Chien du heaume

De Justine Niogret, 2010.

Si l’on s’en réfère à la postface, Justice Niogret a l’air d’être quelqu’un d’assez joyeux et drôle. Les jeux de mots idiots qu’elle distille dans les diverses définitions qui clôturent son court roman m’ont bien fait marrer. Pourtant, à la lecture du bouquin, rien ne laissait présager cela. Chien du heaume est le premier roman, sorti il y a déjà une grosse dizaine d’année, d’une (jeune – ce concept évoluant avec l’âge de l’auteur de ces lignes !) autrice née en 1978 quelque part en France. Et c’est plutôt efficace, comme premier roman. On est dans une fantasy light (peu de magie dans ce moyen-âge d’inspiration européenne, à part quelques touches ci et là) qui lorgne surtout du côté réaliste.

Le personnage principal, la bien-nommée Chien du heaume, est une mercenaire de son état, vendant ses services au plus offrant. Bien qu’il soit inhabituel de voir une femme endosser ce rôle dans les contrées que l’on découvre, ce n’est pas rare non plus, les femmes ayant appris à se servir de leurs mains pour se défendre et, quand l’occasion se présente, pour attaquer. Chien du heaume n’est en effet pas une faible femme : elle manie la hache bien mieux que les mots et n’hésite pas à s’en servir quand besoin s’en fait sentir. Pour autant, Niogret évite de tomber dans le cliché de « la femme forte de fantasy« . Point de Jeanne d’Arc ou de Brienne de Tarth, ici. Chien du heaume, même si elle a quelques kilos de trop et a, semble-t-il une tronche à faire peur, n’en reste pas moins un protagoniste « normal« . Ni trop courageux, ni trop fort, ni trop angélique. Réaliste, dans un monde où la violence a souvent le dernier mot. Et qui ne crache pas contre le confort quand il se présente.

Et Chien du heaume a bien une quête, comme il sied à un protagoniste de fantasy. Point de roman d’apprentissage ici : elle a la trentaine bien entamée et un paquet de guerre derrière elle. Cependant, elle traverse le moment de sa vie où l’on veut comprendre d’où l’on vient et qui l’on est. Chien du heaume veut simplement découvrir son propre nom. Au-delà de son patronyme, hérité d’un employeur bien peu sensible, elle se lance dans la quête de son nom, de son identité. Et tout au plus a-t-elle pour débuter sa recherche que l’arme étrange, cette hache ouvragée, peu commune, que son père lui a légué. Après qu’elle fut forcée… de le tuer.

Vous aurez compris qu’on ne rigole pas des masses dans ce premier opus (Justine Niogret offrira une suite à Chien du heaume quelques années plus tard à travers le roman Mordre le bouclier). Portant, on n’est pas non plus dans la gritty fantasy. S’il est y a des personnages qui n’hésite pas à user du meurtre pour arriver à leurs fins, si la Mort elle-même rôde dans les brumes, il y a aussi une certaine légèreté qui se dégage du texte. A travers sa quête, Chien du heaume se trouve aussi une nouvelle famille, un nouveau foyer, un endroit qu’elle peut imaginer comme son « chez soi« . Et c’est nouveau pour elle, même si cela évoque une certaine nostalgie d’un paradis perdu, non mérité et jamais connu. Une récompense à ce que l’on imagine être des années d’errance.

Sans spoiler, le prologue laisse entendre le développement du personnage après la fin du roman. Et cette fin ouverte, finalement pleine d’espoir, laisse imaginer le meilleur (celui-ci étant tout relatif) pour une femme que l’on a appris à apprécier à travers ces pages. Mais ce qui fait surtout le sel de cette aventure est son style. Niogret a en effet choisi de développer un style relativement archaïque et un découpage qui se rapproche de ce qu’on pourrait imaginer être une chanson de geste. Le premier tiers (ou la moitié ? difficile à estimer) du bouquin enchaîne en effet les « aventures » de manière assez épisodique. Bien sûr, les éléments successifs qui s’y enchainent, au-delà de nous familiariser à la protagoniste, seront également utiliser plus tard dans le développement de l’histoire, l’autrice n’étant pas une manche. Mais le lecteur l’ignore quand il découvre cette succession de quêtes à l’apparence disparate. Le style, comme je le disais, est également très archaïsant. Ce qui donne en effet l’impression par moment de lire des chansons de geste à la Marie de France, la préciosité en moins. Et on ne peut qu’être admiratif de la faconde particulière dont Justine Niogret fait preuve pour ce faire : malgré un vocable ardu, qui ne sied en fait pas au rang des protagonistes quand on y pense, elle parvient à construire un monde vraisemblable dans lequel on se trouve happé avec bonheur.

Je ne sais comment l’expliquer, mais on est ici face à une fantasy typiquement française qui ne s’inspire que très peu des grands exemples anglo-saxons. Niogret est davantage l’héritière de Chrétien de Troyes que de Tolkien ou Donjons et Dragons. Mais elle a certainement lu George R.R. Martin. Et ça donne un mélange détonnant, qui fut couronné en son temps du grand prix de l’imaginaire et du prix des imaginales, de manière parfaitement justifiée. Très bon premier roman que ce Chien du heaume donc, et l’on ne peut que regretter que l’autrice se soit éloigné assez vite des littératures de genre pour se consacrer à d’autres projets. Ceci ne remet évidemment nullement en cause la qualité de ces autres romans, c’est simplement que nous avons rarement des autrices et auteurs qui maîtrisent la langue française avec un tel brio dans les littératures de genre, malheureusement. Si vous ne l’avez pas encore lu, jetez-vous dessus, il ne quittera pas vos mains avant la dernière page tournée.

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