A Scanner Darkly

De Richard Linklater, 2006.

Dans la catégorie des adaptations de romans et nouvelles de Philip K. Dick, j’évoque aujourd’hui sans doute l’une des moins connues du grand public. A côté de mastodontes auréolés de l’étiquette de film culte que sont Blade Runner, Minority Report ou Total Recall, A Scanner Darkly fait office de petit poucet. Adapté du roman éponyme de Dick (traduit en français sous le titre de « Substance Mort« ), A Scanner Darky s’apparente davantage au film d’auteur qu’au gros blockbuster hollywoodien. C’est d’ailleurs moins un film de science-fiction qu’un film d’anticipation. Ajoutez à cela le fait que ce n’est pas un film live, mais bien un film d’animation en rotoscopie basée sur des prises de vue réelle et vous avez en fait un film relativement inclassable. Qui n’a, malheureusement, pas rencontré son public, ni en salle ni après.

Pourtant, Richard Linklater n’est pas un manche. Et en 2006, ce n’était pas un inconnu au bataillon : c’était déjà l’homme derrière Before Sunrise, Before Sunset, Fast Food Nation ou encore Rock Academy. Un réalisateur qui aime bien les concepts, donc. Et qui poursuivra dans la veine, en signant Boyhood en 2014, le fameux film dont tout le monde se souvient car le tournage s’est étalé sur douze années successives, pour suivre la croissance du gamin qui tient le rôle-titre (le film en lui-même comme objet cinématographique n’étant pas spécialement resté dans les mémoires). En plus, Linklater, pour son deuxième film d’animation en rotoscopie (il maîtrisait donc bien la technique/le concept) a pu compter sur un casting de ouf sur A Scanner Darkly : le rôle principal échouant à Keanu Reeves, déjà un superstar à l’époque qui nous livre ici une performance égale à ce qu’il sait faire, et les rôles secondaire dévolus à Robert Downey Jr. (alors au tout début de sa deuxième carrière, tout juste auréolé du succès de Kiss Kiss Bang Bang), Woody Harrelson, Rory Cochrane ou encore Winona Ryder. Que du bon, donc.

Mais qu’est-ce qui n’a pas marché alors ? La rotoscopie en elle-même, qui depuis les essais de Ralph Bakshi sur le Seigneur des Anneaux dans les années 70 n’a jamais réellement trouvé sa place dans l’imaginaire collectif ? Un récit finalement très intimiste, plus proche du huis-clos angoissant que du grand spectacle auquel les adaptations de SF US nous a habité au fil des ans ? Ou encore la thématique du film, qui le rend plus proche d’un Las Vegas Parano que d’un blockbuster ? Ou son rythme très particulier et son développement assez lent ? Sans doute un peu de tout à la fois.

Keanu Reeves y interprète en effet avec brio le personnage de Bob Arctor, un flic infiltré chargé … de se surveiller lui-même ! Infiltré dans une bande de losers drogués jusqu’aux yeux pour comprendre la filière d’approvisionnement d’une nouvelle drogue qui fait des ravages, Bob héberge dans sa maison de banlieue lambda le fantasque James Barris (Robert Downey Jr.) et le perché Ernie Luckman (Woody Harrelson), squatteurs paranos et grands consommateurs. Viennent s’y ajouter Freck (Rory Cochrane), constamment en bad trip, et sa petite amie Donna (Winona Ryder), instable psychologiquement qui refuse pour une raison non-explicitée les contacts physiques.

