Une vie sans fin

De Frédéric Beigbeder, 2018

Cela fait des années maintenant que je lis le sourire aux lèvres les textes de Beigbeder. Il s’agit probablement d’un phénomène générationnel : s’il a plus de dix ans de plus que moi, ses textes me parlent sans effort, ses références sont en grande partie miennes. Et même ses goûts littéraires, exposés dans ses deux « catalogues » consacrés aux livres, ressemblent aux miens, la SFFF en moins. Du coup, je ne résiste pas bien longtemps à la tentation de me procurer et de lire la nouvelle fournée.

Celles-ci se font de plus en plus rares, d’ailleurs. Trois ans depuis son dernier opus, Conversations d’un enfant du siècle. Quatre ans depuis Oona et Salinger. C’est donc avec une certaine anticipation que j’ouvrai voilà quelques semaines Une vie sans fin, autoproclamé « roman documentaire » sur le transhumanisme. Beigbeder, narrateur et personnage principal de son livre, a vieilli. Le cap du demi-siècle et la paternité l’inquiètent. Il se rend compte, doucement mais sûrement, que son corps va bien lâcher un jour. Fini les excès de jeunesse. Fini la cocaïne sur les capots de bagnole, fini les extas partagées avec des mannequins russes. Place à la recherche génétique, à la transfusion sanguine et aux cellules souches.

Objet hybride, Beigbeder mêle l’autofiction habituelle des ses romans précédents à une forme d’enquête mondiale sur le prolongement de la vie, le refus de la mort. Il se veut étrangement didactique lorsqu’il rencontre ses différents interlocuteurs scientifiques, de l’honnête généticien suisse au demiurge transhumaniste new-yorkais. Il use sa plume à nous décrire par le menu des opérations qu’il semble ne comprendre que partiellement (même s’il est évidemment moins naïf ou béotien qu’il veut le faire croire). Et, en parallèle, il s’amuse à faire de sa fille aînée un personnage de fiction comme il le fut lui-même dans 99 francs ou dans l’Égoïste romantique.

Ces passages où sa fille se lie d’amitié d’abord, d’amour ensuite, avec un assistant robot, où ils se font jeté d’une clinique privée suisse pour attentat à la pudeur robotique, où Beigbeder se perd lui-même dans une quête sans fin (à l’image du ruban de Möbius qui orne la couverture de cette édition hardback), sont certainement les meilleurs du roman. Ils forment une réminiscence bienvenue du Beigbeder du début des années 2000. Du trublion iconoclaste et fêtard qui m’a toujours fait sourire et qui s’était mué en écrivain respectable avec Un roman français et Oona et Salinger. Même le procédé de la liste, qui me laisse d’habitude froid chez d’autres néo-romanciers, révèle que le directeur de publication de Lui a toujours une plume acérée quand il l’a met au service de la vanne.

Ce qui rend d’autant plus dommage la fascination parfois scolaire avec laquelle il décrit les procédés et principes transhumanistes. Je peux imaginer sans problème qu’il s’est passionné pour ce matériaux de base, mais… comment dire? Il arrive quelques années après la guerre. Sans être un spécialiste du domaine, le téléspectateur moyennement assidu d’Arte que je suis n’a strictement rien appris de bouleversant sur le domaine. Oui, il y a des avancées réelles qui démontrent que nous ne sommes pas loin de l’humain 2.0. Oui, l’eugénisme potentiel est un risque. Oui, il y a un paquet de charlatans qui gravitent autours de ces thématiques pour taxer un max de thunes à des vieux riches qui s’imaginent pouvoir vaincre la mort. On le savait. Et on le sait toujours après Une vie sans fin, sans que ce dernier n’apporte la moindre pierre à une réflexion critique sur cette thématique difficile de la bioéthique.

Un Beigbeder mineur, donc. Amusant, souvent. Béat, un peu trop à mon goût. Mais, bon, sa capacité à être vulgairement drôle l’excuse d’à peu près tout !

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