La Chute de la Belgique

Wouter Verschelden, 2024.

Troisième livre du journaliste du Standaard (et du Morgen, de la VRT et de Newsweek) consacré à la politique belge en quelques années, après bpost Hold Up, sur l’affaire des aides d’Etat à la poste belge et surtout après Les Fossoyeurs de la Belgique, relatif à la formation du gouvernement Vivaldi actuellement démissionnaire, La Chute de la Belgique conclut donc cette trilogie liée au gouvernement De Croo (bien que le scandale de bpost ait débuté il y a bien longtemps). Et la conclut dans les larmes et le sang. Car la Vivaldi, gouvernement d’équilibristes ayant subi consécutivement la crise du COVID-19, la guerre en Ukraine et les chutes des démocraties un peu partout dans le monde, n’a pas été un long fleuve tranquille. Que du contraire.

Wouter Verschelden, désormais rompu à l’exercice, reprend la forme qu’il avait déjà utilisée dans ces deux premiers bouquins, composée de chapitres courts et incisifs, entrecoupés de portraits, parfois au vitriol, des différents protagonistes. Peu sourcé, le bouquin se veut davantage une chronique du naufrage politique qu’a été la Vivaldi au cours de ces cinq ans d’existence, de frustrations en coups bas, d’attaques en trahisons. Car c’est bien de cela que parle le livre : de l’univers impitoyaaaaaable (avec la musique de Dallas, of course) de la Rue de la Loi. L’évolution notable que Verschelden ne manque pas de souligné est le rôle de plus en plus important que jouent les Présidents de parti dans la vie du gouvernement. Que ce soit pour le critiquer de l’extérieur comme « opposition« , alors qu’ils en sont membres, ou que ce soit pour décider en kern en lieu et place de leur vice-premier (souvent inexpérimentés) qui ne sont plus alors de que des hommes et des femmes de paille, cela change drastiquement la dynamique. Faire coalition devient presque impossible, dans ces conditions, où le moindre compromis devient une bataille homérique et, souvent, ridicule.

Car c’est cela qui ressort de la lecture de chronique quotidienne d’un vaste naufrage : sans tomber dans le poujadisme de bas étage, nous sommes malheureusement dirigés par des médiocres, des incultes, des dogmatiques et des lâches. Ça fait mal de le lire, cela me fait aussi mal de l’écrire. Et c’est sans doute parce que je deviens un vieux con et que, professionnellement, j’en côtoie un certain nombre très régulièrement que je commence doucement mais surement à désespérer. Où sont nos grandes femmes et hommes d’Etat ? Où sont ceux qui croient en un modèle de société et qui souhaitent le défendre au-delà des intérêts particuliers d’un groupuscule x ou y ? N’ont-ils seulement jamais existé ? Est-ce que les mémoires d’hommes et de femmes politiques d’après-guerre qui ont construit ensemble, parfois habillement, parfois naïvement, les démocraties de luxe que sont les pays européens occidentaux, est-ce que ces mémoires mentaient ?

En effet, un autre point qui m’a frappé à la lecture du bouquin de Verschelden est l’absence totale de l’intérêt citoyen. A aucun moment dans les dossiers qui sont évoqués au fil des pages, dans les répliques assassines et les commentaires oiseux que les uns et les autres s’échangent, à aucun moment il n’est question du belge. A quelques reprises, des tensions éclatent autours des intérêts de l’un ou l’autre groupe de pression, au premier rang desquels nos charmants amis du Boerenbond (une association des agriculteurs flamands, dotée d’un riche trésor de guerre, proche historiquement de ce qui fut le premier parti belge pendant des années : les démocrates-chrétiens flamands. Mais aussi une association qui a poussée au développement de l’élevage en batterie pour des questions de rentabilités et qui lutte depuis des années contre toutes les initiatives liées à l’interdictions de produits dangereux dans l’agricultures, que le danger soit pour la santé humaine, la pollution des sols ou l’incidence sur le changement climatique ; bref, des gens très sympathiques…) Et personne d’autre. L’impact des politiques publiques ? On s’en tape. Le résultat auprès du citoyen ? On s’en fout. Non, ce qui compte, c’est la politique des petites déclarations, la politique en moins de 120 caractères sur X, haut lieu de la non-démocratie actuelle.

