet, même pas un nanard. Amis de la science-fiction intelligente, passez votre chemin : il n’y a rien à voir.

Le guide de la SF et de la Fantasy

De Karine Gobled, 2017.

ActuSF, depuis quelques années, a publié nombre de petits guide relatifs aux littératures de genre, soit sous forme de monographie d’auteur (Lovecraft, K. Dick, Tolkien, Stephen King, Howardvolume déjà abordé ici -, etc.), soit sous forme de guide plus généraux relatifs à un courant particulier (l’uchronie, le steampunk, etc.) Ce guide-ci, par son ambition très large, puisqu’il vise à être une porte d’entrée pour toute la SF et toute la Fantasy, sort un peu du lot.

Karine Gobled, également connue sous le pseudo de Lhisbei quand elle écrit sur le blog du répertoire de la science-fiction, prend donc la plume avec une très grande ambition : nous ouvrir aux multiples territoires de la littérature SFFF. Les éditions Folio SF, de leur côté, avaient choisi quelques années auparavant de traduire cette ambition en plusieurs ouvrages (notamment un sur la fantasy et un sur la SF), peut-être de manière plus sage face à l’ampleur de la tâche. Pourtant Gobled prend clairement son courage à deux mains et se lance dans l’ouvrage qui répond à un cahier des charges très précis établi par les éditions ActuSF : après une courte introduction, il faut aborder son sujet à travers une courte liste d’idées reçues à pourfendre pour attirer le lecteur curieux vers un nouveau genre et poursuivre par des chapitres sur chaque genre et sous-genre en y détaillant les caractéristiques principales et en y insérant une liste d’œuvres phares ainsi que des conseils de lecture si l’on a apprécié tel ou tel bouquin. Gobled conclut également son livre par quelques interviews (des auteurs, des responsables de festivals de SFFF, des universitaires qui traitent la matière, etc.) ainsi que par quelques courts chapitres sur les éditeurs français du secteur et sur les prix littéraires, notamment.

L’ensemble du guide est plutôt plaisant à lire et bien écrit, Gobled ayant manifestement des facilités d’écriture et le sens de la formule. Pourtant le lecteur averti ne peut sans doute que rester sur sa faim. Si, contrairement à Apophis, dont il est notoirement connu qu’il est très exigeant et détailliste sur les sous-genres de la SFFF (sa taxonomie, pour aussi riche qu’elle soit, m’a toujours légèrement ennuyée : ajouter des sous-cases dans des cases n’aide pas à s’ouvrir à un genre, je le crains), je n’accorde que peu d’importance aux imprécisions qui émaillent l’ouvrage de ci de là, car elles n’ont à mes yeux qu’une importance mineure pour un lecteur curieux qui voudrait se renseigner avant de se lancer dans la SFFF, je suis par contre plus dubitatif sur certains accents mis en avant par Gobled.

Le principe d’un guide limité est par définition frustrant : certains textes que l’on considère (ou que la majorité considère) comme des références ne s’y trouvent pas. Et cela nous choque forcément, quand on défend ses goûts et que l’on se veut un minimum prosélyte. Mais ceci est de bonne guerre : d’un individu à l’autre, les choix diffèrent et nous sommes condamnés à l’accepter, voire à nous en réjouir car cela ne fait que démontrer la pluralité d’avis dont notre société actuelle semble souvent faire défaut. Malgré ces quelques phrases convenues, je trouve particulièrement gênant que Gobled insiste énormément sur l’uchronie (elle est également la co-autrice du Guide de l’uchronie, toujours chez ActuSF), la mettant à toutes les sauces dans les différents chapitres et laissant accroire au lecteur inattentif qu’il s’agit vraiment là d’un courant qui est pratiquement devenu majoritaire. Ce qui n’est pourtant pas le cas.

Je suis également partagé sur le choix de certaines références : bien qu’il soit agréable de mettre en avant certains auteurs français contemporains comme des références et que cela évite ainsi une énième énumération de la liste des auteurs anglo-saxons immanquables que l’on peut trouver partout sur le web, les mettre en avant revient également à « oublier » certains auteurs majeurs de l’histoire du genre, à l’instar de Gay Gavriel Kay ou de Glenn Cook (pourtant également très connus sous nos latitudes). Ou encore de toutes les autres nationalités possibles et imaginables ! Je suis également un peu chagriné sur le fait que Lovecraft se retrouve tout d’un coup à nouveau classé en Dark Fantasy, selon le vieux vocable de Presses Pocket, alors même que le genre de la Dark Fantasy tel qu’on l’entend actuellement représente tout à fait autre chose (Glenn Cook, à nouveau, mais aussi Scott Lynch, R.R. Martin et d’autres).

Au-delà de ces débats qui peuvent passer pour des débats de chapelle aux yeux des néophytes, je crains que le bouquin se noie un peu dans son contenu et perde son lecteur après quelques dizaines de pages, malheureusement, en voulant en même temps trop en mettre et pas assez pour être une vraie porte ouverte. Moi qui suis toujours un grand amateur de livre parlant de livres, sans comprendre réellement pourquoi d’ailleurs, je suis ressorti un peu frustré de la lecteur de ce petit guide. Je ne m’attends plus spécialement à apprendre beaucoup de choses nouvelles quand j’ouvre ce type d’ouvrage, mais je suis toujours heureux de constater qu’ils me donnent envie de lire l’un ou l’autre titre, l’un ou l’autre auteur qui, pour des raisons x ou y, m’ont jusqu’alors échappé. Ce ne fut pourtant pas le cas lorsque je tournais voilà quelques jours la dernière page de ce Guide de la SF et de la Fantasy. Dommage ; une occasion manquée par une ambition probablement trop large et quelques choix hasardeux.