Bob, afin de jouer son rôle d’infiltré au mieux, commence lui-aussi à consommer cette nouvelle drogue, la Substance D (Substance Mort dans la VF du roman), ajoutant à son mal-être et à son insatisfaction sexuelle les méfaits d’une substance destructrice. Et quand James vient le dénoncer chez les stups comme étant le baron local dudit trafic, le film vire carrément à l’absurde, où les réalités se mélangent dans un grand pot-pourri de camé qui s’enfonce dans les méandres de sa propre psyché malade. On est donc en plein dans du K. Dick, à n’en pas douter. Lui-même, comme ses innombrables bio le confirment, était assez versé dans les psychotropes divers et variés qui, s’ils peuvent étendre l’imagination, ont quand même quelques légers effets secondaires dommageables pour le cerveau humain… D’aucun n’hésitent pas à affirmer, du coup, que ce Scanner Darkly est l’un des récits les plus personnels de K. Dick, prétextant quelques fulgurances anticipatives (le « costume » changeant aux multiples visages changeant en permanence est devenu une réalité entre temps, avec les fameux masques taïwanais qui trompent les caméras de surveillance chinoises en rendant impossible la reconnaissance faciale utilisé lors des grandes manifestations contre le pouvoir), travestit sous la forme d’une histoire assez simple et courte ses propres penchants pour l’autodestruction et la paranoïa aiguë (rappelons que K. Dick était en effet persuadé d’avoir été surveillé par le gouvernement américain, sans que l’on ait jamais su démontré si cela était vrai ou non).

Linklater livre quant à lui sa version du roman de Dick. Aussi colorée que pessimiste, servie par des acteurs au mieux de leur forme, ce long métrage d’animation peut aussi se vivre comme un trip sous acide. La litanie continue délirante de James, dans laquelle on peut repérer les prémices du Holmes interprété par Dwoney Jr. quelques années plus tard, endors littéralement le spectateur dans des fausses pistes et dans une complexité artificielle. La conclusion du récit, aussi expéditive et déprimante que bizarrement porteuse d’espoir, ne font que confirmer le message du film : il FAUT se méfier des autres, des apparences, des paradis artificiels qui ne font que toujours davantage vous isoler. Un film qui se prétend compliqué pour mieux camoufler sa morale simple. Alternativement, une descente aux enfers qui laisse peu d’espoir dans l’humanité. Ou encore une comédie over-the-top où quelques comédiens en roue libre s’amuse à forcer le trait car ils se savent filmés pour mieux ensuite être dessinés. A vous de déterminer quelle version vous voulez voir.

Will Hunting

De Gus Van Sant, 1997.

C’est une histoire comme on en tourne moins souvent, aujourd’hui. Un film à oscar, assurément, mais réalisé par un artiste qui n’a jamais chercher les titres de gloire et produits par deux monstres d’Hollywood (littéralement), les frères Weinstein, qui produisait n’importe quel bon script qui leur passait dans les mains, peu importe le genre ou le risque financier. L’histoire ne dit pas si Minnie Driver a souffert d’une manière ou d’une autre des mains (et autres organes) d’Harvey, mais ce qui est sûr, c’est que c’était assez couillu de parier sur un film de Van Sant, qui avait connu un premier succès d’estime avec My Own Private Idaho, mais pas de gros succès hollywoodien, sur un premier scénario de deux blancs-becs qui débarquaient à Hollywood, à savoir Matt Damon et Ben Affleck (bon, il est vrai aidé par leur pote Kevin Smith comme producteur exécutif).

Les deux copains, qui continuent à se croiser de films en films, malgré leurs carrières solos et leurs trajets de vie assez différents, ont débarqué initialement chez les gros studios avec un scénario de thriller, modifié en film « social » de lutte contre l’injustice de classe suite à une suggestion de nul autre que Rob Reiner. Et Rob était inspiré, c’est sûr. Tout comme Gus Van Sant a eu raison de faire confiance à sa directrice de casting, Jennifer McNamara, qui a amené sur le film des acteurs secondaires de qualité comme Minnie Driver, Stellan Skarsgard et, bien sûr, Robin Williams.

Il y a quelque chose d’émouvant, plus de 25 ans plus tard, à revoir la réaction de Robin Williams lorsque ce film lui ouvre la reconnaissance de ses pairs à travers l’oscar du meilleur acteur dans son second rôle. Tout comme celle de Damon et Affleck qui se demandent ce qu’ils ont fait pour mériter ça dès leur première apparition dans la grand-messe du cinéma mondial. Mais tout ça est parfaitement mérité : le film fonctionne toujours, toutes ces années plus tard. Son propos reste toujours valable : comment, lorsqu’on est blessé par la vie peut-on sortir d’une spirale de négativité ou d’une zone de confort pour oser vivre sa vie. Bien sûr, le film est aussi cousu de fil blanc et certains rebondissements sont forts convenus, mais l’ensemble marche exceptionnellement bien. Pourquoi ? Parce que Van Sant sait comment s’effacer devant la performance de ses acteurs. Il sait comment filmer le non-dit.

