Légion

De Brandon Sanderson, 2012.

legionSanderson est davantage connu pour ses briques (d’Elantris à la trilogie Fils-des-Brumes, en passant par les derniers tomes de la Roue du Temps, après la mort de Robert Jordan). Cependant, comme tout bon auteur de SF/Fantasy qui se respecte, il pratique également l’art de la nouvelle. Ou de la novella, format très anglo-saxon pratique pour les auteurs qui ont du mal à pondre moins de 900 pages pour raconter une histoire. Amusant, d’ailleurs, de constater que pour eux il s’agit de nouvelles alors que pour Amélie Nothomb, par exemple, c’est un roman à part entière.

Mais arrêtons de digresser. Légion, donc. Comme le dit la Bible, citée en exergue : « Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux ». Rien à voir avec le contenu du bouquin, puisque « Légion », aka Stephen Leeds, le personnage principal et héros, est tout sauf une incarnation du démon (dans la Bible, c’est en effet le démon qui prononce ces paroles dans l’Évangile de Marc… vous me suivez ?) Et il n’y a pas que l’exergue choisie en quatrième de couverture par l’éditeur français (Le Livre de Poche, dans son partenariat avec l’anglais Orbit) qui entraîne la confusion. Légion lui-même est assez confus.

En effet, Stephen Leeds souffre d’un mal assez rare : trop intelligent pour être sain, il multiplie les personnalités différentes non dans son esprit, mais autours de lui, pour l’aider dans ses enquêtes. Conscient qu’il s’agit d’illusions que lui seul peut percevoir, ses multiples avatars (de l’ex-marine brute de décoffrage à la gentille graphologue) souffrent chacun, à leur tour, d’une pathologie mentale particulière. Pour être plus explicite, chaque fois que Stephen Leeds doit apprendre une nouvelle compétence, par exemple l’hébreu dans la nouvelle, il invente une nouvelle personnalité vers laquelle il peut décharger cette connaissance particulière et y faire appel quand le besoin s’en fait sentir, sous la forme d’un dialogue imaginaire avec cette personnalité. Vous me suivez toujours ?

Si mes explications sont confuses, heureusement pour nous Sanderson est un auteur doué et il sait emporter son lecteur après quelques pages seulement dans l’histoire qu’il entend raconter. Car, au-delà de son personnage principal-concept, Légion raconte en effet une histoire. Comme Leeds est réputé pour être un homme brillant qui, par l’extraordinaire capacité de son cerveau à envisager un problème par de nombreux aspects en même temps, il est assez naturellement devenu une sorte de « détective de l’étrange ». Et c’est en effet un cas étrange qui l’occupe ici. Il doit retrouver pour le compte d’une société privée un étrange appareil photo qui permet de prendre des instantanés du passé. Son inventeur, un Philippin chrétien, a en effet décidé de s’enfuir avec son invention avant qu’elle ne puisse servir à de mauvaises intentions. Et comme on sait qu’il est chrétien, le lien avec la nécessité d’apprendre l’hébreu pour résoudre l’enquête devient soudain plus clair…

Sanderson est un roublard. Il parvient à mettre en musique une intrigue intéressante, pleine de rebondissements et laissant la part belle aux scènes d’action, et un personnage principal atypique, composé de multiples personnalités toutes moins monolithiques qu’elles ne paraissent au premier abord, en une petite centaine de page. Réussir ce tour de force n’était pas donné à tout le monde. Et il passe le cap avec brio.

Évidemment, on peut regretter qu’il ne laisse pas un peu plus de place à la trame principale. Sanderson ne fait qu’effleurer le potentiel romanesque d’une telle machine. Mais c’est inhérent à la forme choisie et à la difficulté d’introduire un héros aussi complexe et atypique en une quarantaine de pages sur cent, pages qui sont toutes nécessaires pour nous faire comprendre qui il est tout en nous le rendant attachant. Heureusement, Sanderson est, je le répète, un auteur de SF/fantasy américain dans toute sa splendeur (et, donc, sa prévisibilité) : il n’a pas pu s’empêcher d’écrire un deuxième volet des aventures de Légion, dont je parlerai d’ici peu. Histoire de combler quelques zones d’ombres de Stephen Leeds, de son passé et de son fonctionnement. Verdict final : sachant que le tout coûte seulement 5,10 € dans toutes les bonnes librairies, il n’y a pas vraiment à hésiter !

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