La lecture de ces chroniques, pour intéressante qu’elle soit pour mieux disséquer le cadavre de la Vivaldi, m’a donc davantage déprimée que rassurée. Car même si la Belgique se cherche encore un gouvernement fédéral, c’est avec la même bande de zigottos autours de la table. Le renouveau politique/citoyen tant attendu par les grandes démocraties mondiales, qui croulent sous les auspices et les augures qui clament à tue-tête la mort du modèle démocratique, ne se fera pas avec cette génération de professionnels de la politique. Je ne pense pas utile de rentrer dans le détail des affaires évoquées dans le bouquin : il n’y en a pas une pour rattraper l’autre. Le mot d’ordre semble être la politique du plus petit commun dénominateur. Et quelles que soient les ruses machiavéliques utilisées par les uns et les autres pour bénéficier d’une meilleure image, force est de constater que cela ne marche pas. Ou plus.

On notera finalement pour les plus courageux qui ne sont pas rebutés par ma longue diatribe que le bouquin souffre d’un mal particulièrement belge. Si son sujet est à coup sûr la chute de la Belgique à travers les pérégrinations de la Vivaldi, nombre de chapitre sont également consacré à la vie politique flamande, puisqu’elle avait (et a toujours) un impact direct sur les équilibres du fédéral. Mais pas un mot sur les gouvernement wallons ou bruxellois. Comme quoi, Wouter Verschelden, pour belgicain qu’il soit, n’a tout de même pas franchi le Rubicon ou, comme on l’appelle par chez nous, la frontière linguistique. Ce qui déforce quand même méchamment son propos en déséquilibrant une partie des rapports de force. Mais cela reste une belle chronique de la médiocrité politique, un parfait manuel de ce qu’il ne faut pas faire ou, mieux, pas être si l’on souhaite s’engager en politique.

La collection inavouable

De Dimitri Delmas, 2023.

Sous-titré : De l’entre-deux-guerres aux spoliations du IIIe Reich, le périple d’un extraordinaire trésor artistique – L’histoire folle de la collection Gurlitt

Lorsque Cornélius Gurlitt, au cœur de l’hivers 2012, est contrôlé par la douane suisse dans un train, personne ne se doute qu’on trouvera quelques jours plus tard dans son appartement munichois des centaines de chefs d’œuvres réputés disparus depuis la seconde guerre mondiale : des Renoir, Cézanne, Courbet, Chagall, Picasso, Delacroix, Munch ou encore des dessins, aquarelles et peintures de la scène nouvelle allemande de l’entre-deux-guerres, George Grosz ou Otto Dix en tête. Cette histoire rocambolesque met un terme à l’histoire d’une collection cachée, rassemblée par Hildebrand Gurlitt, marchant d’art allemand qui rassembla, dans des conditions allant du discutable au criminel, une véritable collection d’art « dégénéré« , pour reprendre le vocable nazi, pour son profit personnel.

Dimitri Delmas choisi de nous conter cette histoire comme un roman familial, recadrant au fil des chapitres les grands épisodes de l’histoire de l’art des premières décennies du XXème siècle et de la montée du national-socialisme. L’auteur n’étant pas un spécialiste de l’histoire de l’art, étant davantage illustrateur qu’académicien, il nous raconte l’histoire plus qu’il ne la documente. Cela fait de cette Collection inavouable un récit plutôt qu’un essai. Soutenu par ailleurs par les illustrations fort à propos (quelques planches de BD, quelques portraits, quelques illustrations savamment distillées au fil de l’ouvrage) par Laureline Mattiussi et Delmas lui-même, le bouquin, malgré son épaisseur, se lit en quelques heures seulement. Brassant large, de courts portraits de l’avant-garde allemande des années 20 jusqu’à la présentation du travail des « Monuments Men » de 1945 à 1950, Delmas a l’intelligence de développer son récit comme une fiction au cours de laquelle, d’épisode en épisode, le lecteur assiste à la lente dégradation morale d’un homme, Hildebrand Gurlitt, d’ascendance partiellement juive, combattant pour l’Allemagne en 14-18, grand amateur d’art moderne au tournant du siècle et licencié de deux fonctions successives pour cela par le régime nazi, qui finira par devenir l’un des grands receleurs d’art du troisième Reich, manœuvrant dans l’ombre pour enrichir sa collection et ses deniers personnels.