Et c’est exactement ce qu’il fait dans Will Hunting. Robin Williams, en particulier, démontre si besoin est qu’il n’est pas que le clown de ses plus grands succès au cinéma. Il est, comme Jim Carrey, un clown triste qui fait preuve d’une sensibilité extrême devant la caméra quand il incarne, réellement, un homme blessé, à la limite de la rupture. Et il vit le rôle de ce psy qui est la seule personne à trouver la clé pour parler à Will, ce gamin qui confond l’intelligence et le brio, qui confond l’humour et le cynisme. Matt Damon est lui aussi excellent dans ce rôle de jeune premier avec une gigantesque faiblesse. Tout comme Ben Affleck joue parfaitement le working class buddy qui sera pour toujours loyal à son pote.

Bref, on peut le dire de cent manières, mais Will Hunting est un film précieux. Comme Le Cercle des poètes disparus, lui aussi avec Robin Williams un peu moins de dix ans avant, on a un film sensible, simple dans les dilemmes qu’il présente, mais intelligent de bout en bout. Bien que l’on ne soit pas surpris, on ne peut s’empêcher de vivre le récit, d’accompagner Will dans son difficile passage à l’âge adulte, dans la perte progressive de ses oripeaux de chat sauvage que l’on ne peut approcher sans risquer de se griffer. Et ça marche parfaitement.

PS : je n’ai jamais réellement compris si le titre « Good Will Hunting » est également le titre international du film ou uniquement un titre de travail ou un titre de distribution pour une partie du monde. Quoi qu’il en soit, le jeu de mot inclus dans ce titre légèrement plus long en font un titre beaucoup plus malin (que l’on peut traduire par « Le bon Will Hunting » ou « A la recherche de bonne volonté« , ce qui résume parfaitement le film !)

Rebel Moon: Part One – A Child of Fire

De Zack Snyder, 2023.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours défendu Zack Snyder. Depuis l’inénarrable 300 à Justice League (la Synder cut, off course), en passant par Watchmen, Man of Steel ou même Sucker Punch, il y a toujours quelque chose à sauver dans ses films. Si l’utilisation abusive des ralentis, si la coolitude volontaire de certaines scènes et si des personnages totalement over-the-top (Lex Luthor, on pense à toi) ne vous dérange pas, alors Snyder est le fantasme de tous les geeks : il a mis en image ses passions, toutes issues de la culture comics. Du coup, on était tous prêt à lui pardonner beaucoup de chose, même des adaptations spectaculaires mais qui ne rendent pas complètement justice aux œuvres de Frank Miller, d’Alan Moore ou aux multiples itérations de l’homme de Gotham.

Il s’était déjà laisser aller à réaliser un projet plus personnel, avec Sucker Punch, dont il était l’auteur principal du scénario (retravaillé ensuite avec Steve Shibuya). Le film, dont je parlerai peut-être un jour ici tant il m’avait marqué à l’époque, était lui aussi bancal : mais il y avait une certaine grandeur, une certaine aspiration qui se dégageait de l’ensemble. Une volonté de filmer une jeune asiatique dans un mécha rose bonbon qui flingue littéralement des nazis zombies dans des tranchées d’une imaginaire première guerre mondiale. Et de filmer ça le plus sérieusement du monde. Le tout servi par un casting impeccable (même si l’actrice principale en est ressortie traumatisée) et une bande son d’enfer.

