Sourcellerie

De Terry Pratchett, 1988.

Cinquième livre des annales du Disque-Monde, Sourcellerie revient au personnage de Rincevent et à ses épiques mésaventures. 5 ans après le premier opus, Pratchett commence à exploiter son world-building et développe sa formule. A ce stade, seul l’arc narratif de Rincevent (et du Bagage) a droit à plusieurs opus : les deux premiers tomes de la série et, donc, ce cinquième. Mais les personnages abordés dans les opus 3 et 4 (respectivement les sorcières et la Mort) auront également droit à leur « série » dans la suite de la série, tout comme d’autres arcs qui n’ont pas encore été entamés.

Mais revenons à Sourcellerie. L’argument principal du bouquin est simple à comprendre : que se passerait-il sur le Disque-Monde si les magiciens se mettaient à faire de la vraie magie ? De fait, Rincevent et ses confrères (enfin, surtout ses confrères, Rincevent n’étant pas réellement un magicien accompli…) ressemblent davantage à une caste de bourgeois loufoques qui pratiquent une magie relevant plutôt du spectacle de magie que de la magie spectaculaire, si vous saisissez la nuance ! Ils font ce qu’ils peuvent avec des sorts assez complexes, lents à invoquer et aux effets relativement modestes. Rincevent, en particulier, n’impressionne guère avec sa maîtrise toute relative de l’Art.

Que se passerait-il, dès lors, si un individu venait chambouler tout cela ? C’est ce que Sourcellerie nous raconte : le retour d’un véritable magicien, maîtrisant la « wild/wyld magic » si l’on devait prendre une référence de RPG. Exit les incantations qui prennent 10 plombes à caster. Exit les ingrédients complexes à assembler. Thune, un jeune garçon, est un huitième fils au cube (le huitième fils d’un huitième fils d’un huitième fils). Cela fait de lui un sourcellier, un adepte de la magie pure. Son père, qui meurt au début du tome, a une revanche à prendre sur l’Université de l’Invisible. Chassé de ses rangs par ses pairs car il a pris femme (ce qui est interdit aux magiciens, justement en raison du risque de procréer un sourcellier), il floue la Mort en projetant son essence dans un bourdon (le fameux bâton de magicien) en métal qu’il lègue à son fils. Il n’aura dès lors de cesse d’éduquer son fils pour qu’il maîtrise ses pouvoirs incommensurables et renverse l’ordre établi en chassant le doyen de l’Université d’Invisibilité.

Et le puissant et jeune thaumaturge y parvient en deux temps trois mouvements. Sa maîtrise exceptionnelle de la magie fait de lui le plus puissant mage sur la face du Disque-Monde. Avec des effets collatéraux : le renouveau de la sourcellerie ouvre la possibilité pour tous les mages du royaume de puiser directement dans l’essence primordiale de la magie et de pratiquer, enfin et à nouveau, une magie puissante, rapide et spectaculaire. Et advient ce qui devait advenir : c’est très rapidement la guerre, opposant le jeune Thune et ses partisans à certains magiciens tentant de rétablir l’ordre ancien (et nettement plus civilisé, où pratiquer la magie va de pair avec respecter l’heure du thé).

C’est sans compte, bien sûr, sur le grain de sable qui va gripper la machine. Rincevent, aidé de son sempiternel bagage, de la fille de Cohen le Barbare, de Nigel, un apprenti barbare par correspondance et du bibliothécaire de l’Université invisible (un orang-outan, pour ceux qui l’ignorerait), se retrouve embarqué malgré lui dans une quête qui l’amènera à sauver le Disque-Monde, une nouvelle fois, de l’apocalypse. Ou, plus précisément, de l’Apocralypse (l’apocalypse apocryphe) provoquée par la guerre de magie (et mise en œuvre par les quatre cavaliers de l’Apocralypse, la Mort, la Guerre, la Famine et la Pestilence, qui passent la majeure partie du livre à se torcher dans une auberge sur le chemin d’Ankh-Morpokh). Je vous épargne le développement scénaristique, qui tient de plus en plus la route de livre en livre, pour simplement vous confirmer le génie de la faconde de Pratchett. A partir d’un argument scénaristique loufoque, l’auteur britannique parvient une nouvelle fois à nous embarquer dans 300 pages d’aventures épiques, drôles, sarcastiques, dramatiques et, finalement, très humanistes. Où l’on apprendra aussi que le Bagage peut être jaloux, qu’on peut être une machine à tuer et rêver d’être coiffeuse, qu’on peut être un Sultan du Sud très riche et puissant et être un très mauvais poète, etc.

Et au-delà de tout ça, Pratchett propose une nouvelle fois une réflexion (peut-être malgré lui ?) sur les limites de la fantasy. Sourcellerie nous renvoie effectivement directement en pleine face l’impossibilité d’avoir un système de magie sans règles inhibantes/limitatives dans un univers de fantasy. Les magiciens à la Donjons et Dragons (ceux des RPGs PC plus que papiers, notons-le) n’ont en fait aucun sens quand on y réfléchi deux minutes. Leurs pouvoirs seraient tellement étendus que cela ferait d’eux l’équivalent de Dieux immortels et invincibles. Et, donc, très rapidement, des tyrans. Pratchett nous rappelle ici qu’il est nettement plus sain, dans un univers de fantasy qui se veut réaliste, d’avoir de mauvais magiciens, des types qui claquent des doigts pour invoquer une flammèche ou qui savent faire sortir un lapin de leur chapeau. Mais pas beaucoup plus, sinon toute la société du monde en question part très rapidement en sucette. C’est ce qu’a compris, par exemple, Brandon Sanderson dans ses multiples séries : les praticiens de ses divers systèmes de magie sont très peu nombreux et dimensionnent par leurs actions le monde entier dans lequel ils vivent, il ne pourrait en être autrement. Sauf si l’on s’appelle Rincevent, bien sûr !

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