En filigrane, on découvre également la vie de son fils, le Cornélius contrôlé par la douane, qui vécut toute sa vie reclus, entouré de ses œuvres maudites qui l’empêchèrent d’avoir une vie « normale« , dans l’ombre de la folie de son défunt père. Un roman du siècle, en somme, de la lumière à l’ombre. Quand l’affaire est sortie dans les médias en 2014, après deux ans d’enquête par les polices allemandes, suisses et autrichiennes, elle fit grand bruit dans le monde muséal et dans le monde artistique en général. L’ampleur de la collection a déchaîné les passions et les fantasmes, parlant d’une collection de plus d’un milliard d’euros. Cornélius Gurlitt étant décédé avant d’être confronté aux conséquences des crimes de son père, il choisit de léguer sa collection, à défaut d’hériter, au musée d’art de Berne. Et de là est né un regain d’intérêt, essentiellement européen, dans la recherche de provenances de biens spoliés pendant la seconde guerre mondiale, plus de quinze ans après la convention de la Washington et de la première vague de travail d’historiens et de mémoire réalisé, parfois timidement, par les grands musées de beaux-arts d’Europe de l’Ouest (et des Etats-Unis).

C’est en effet cet affaire retentissante, résumée avec brio par Dimitri Delmas, qui a remis un coup d’éclairage sur ces pièces que l’on considérait perdues à jamais, rouvrant le débat parfois compliqué des collections privées ou publiques qui se constituèrent sur le malheur des uns et le bonheur des autres. La boussole morale, évoluant avec les décennies, nous oblige à rouvrir certains dossiers, à se repencher sur certaines pistes, à approfondir nos connaissances pour un nécessaire devoir de mémoire. Et si d’aucuns craignent un début public à l’heure où l’antisémitisme regagne du terrain en raison des choix politiques extrêmes d’un gouvernement qui ne représente qu’une nation et non un peule, il n’en demeure pas moins qu’un tel débat est salvateur, ne fut-ce que pour s’épargner des œillères égoïstes qui ne se justifiaient que dans un contexte d’accumulation qui évoque la muséographie des temps passés. Merci, donc, à Dimitri Delmas d’avoir contribué par son roman d’un scandale, à la connaissance du grand public d’une page sombre de notre histoire collective. Et de l’avoir fait par le biais d’un essai historique qui se lit comme un bon roman à suspens, ce qui ne gâche rien, servit par une plume intelligente et des illustrations évocatrices. On lui pardonnera donc sans hésitation les quelques imprécisions et raccourcis qui s’imposent par la forme qu’il a choisi pour nous transmettre un récit humain, souvent médiocre et affligeant, mais désormais compréhensible.

Baise ton prochain

De Dany-Robert Dufour, 2019.

Sous-titré : Une histoire souterraine du capitalisme

Court essai à la frontière de l’analyse politique, de la philosophie, de l’économie et de la psychanalyse, Baise ton prochain, au-delà de son titre volontiers provocateur, est une réflexion salutaire sur le monde dans lequel nous vivons tous actuellement. Dany-Robert Dufour, philosophe et professeur désormais retraité, n’en est pas à son coup d’essai lorsqu’il publie cet essai en 2019. Celui-ci s’inscrit dans une longue liste d’essais publiés essentiellement à partir de la fin des années 90 et qui ont pour objet principal de porter un regard critique sur l’évolution de la société vers davantage d’individualisme, vers le capitalisme forcené et vers la disparition totale de l’intérêt commun. Tardivement, l’auteur redécouvre l’œuvre méconnue Bernard Mandeville, écrivain anglo-néerlandais de la fin du XVIIe siècle. A travers plusieurs livre, dont l’essai qui nous occupe aujourd’hui, Dany-Robert Dufour tentera de démontrer que Mandeville, longtemps avant les penseurs du XIXe et les économistes du XXe, avait déjà en son temps théoriser le capitalisme, ses fondements et les conséquences de son application.