Vous comprendrez dès lors mes attentes à l’annonce du premier volet d’un dyptique de science-fiction, produit par Netflix et basé sur un scénario original (chose de plus en plus rare dans le Hollywood actuel, exception faite des plates-formes de distribution). Et l’ampleur de ma déception. On sentait déjà avec Batman vs. Superman et The Justice League que le brave Snyder commençait à s’essouffler un peu, sans doute perdu face à l’ampleur de la tâche (vouloir adapter plusieurs séries de comics en même temps dans deux films syncrétiques relevait en effet de la gageure et perdait le spectateur en commettant le péché originel de toute adaptation : oublier qu’on a une histoire à raconter et des personnages à développer).

Le constat est amer : non seulement Snyder s’essouffle, mais il vraisemblable qu’il n’ait plus grand chose à offrir, si on en juge par ce premier volet de Rebel Moon. Je vous fais le résumé en quelques lignes : une jeune femme travaille la terre dans un petit village paysan de ce qui semble être une lune agricole d’une grande planète aux confins de la galaxie. Elle est effrayée lorsqu’elle voit débarquer au-dessus de son village d’adoption un vaisseau amiral du Monde-Mère (l’Empire, pour faire simple) à la recherche des rebelles qui ont assassiné l’ancien Roi de la galaxie. Ce dernier, apparemment belliqueux, est remplacé par un régent issu des rangs de l’armée et qui semble encore plus agressif. Lorsque les troupes du Monde-Mère débarque sur la charmante lune agricole, la situation s’envenime assez vite et la jeune réfugiée, Kora, se retrouve bien vite à mener… il faut bien le dire, une rébellion (si, si, je vous assure). Elle n’aura alors de cesse de chercher des alliés pour enfin ramener la paix dans la galaxie et la facilité pour son village d’adoption.

Heu… Comment dire… Star Wars, quelqu’un ? Enfin, le Star Wars de chez Wish. Car si j’ai bien un reproche à faire à ce film, c’est son côté cheap. Et c’est avec ça qu’on se rend compte que les plateformes de distribution, à l’instar ici de Netflix, n’ont pas les mêmes moyens que les grands studios américains et ne les auront sans doute jamais. D’où ces films au rabais. Je préfère vous prévenir ; je vais spoiler allègrement le film dans la suite de cet article, car, honnêtement, je vous déconseille de perdre deux heures de votre vie devant Rebel Moon et j’espère que ce texte aidera à vous en convaincre. La scène la plus emblématique de cet aspect fauché est pour moi la scène de résolution finale : alors que les dix gentils se sont fait arrêtés, il y a genre cinq pauvres soldats méchants qui traînent sur la rampe de lancement et qui échangent trois coups de pisto-lasers quand les gentils finissent, forcément, par s’échappé. Et du grand vaisseau amiral des méchants (le Star Destroyer du pauvre, encore une fois), on ne voit qu’une bête tourelle qui attaque les chasseurs des alliés des héros avant d’être la cause, par on ne sait quel truchement, de la destruction du Star Destroyer dans son ensemble. Et ça se finit par un duel sur une petite plateforme volante entre la gentille héroïne et le méchant du film (le second couteau du grand méchant qui sera évidemment là dans le deuxième volet) : un remake de la scène de fin de GoldenEye ou encore de Rogue One, mais avec moins d’intensité, moins d’éclat, moins d’enjeux et moins de brio. Snyder n’a même pas pu se résoudre à tuer le méchant de l’épisode, qui reviendra donc nous emmerder dans le second chapitre.

Et ce patchwork d’influences caractérise en fait tout le film : le groupe des héros récupère Djimon Honsou à côté d’un Colisée galactique tellement inspiré de Gladiator que cela en devient navrant (Djimon Honsou jouant dans Gladiator, pour rappel) ; Staz Nair joue un personnage à mi-chemin entre Conan et John Carter from Mars ; Bae-Doo Na joue un archétype de samouraï asiatique au grand cœur (avec sabre laser, s’il vous plaît !); Charlie Hunnam, laisser en roue libre, devient une caricature de ses rôles dans les Guy Ritchie malgré le fait qu’il essaie d’imiter Hans Solo, etc. etc.

