Liavek

De Megan Lindholm, Steven Brust et Gregory Frost, 1985-1988

ActuSF a publié ce recueil inédit il y a déjà quelques années, capitalisant sur le grand succès des autres publications de Megan Lindholm (sous son pseudonyme nettement plus célèbre : Robin Hobb). Le choix éditorial d’en faire un volume inédit est ma foi un peu étrange. Liavek, dans sa version originale, est une sorte de monde partagé par de nombreux auteurs de fantasy, à la manière, par exemple, du Wild Cards de George R.R. Martin. Ce monde partagé, basé sur quelques règles communes, a donné naissance à quatre recueils de nouvelles écrites non seulement par Lindholm, Brust et Frost, mais aussi par Gene Wolfe, Charles de Lint ou encore Alan Moore (!).

Le point commun de ces nouvelles est la ville portuaire de fantasy nommée Liavek. Cette ville cosmopolite ressemble à la Venise des lumières, les canaux en moins. Intrigues, factions diverses et grands récits d’aventure peuplent le quotidien des habitants de Liavek. Particularité supplémentaire : chaque habitant a, au jour de son anniversaire, un potentiel de « chance » qui lui permet de développer une magie personnelle et particulière. Cette « chance » peut être canalisée dans un artefact quelconque qui permet à son propriétaire d’user de sa magie tout au long de l’année.

La compilation française dont il est question aujourd’hui se concentre sur l’histoire de Kaloo, une jeune femme, fille adoptive d’une aubergiste du port de Liavek, qui ne connait pas sa date de naissance et ne sait donc maîtriser sa chance. La jeune femme croise le chemin du comte Dashif, l’âme damnée du régent de la cité, Son Éminence Écarlate. Dashif, assassin et comploteur de son état, est bien connu des habitants de Liavek, qui craignent son courroux autant qu’ils envient sa position dans le régime en place. Kaloo, fascinée par l’homme en question, se lie par hasard avec un vieux magicien un peu escroc qui se laisse convaincre d’aider la jeune femme à identifier son moment de chance.

Et à partir de cette situation finalement relativement classique dans un roman de fantasy, Lindholm, Brust et Frost (ce dernier, de manière très accessoire et uniquement sur la dernière nouvelle du recueil, signée à six mains par les trois auteurs en question) ont rédigés ensemble ou séparément six nouvelles indépendantes qui développent l’histoire de Kaloo, depuis son relatif anonymat jusqu’à ce qu’elle deviendra à la fin du livre (et que je terrais pour préserver l’intrigue, au cas où cela vous intéresse). Les nouvelles, rédigées successivement sur une période de quatre ans, présentent une véritable cohérence, l’histoire générale s’enchaînant de manière très fluide. Il est d’ailleurs amusant de constater que le style des auteurs lui-même ne présente pas de différence majeure. Les nouvelles signées Brust sont probablement un peu plus « noires » que celles signées par Lindholm, mais c’est vraiment très léger.

Au-delà de ce commentaire relativement général, j’avoue ne pas avoir grand-chose à dire sur Liavek. C’est fort agréable à lire, mais c’est tellement « standard » comme monde de fantasy et comme rebondissements que le livre est réellement sans aspérité. De fait, c’est sans doute le défaut principal que l’on peut reprocher également à L’Assassin Royal de la même Megan Lindholm : c’est extrêmement classique. Si Liavek avait été le premier livre de fantasy que je lisais et si j’avais encore 15 ans, sans doute le livre m’aurait davantage marqué. Mais, alors que je ne l’ai terminé qu’il y a une grosse semaine, le détail de l’histoire m’échappe déjà. C’est très sympathique, mais finalement très peu marquant. En lisant les premières nouvelles et en découvrant la ville de Liavek elle-même par petites touches successives, je n’ai peu m’empêcher de penser que j’avais là un Salauds Gentilshommes du pauvre. Le jugement est peut-être un peu dur, mais c’est le sentiment que j’en avais.

Revenant au premier paragraphe, je ne peux finalement que regretter qu’ActuSF ait choisi de n’éditer qu’un seul arc narratif de l’univers partagé de Liavek. Vu le nom des autres auteurs ayant été à la manœuvre dans les recueils originaux (Gene Wolfe et Alan Moore pour ne citer qu’eux), je suis à peu près sûr que l’arc de Kaloo est finalement l’arc le plus convenu et le plus classique. D’autant plus que Lindholm et ses deux compères n’exploitent finalement que peu le principe de la « chance » des habitants. Cet aspect, pourtant le plus original dans le monde en question, n’est finalement qu’assez accessoire dans l’histoire de Kaloo qui se concentre davantage sur des complots politiques simples et une histoire de filiation relativement convenue. Si je tombe un jour sur les recueils originaux, je tenterai peut-être ma chance. Entretemps, reste un succédané du monde original dans cette édition francophone partielle qui est sympathique, mais loin d’être marquante. A conseiller aux néophytes au fantasy comme porte d’entrée ou fans de Robin Hobb. Pour les autres, tout ceci est très accessoire.

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