La légende du roi Arthur

De Martin Aurell, 2007.

Voilà un pavé dont la lecture m’a pris de nombreuses semaines, entrecoupée de temps à autre de lectures plus légères. Martin Aurell, professeur d’Histoire médiévale à l’Université de Poitiers, a réalisé ici une véritable somme, que l’on pourrait presque qualifier de définitive, sur l’analyse historique de la matière de Bretagne. Drôle d’idée, me direz-vous, de vouloir chercher une vérité historique dans un mythe, devenu proto-littérature, devenu littérature au fil des siècles. Pourtant, l’ouvrage est passionnant. Ne s’intéressant finalement que fort peu à l’analyse classique, littéraire, philologique, du corpus mouvant des textes constituant la légende Arthurienne, Aurell construit une véritable démonstration soutenue et documentée qui cherche le vrai ou, plus précisément, les touches de vrai dans ledit corpus. Il tente de cerner les racines historiques du mythe et l’utilisation que les sociétés d’alors en ont eu.

Il apparait pourtant vite que le modèle d’Arthur, de Merlin et de la table ronde se perd rapidement dans les légendes celtiques. Seuls quelques chroniqueurs les mentionnent dans des textes épars remontant aussi loin que le Vème siècle. Mais de ces légendes locales, celtiques, se développe un fond commun, un terreau fertile à l’imagination qui passera de bardes en poètes, de saltimbanques en conteurs et d’une cour à l’autre jusqu’à finalement prendre petit à petit forme à l’orée du VIIème siècle. Et on y voit alors les premières appropriations, au nom d’un courant politique luttant contre un autre, d’une doctrine fasse à celle du voisin. Et c’est là que la thèse d’Aurell excelle : elle démontre, du VIIème au XIIIème (le livre s’arrête malheureusement à cette date, alors qu’il y aurait matière à analyser l’appropriation du mythe arthurien par l’un ou l’autre groupe d’intérêt jusqu’à nos jours ! – mais bien sûr, Aurell est médiéviste et s’arrête aux frontières de l’époque qu’il connait le mieux), que la matière de Bretagne a été utilisé politiquement, mystiquement, religieusement, socialement par une litanie sans fin d’opportunistes avisés.

Pour ne prendre que la dimension religieuse, il est frappant de noter que l’Église, après l’avoir snobé pendant des siècles, s’est approprié cette mythologie quand elle y trouva son intérêt, transformant les glorieux guerriers des débuts en saints chevaliers qui ne peuvent user de la violence que dans les allégories des croisades que l’on retrouve dans les textes plus tardifs. L’essai prend également le temps de développer du mieux qu’il peut la vie des auteurs présumés des différentes itérations du mythe : de Geoffrey de Monmouth à Robert de Boron en passant par Chrétien de Troyes, Aurell essaie de comprendre qui étaient ces auteurs, quelles étaient leurs valeurs, qui étaient leur patrons (dans le sens de patronage). Il tente également de savoir si la « vérité » qu’ils présentaient dans leurs textes respectifs tentaient à développer une thèse nouvelle, à contrecourant de la société dans laquelle ils vivaient ou, au contraire, s’ils étaient dans l’air du temps.

Très documenté (la bibliographie de l’ouvrage est impressionnante), La légende du roi Arthur est un véritable travail d’universitaire érudit maitrisant son sujet. Si la lecture est parfois ardue, Aurell ayant une prédilection assez logique à user d’un vocable moyenâgeux sortant parfois des sentiers battus, la structure du livre et le propos de son auteur restent intelligibles de bout en bout. Il est fascinant de voir à quel point le personnage, son entourage, sa quête et les valeurs qui les sous-tendent ont évolué au fil des siècles, passant parfois d’un extrême à l’autre. Bien sûr, le choix d’Aurell de résumé in extenso les diverses variations qui sont parvenues jusqu’à nous rend le texte assez lourd. Mais c’est probablement inévitable pour le bien de la démonstration de sa thèse, pour justifier le développement de ses idées. La répétition des diverses aventures et la multiplication des personnages et de leur trajectoire personnelle perd sans doute le lecteur inattentif, certainement dans le cas d’une lecture épisodique (comme ce fut mon cas). Mais on ne peut en vouloir à l’auteur : la matière de Bretagne est chaotique par essence, comme la plupart des mythes fondateurs des nations ou des civilisations.

J’ai acheté ce livre il y a une bonne année déjà, dans le Centre de l’imaginaire arthurien, en pleine forêt de Brocéliande. Le décor s’y prêtait aisément. Pourtant, le centre en question a des préoccupations assez lointaines de la thèse d’Aurell. Ses tenanciers sont en effet plus intéressés par l’imaginaire lié au mythe que par une quelconque recherche de vérité historique. Bien sûr, Aurell, lui, ne verse pas (ou peu) dans l’imaginaire. Il cherche à donner du sens sans prêter beaucoup d’attention au premier degré des textes qui constituent son corpus. Le lecteur qui cherche dans ce livre une plongée dans le merveilleux y restera pour son compte : ce n’est pas l’objet du livre. Martin Aurell, dont nombre d’articles universitaires sont disponibles sur sa page personnelle, nous explique, à travers le merveilleux du conte ou de la légende, ce que ces textes portèrent comme message à leur auditorat, puis leur lectorat, original. C’est une plongée passionnante dans l’Histoire à travers des figures qui nous sont toutes, désormais, familières. Si le sujet vous intéresse et que lire ce type d’ouvrage ne vous décourage pas, vous avez là une véritable référence accessible en poche pour un coût somme toute modeste. Bonne découverte !

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