Les quelques fulgurances du film, comme la scène d’intro de Némésis (Bae-Doo Na) où elle lutte contre une femme-araignée directement copiée sur le design de Lolth, la déesse drow des Royaumes-Oubliés, ou encore le retournement de situation quand on se rend compte que le personnage de Hunnam est en fait un méchant, sont bien vite gâchées. Ce qui pourrait passer pour de belles idées cache en fait des facilités d’écriture qui ne développent ni l’intrigue ni les personnages. La mort du personnage de Hunnam, qui intervient quelques secondes après la révélation de son retournement de veste, est parfaitement ridicule, pratiquement digne de la mort de Marion Cotillard dans The Dark Knight Returns

Et je pourrais continuer les exemples à l’infini. L’essentiel est que ce patchwork d’influences, ce pot-pourri d’inspirations geeks oublie tout simplement d’avoir une histoire intéressante ou un quelconque développement de personnages. Les péripéties s’enchaînent sans vraiment de lien entre eux. Les quelques flashbacks sonnent creux. La collection de « héros » ne présente aucun lien entre eux et le spectateur est tout à fait en droit de se demander pourquoi ils se retrouvent embarquer dans la même histoire, au-delà d’un simple ressenti contre le Monde-mère.

C’est nul, voilà tout ce qu’il faut retenir. A la veille d’une année où les films attendus sont le deuxième Dune (la suite d’un remake), le nouveau Ghostbuster (la suite d’un reboot), Godzilla x Kong (la suite d’un reboot), Kingdom of the Planet of the Apes (le début de la deuxième trilogie d’un reboot) ou Mad-Max Furiosa (le prequel d’un reboot), on pouvait espérer quelque chose d’un scénario original, du début d’une nouvelle franchise. Les mauvaises langues diront qu’au moins on en a fini avec les Marvel à répétition, mais il n’en demeure pas moins que cela dit quelque chose sur le cinéma actuel : l’idée est de prendre le moins de risque possible, quoi qu’il arrive. Et même une plateforme qui n’a pas les mêmes impératifs, avec un grand réalisateur geek et un scénario inédit n’y arrivent pas : n’étant ni le remake, ni le reboot, ni la suite, ni le prequel de quelque chose, Rebel Moon réussi l’exploit de proposer encore moins que ces concurrents potentiels. Et la promesse d’un « Snyder-cut » ne peut pas sauver le bouzin : c’est devenu un gimmick commercial. Si un réalisateur n’est plus fichu de présenter la bonne version du premier coup, alors qu’il ne propose simplement pas cette première version. Il a perdu son mojo. L’ampleur présente dans ses échecs précédents, l’intention louable, est ici disparue. Reste un navet, même pas un nanard. Amis de la science-fiction intelligente, passez votre chemin : il n’y a rien à voir.

The Karate Kid

De John G. Avildsen, 1984.

Est-il possible, aujourd’hui, de dire du mal de Karaté Kid (ou, sous son titre exact : Le Moment de vérité) ? Et je ne parle pas du remake navrant avec le fils Jaden Smith, qui ferait mieux… de ne pas tenter d’être acteur. Mais bien de l’original. Celui de Cobra Kaï et de Daniel-san. Nous touchons ici à un thème déjà souvent abordé dans ce blog : comment dépasser l’auréole de sympathie que confère la madeleine de Proust ? Car si l’on regarde très objectivement cette gentille histoire d’un gamin qui déménage et qui se perfectionne en karaté pour éviter de se faire taper dessus par l’ex de sa nouvelle copine, il n’y a quand même pas grand-chose à sauver.

Une réalisation tristounette, des performances d’enfants acteurs qui ont autant de subtilité qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine (je n’arrive pas à traduire la très visuelle expression anglaise : « wooden performance« ), des chorégraphies de combat qui sont … simplement non-existantes, des musiques de « montage/entraînement » qui sont oubliées deux secondes après et une amourette maladroite entre the new kid on the block et Elisabeth Shue, qui a l’air d’avoir dix ans de plus que lui et qui ne développe aucune alchimie quelconque à l’écran avec son partenaire. Sans parler d’une production assez médiocre, grevée sans doute par un budget faible qui a limité grandement les choix de décors, qu’ils soient en extérieur ou en studio.