Mandeville, en effet, à travers quelques courts textes comme La Fable des abeilles (inspirée par le fabuliste star de son époque, La Fontaine) ou le texte reproduit dans Baise ton prochain, Recherches sur les origines de la vertu morale, théorise le capitalisme naissant. Il établi, par exemple, la création d’une troisième classe, entre les citoyens qui ne se leurrent pas dans le contrat social (les voleurs, les prostituées, etc. ; en résumé la lie de la société) et les citoyens qui respectent le contrat social (dirigeants ou masses laborieuses). Cette troisième classe est composée de ceux qui ne respectent pas les lois, mais s’en donnent cependant l’apparence au nom du bien commun. Et Mandeville de prédire que non seulement cette troisième classe dirigera forcément rapidement les deux autres, mais qu’elle doit le faire au regard de l’évolution de la société qu’il connait alors, proche des balbutiements de la révolution industrielle et des débuts hésitants du capitalisme. Mandeville prévoit ainsi non seulement l’avènement d’un nouveau système économique mais également un changement de paradigme sociétal complet : le capitalisme deviendra la seule manière d’envisager la société.

C’est en tous les cas ce que Dany-Robert Dufour entend démontrer dans la première et plus longue partie de son essai, où il argumente que l’incroyable préscience de Mandeville permettait déjà de prévoir l’avènement du capitalisme comme système unique et ses travers voilà déjà près de 250 ans, en ce compris sa chute prochaine, dévoré par lui-même comme une forme de géant anthropophage qui ne connait aucune limite. La seconde partie de l’ouvrage, plus courte, entend faire résonner le texte de Mandeville avec les effets néfastes du capitalisme actuel. Et l’ensemble est parfaitement convainquant : Dufour a oublié d’être bête et même s’il extrapole volontiers pour démontrer son point de vue (l’anticipation de la psychanalyse moderne par le même Mandeville, toujours à travers le même court texte, sonne un peu poussif comme démonstration) et qu’il omet nombre de réalités économiques, la démonstration se tient.

Certains exemples utilisés par Dufour sont particulièrement marquants, comme celui l’installation « Cloaca » de l’artiste contemporain belge Wim Delvoye (2000). Cette installation artistique, tube digestif géant fonctionnel qui produit… de la merde, a été titrisé en bourse et la spéculation sur l’œuvre a déjà rapporté pas mal d’agent à son concepteur. Une belle parabole du fait que le capitalisme ne fonctionne qu’en produisant littéralement des déchets, ce qui permet au passage à Dufour de nous rappeler que tous, petites filles et garçons que nous sommes, ne sommes pas réellement sorti du stade anal de notre développement psychologique…

L’essai tente bien de se conclure sur un message d’espoir, mais soyons honnête : ça n’est pas tellement crédible. Le bouquin, s’il est érudit, bien écrit, grinçant et amusant à la fois et parfois légèrement malhonnête porte aussi un message clair en son sein : NO FUTURE, les amis. Levons nos verres collectivement à l’imbécilité de la course au profit qui finira immanquablement par nous détruire. Santé !

Le guide de la SF et de la Fantasy

De Karine Gobled, 2017.

ActuSF, depuis quelques années, a publié nombre de petits guide relatifs aux littératures de genre, soit sous forme de monographie d’auteur (Lovecraft, K. Dick, Tolkien, Stephen King, Howardvolume déjà abordé ici -, etc.), soit sous forme de guide plus généraux relatifs à un courant particulier (l’uchronie, le steampunk, etc.) Ce guide-ci, par son ambition très large, puisqu’il vise à être une porte d’entrée pour toute la SF et toute la Fantasy, sort un peu du lot.

Karine Gobled, également connue sous le pseudo de Lhisbei quand elle écrit sur le blog du répertoire de la science-fiction, prend donc la plume avec une très grande ambition : nous ouvrir aux multiples territoires de la littérature SFFF. Les éditions Folio SF, de leur côté, avaient choisi quelques années auparavant de traduire cette ambition en plusieurs ouvrages (notamment un sur la fantasy et un sur la SF), peut-être de manière plus sage face à l’ampleur de la tâche. Pourtant Gobled prend clairement son courage à deux mains et se lance dans l’ouvrage qui répond à un cahier des charges très précis établi par les éditions ActuSF : après une courte introduction, il faut aborder son sujet à travers une courte liste d’idées reçues à pourfendre pour attirer le lecteur curieux vers un nouveau genre et poursuivre par des chapitres sur chaque genre et sous-genre en y détaillant les caractéristiques principales et en y insérant une liste d’œuvres phares ainsi que des conseils de lecture si l’on a apprécié tel ou tel bouquin. Gobled conclut également son livre par quelques interviews (des auteurs, des responsables de festivals de SFFF, des universitaires qui traitent la matière, etc.) ainsi que par quelques courts chapitres sur les éditeurs français du secteur et sur les prix littéraires, notamment.

