Argentine

De Joël Houssin, 1989.

Décidément, il semble que les auteurs de SF ressentent la géographie de manière similaire. Si la Sérénissime inspire à la rêverie et aux troubles identitaires un poil macabre, il semble que l’Argentine inspire davantage le post-apocalyptique crade et méchant. Après Berazachussetts et Plop (ok, il n’est pas dit que Plop se passe en Argentine, mais l’auteur était argentin), voici une nouvelle tranche de rigolade bien glauque sud-américaine.

L’auteur, cette fois-ci, est français. Joël Houssin est plus familier avec le polar qu’avec la SF, mais il a quand même à son actif quelques titres édités à l’époque chez Fleuve Noir Anticipation. Dont Argentine, donc, publié en 1989 et lauréat du prix Appollo (le dernier jamais attribué) l’année suivante. Ceux qui ne connaîtrait pas Joël Houssin se rappelle peut-être le formidable Doberman, un film de Jan Kounen avec Vincent Cassel dans le rôle titre. Et bien, le Doberman, personnage inénarrable, est sans doute la création la plus connue de Houssin. Je n’ai plus revu le film depuis des années, mais j’en garde un souvenir d’un portrait de criminels au vitriol, avec moult exagérations de réalisations et une violence visuelle omniprésente.

Force est de constater que les chiens ne font pas des chats : Argentine est du même acabit. On y suit la vie de Diego, une ancienne légende de la petite criminalité connue sous le nom de Godlen Boy. Diego vivote avec son jeune frère et son vieux père parano dans un Buenos Aires du futur, sorte de prison grandeur nature dont il est impossible de s’échapper, dans une dictature policière d’un futur proche sans espoir. Diego a renoncé à ses luttes de jeunesse et tente de survivre tant bien que mal. Jusqu’à ce que la situation s’envenime. Jusqu’à ce qu’il mette le doigt dans l’engrenage qui l’entraînera vers de nouveaux excès de drogue, de violence, de perdition et de paradoxes temporels. Oui, de paradoxes temporels.

Le bouquin ose le mélange entre un Mad Max super-gore et de la SF plus « dure » où le temps joue de méchants tours aux protagonistes. Et ça marche. Bon, faut avoir l’estomac bien accroché, on y croise quand même pas mal de scène de torture, d’abus sexuels étranges et variés, de sectes glauques, de morts dégueulasses, etc. Bref, pas la joie. Il me semble assez clair que Houssin a quelques marottes : il aime bien les petites frappes qu’il transforme en légende de la criminalité, il a quelque chose pour les femmes muettes, la drogue et les déviances sexuelles le titillent. Et il mélange ces ingrédients pour réaliser une fresque crépusculaire où le personnage principal, qui est pourtant finalement un gros connard, nous est éminemment sympathique. Tour de force que peu d’auteurs peuvent réussir.

Le texte est par ailleurs d’une modernité décapante. Il fêtait ses 30 ans l’année passée, mais il reste tout à fait d’actualité, ce qui est toujours un plus quand on verse dans l’anticipation à court terme (aucune date n’est mentionnée dans Argentine, mais on imagine aisément que cela pourrait se dérouler de nos jours, si une partie de la Terre avait versé dans la dictature policière… Attendez, quoi ? ça existe ?!). L’ambiance poussiéreuse d’une Buenos Aires aux portes d’un désert carcéral, miteuse et pourrissante, est parfaitement rendue par la plume incisive de Houssin. La très belle illustration de couverture, signée une fois n’est pas coutume par Aurélien Police (qui devient d’année en année le nouveau Manchu de l’édition SFFF), donne une parfaite idée de l’ambiance du bouquin. Diego/Golden Boy y est peut-être un peu trop présenté comme un héros, mais ça donne bien l’image d’un cadre urbain asphyxiant qui ensemble sa population.

Argentine est une belle claque, bourrés de bonne idées et de scènes percutantes. Les personnages bigger-than-life fonctionnent malgré leur côté parfois caricatural. C’est le premier bouquin de Houssin que je lis. Et pas le dernier.

PS: le contexte actuel (COVID-19) n’est peut-être pas le contexte idéal pour lire Argentine cependant, car le bouquin est quand même franchement sans espoir. Donc, à réserver pour l’instant aux cœurs solides !

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