Reste quelques éléments qui sauvent le film du fiasco : Pat Morita, qui nous est sympathique dès sa première minute à l’écran, quelques séquences d’entraînement, une ambiance générale très eighties qui nous rappelle que la vie était plus facile avant. Mais c’est à peu près tout. Pourquoi, cependant, le film est-il plus naze que Blood Sport, L’Histoire sans Fin ou encore Highlander ? En fait, il n’est pas plus naze. Ni meilleur. C’est simplement que je ne l’ai pas vu enfant. Et que si la nostalgie intrinsèque de l’enfance rend n’importe quel film cheezy des années 80 (au hasard, toute la filmo de John Hughes ?) tout à fait acceptable, lorsque cette nostalgie n’est pas présente, alors reste un regard un peu froid d’un adulte cynique et blasé qui se moque.

Je regrette, du coup, de ne pas l’avoir vu au début des années 90 à l’occasion d’une de ses multiples diffusions télé. Avildsen, le réalisateur de Karaté Kid, venait de filmer le premier Rocky (et avait reçu un oscar pour cela, même si on sait entretemps que Stallone lui-même à jouer un rôle important derrière la caméra sans être crédité pour ce faire) : il signait un Rocky pour enfant qui a inspiré une génération entière à trouver le karaté « cool » et, par extension, à aller s’intéresser à tout un cinéma asiatique qui débarquait alors via les VHS à louer de nos vidéo-store. Toute une époque.

Mes excuses, Daniel-san, pour être insensible à ton charme suranné. Et donc de ne voir aucun intérêt dans tes suites, tes remakes et autres séries dérivées 40 ans plus tard (la vache, ils ont pris un coup de vieux dans Cobra-Kaï !). Reste alors un film naïf et assez peu inspiré en termes de réalisation, porter par des acteurs au mieux amateurs et qui met en avant une idéologie finalement très reaganienne (le vainqueur à toujours raison, l’amitié avant tout, les filles sont des trophées, etc). Mais je suis bien conscient que pour la plupart de mes confrères générationnels (et peut-être une partie de mes consœurs ?), cela reste avant tout le film où Daniel-san met une pâtée au méchant blond grâce à l’iconique coup de la grue. Finalement, cela ne se suffit-il pas en soi-même ?

Chien du heaume

De Justine Niogret, 2010.

Si l’on s’en réfère à la postface, Justice Niogret a l’air d’être quelqu’un d’assez joyeux et drôle. Les jeux de mots idiots qu’elle distille dans les diverses définitions qui clôturent son court roman m’ont bien fait marrer. Pourtant, à la lecture du bouquin, rien ne laissait présager cela. Chien du heaume est le premier roman, sorti il y a déjà une grosse dizaine d’année, d’une (jeune – ce concept évoluant avec l’âge de l’auteur de ces lignes !) autrice née en 1978 quelque part en France. Et c’est plutôt efficace, comme premier roman. On est dans une fantasy light (peu de magie dans ce moyen-âge d’inspiration européenne, à part quelques touches ci et là) qui lorgne surtout du côté réaliste.

Le personnage principal, la bien-nommée Chien du heaume, est une mercenaire de son état, vendant ses services au plus offrant. Bien qu’il soit inhabituel de voir une femme endosser ce rôle dans les contrées que l’on découvre, ce n’est pas rare non plus, les femmes ayant appris à se servir de leurs mains pour se défendre et, quand l’occasion se présente, pour attaquer. Chien du heaume n’est en effet pas une faible femme : elle manie la hache bien mieux que les mots et n’hésite pas à s’en servir quand besoin s’en fait sentir. Pour autant, Niogret évite de tomber dans le cliché de « la femme forte de fantasy« . Point de Jeanne d’Arc ou de Brienne de Tarth, ici. Chien du heaume, même si elle a quelques kilos de trop et a, semble-t-il une tronche à faire peur, n’en reste pas moins un protagoniste « normal« . Ni trop courageux, ni trop fort, ni trop angélique. Réaliste, dans un monde où la violence a souvent le dernier mot. Et qui ne crache pas contre le confort quand il se présente.