L’ensemble du guide est plutôt plaisant à lire et bien écrit, Gobled ayant manifestement des facilités d’écriture et le sens de la formule. Pourtant le lecteur averti ne peut sans doute que rester sur sa faim. Si, contrairement à Apophis, dont il est notoirement connu qu’il est très exigeant et détailliste sur les sous-genres de la SFFF (sa taxonomie, pour aussi riche qu’elle soit, m’a toujours légèrement ennuyée : ajouter des sous-cases dans des cases n’aide pas à s’ouvrir à un genre, je le crains), je n’accorde que peu d’importance aux imprécisions qui émaillent l’ouvrage de ci de là, car elles n’ont à mes yeux qu’une importance mineure pour un lecteur curieux qui voudrait se renseigner avant de se lancer dans la SFFF, je suis par contre plus dubitatif sur certains accents mis en avant par Gobled.

Le principe d’un guide limité est par définition frustrant : certains textes que l’on considère (ou que la majorité considère) comme des références ne s’y trouvent pas. Et cela nous choque forcément, quand on défend ses goûts et que l’on se veut un minimum prosélyte. Mais ceci est de bonne guerre : d’un individu à l’autre, les choix diffèrent et nous sommes condamnés à l’accepter, voire à nous en réjouir car cela ne fait que démontrer la pluralité d’avis dont notre société actuelle semble souvent faire défaut. Malgré ces quelques phrases convenues, je trouve particulièrement gênant que Gobled insiste énormément sur l’uchronie (elle est également la co-autrice du Guide de l’uchronie, toujours chez ActuSF), la mettant à toutes les sauces dans les différents chapitres et laissant accroire au lecteur inattentif qu’il s’agit vraiment là d’un courant qui est pratiquement devenu majoritaire. Ce qui n’est pourtant pas le cas.

Je suis également partagé sur le choix de certaines références : bien qu’il soit agréable de mettre en avant certains auteurs français contemporains comme des références et que cela évite ainsi une énième énumération de la liste des auteurs anglo-saxons immanquables que l’on peut trouver partout sur le web, les mettre en avant revient également à « oublier » certains auteurs majeurs de l’histoire du genre, à l’instar de Gay Gavriel Kay ou de Glenn Cook (pourtant également très connus sous nos latitudes). Ou encore de toutes les autres nationalités possibles et imaginables ! Je suis également un peu chagriné sur le fait que Lovecraft se retrouve tout d’un coup à nouveau classé en Dark Fantasy, selon le vieux vocable de Presses Pocket, alors même que le genre de la Dark Fantasy tel qu’on l’entend actuellement représente tout à fait autre chose (Glenn Cook, à nouveau, mais aussi Scott Lynch, R.R. Martin et d’autres).

Au-delà de ces débats qui peuvent passer pour des débats de chapelle aux yeux des néophytes, je crains que le bouquin se noie un peu dans son contenu et perde son lecteur après quelques dizaines de pages, malheureusement, en voulant en même temps trop en mettre et pas assez pour être une vraie porte ouverte. Moi qui suis toujours un grand amateur de livre parlant de livres, sans comprendre réellement pourquoi d’ailleurs, je suis ressorti un peu frustré de la lecteur de ce petit guide. Je ne m’attends plus spécialement à apprendre beaucoup de choses nouvelles quand j’ouvre ce type d’ouvrage, mais je suis toujours heureux de constater qu’ils me donnent envie de lire l’un ou l’autre titre, l’un ou l’autre auteur qui, pour des raisons x ou y, m’ont jusqu’alors échappé. Ce ne fut pourtant pas le cas lorsque je tournais voilà quelques jours la dernière page de ce Guide de la SF et de la Fantasy. Dommage ; une occasion manquée par une ambition probablement trop large et quelques choix hasardeux.

Le protestantisme

De Laurent Gagnebin & Raphaël Picon, 2005.

Sous-titré : La foi insoumise

Je ne sais pas trop ce qui m’a pris en faisant remonter cet essai en particulier dans mon interminable PAL. Probablement une curiosité pour le fait religieux, car j’aime en effet l’histoire des religions et je suis toujours passionné par l’idée de comprendre le concept de foi, concept qui, je dois bien l’avouer, m’est assez étranger. Et, de fait, je ne connais(-sais ?) pas grand-chose au protestantisme, si ce n’est l’histoire du schisme et les quelques généralités qu’on lui associe volontiers. Du coup, 200 courtes pages d’introduction au protestantisme rédigées par deux professeurs émérites en la matière me semblait une bonne porte d’entrée pour en saisir les points essentiels, de son dogme particulier aux spécificités de sa pratique et à ces principales divergences avec les autres monothéismes et avec la religion catholique en particulier (qui, par mon éducation, est certainement celle que je connais le mieux).

Et l’essai publié en poche chez Champs – essais, la fameuse collection « jaune » de Flammarion (à ne pas confondre avec les romans policiers du Masque !) propose en effet cela : être une porte d’entrée. Cependant, et autant le dire dès maintenant, je n’en sais pas beaucoup plus sur le protestantisme aujourd’hui qu’hier. Ou, plus exactement, je n’en ai pas retenu beaucoup plus. Car si l’on trouve de manière assez logique une approche historique, une approche dogmatique et une approche sacerdotale dans cet essai, le tout est brossé tellement rapidement et, bizarrement, souvent de manière très hermétique, qu’il est très difficile d’en faire une porte d’entrée efficace.

Gagnebin et Picon, dont je découvre ici les écrits, sont probablement plus à leur aise quand ils se lancent dans des sommes de plusieurs centaines de pages ou quand ils débutent des séminaires universitaires qui s’étalent sur plusieurs dizaines d’heures. Dès lors, le livre rate selon moi son propos. Evidemment, il est question de la simplicité du rite, il est question de l’absence d’une Eglise à proprement parlé (comme organisation hiérarchisée organisant l’accès à la foi et au texte), il est question de la nécessaire interprétation du texte (rapprochant par là le protestantisme du judaïsme). On y croise également la pluralité des fois protestantes, la délivrance par la foi ou encore le rôle du pasteur.

Mais ces concepts sont abordés chacun d’entre eux en quelques pages, sans un réel récit, sans un narratif qui se dégage et qui permet au lecteur curieux de se raccrocher à un objet littéraire. Ce « best-of » du protestantisme aborde donc bien l’ensemble des spécificités d’une foi particulière, ce qui est un exploit considérant ses courants aussi divers que variés, et, paradoxalement, échoue dans son ambition. Par un langage parfois abscons, par le choix délibéré de considérer le lecteur comme déjà versé dans la matière et, par conséquent, par son absence de définition de certains concepts clés seulement survolés, l’essai n’est en rien une porte d’entrée vers le protestantisme. Je me demande même ce qu’il est. S’il s’adresse à des néophytes, alors il est clairement trop court et/ou trop exigeant. S’il s’adresse à des experts ou, à tout le moins, à des amateurs éclairés, alors il est sans doute inutile et frustrant car il n’apporte rien de particulièrement nouveau ou marquant sur un courant chrétien minoritaire, mais que l’on voit par exemple s’étaler partout dans les œuvres de fiction américaines que l’on consomme presque quotidiennement.

Dommage, oh combien dommage que cet essai manque donc sa cible, de toutes les manières dont je puis l’envisager. Je sens qu’il y a là matière à creuser pour bien saisir les différences entre la foi catholique romaine et les diverses fois protestantes, des orthodoxes aux mouvances évangéliques, mais je crains que cela ne sera pas avec Laurent Gagnebin ou avec Raphaël Picon, qui ont vraisemblablement du mal à faire œuvre de prosélytisme. Assez logique, finalement, puisque c’est là l’une des marques de fabrique du protestantisme, l’un des traits qui le distingue de ses principaux concurrents, si vous m’excusez cet abus de langage mercantille (oui, je sais, la ficelle un peu grosse, mais que voulez-vous, il est tard !)