Et Chien du heaume a bien une quête, comme il sied à un protagoniste de fantasy. Point de roman d’apprentissage ici : elle a la trentaine bien entamée et un paquet de guerre derrière elle. Cependant, elle traverse le moment de sa vie où l’on veut comprendre d’où l’on vient et qui l’on est. Chien du heaume veut simplement découvrir son propre nom. Au-delà de son patronyme, hérité d’un employeur bien peu sensible, elle se lance dans la quête de son nom, de son identité. Et tout au plus a-t-elle pour débuter sa recherche que l’arme étrange, cette hache ouvragée, peu commune, que son père lui a légué. Après qu’elle fut forcée… de le tuer.

Vous aurez compris qu’on ne rigole pas des masses dans ce premier opus (Justine Niogret offrira une suite à Chien du heaume quelques années plus tard à travers le roman Mordre le bouclier). Portant, on n’est pas non plus dans la gritty fantasy. S’il est y a des personnages qui n’hésite pas à user du meurtre pour arriver à leurs fins, si la Mort elle-même rôde dans les brumes, il y a aussi une certaine légèreté qui se dégage du texte. A travers sa quête, Chien du heaume se trouve aussi une nouvelle famille, un nouveau foyer, un endroit qu’elle peut imaginer comme son « chez soi« . Et c’est nouveau pour elle, même si cela évoque une certaine nostalgie d’un paradis perdu, non mérité et jamais connu. Une récompense à ce que l’on imagine être des années d’errance.

Sans spoiler, le prologue laisse entendre le développement du personnage après la fin du roman. Et cette fin ouverte, finalement pleine d’espoir, laisse imaginer le meilleur (celui-ci étant tout relatif) pour une femme que l’on a appris à apprécier à travers ces pages. Mais ce qui fait surtout le sel de cette aventure est son style. Niogret a en effet choisi de développer un style relativement archaïque et un découpage qui se rapproche de ce qu’on pourrait imaginer être une chanson de geste. Le premier tiers (ou la moitié ? difficile à estimer) du bouquin enchaîne en effet les « aventures » de manière assez épisodique. Bien sûr, les éléments successifs qui s’y enchainent, au-delà de nous familiariser à la protagoniste, seront également utiliser plus tard dans le développement de l’histoire, l’autrice n’étant pas une manche. Mais le lecteur l’ignore quand il découvre cette succession de quêtes à l’apparence disparate. Le style, comme je le disais, est également très archaïsant. Ce qui donne en effet l’impression par moment de lire des chansons de geste à la Marie de France, la préciosité en moins. Et on ne peut qu’être admiratif de la faconde particulière dont Justine Niogret fait preuve pour ce faire : malgré un vocable ardu, qui ne sied en fait pas au rang des protagonistes quand on y pense, elle parvient à construire un monde vraisemblable dans lequel on se trouve happé avec bonheur.

Je ne sais comment l’expliquer, mais on est ici face à une fantasy typiquement française qui ne s’inspire que très peu des grands exemples anglo-saxons. Niogret est davantage l’héritière de Chrétien de Troyes que de Tolkien ou Donjons et Dragons. Mais elle a certainement lu George R.R. Martin. Et ça donne un mélange détonnant, qui fut couronné en son temps du grand prix de l’imaginaire et du prix des imaginales, de manière parfaitement justifiée. Très bon premier roman que ce Chien du heaume donc, et l’on ne peut que regretter que l’autrice se soit éloigné assez vite des littératures de genre pour se consacrer à d’autres projets. Ceci ne remet évidemment nullement en cause la qualité de ces autres romans, c’est simplement que nous avons rarement des autrices et auteurs qui maîtrisent la langue française avec un tel brio dans les littératures de genre, malheureusement. Si vous ne l’avez pas encore lu, jetez-vous dessus, il ne quittera pas vos mains avant la dernière page tournée.