Le Nordique

Sous-titré : Chroniques retrouvées du dernier convoi

D’Olivier Anselme-Trichard, 2017.

La formidable collection Ourobores de Mnémos s’est enrichie en 2017 du Nordique, de l’illustrateur/auteur Olivier Anselme-Trichard. Œuvre d’une vie, si j’en crois la quatrième de couverture, Le Nordique est surtout un livre-monde très innovant et difficilement comparable. Rédigée sous la forme d’un journal, annoté et éclairé par divers autres intervenants, l’œuvre se veut la confession écrite d’un illustrateur chargé de cataloguer les diverses espèces vivantes rencontrées par le Nordique, convoi monstre de plusieurs centaines de milliers de pèlerins, quittant ses terres natales, marquées par un fondamentalisme religieux de plus en plus agressif, pour la ville de naissance de son prophète, dans une contrée voisine répondant à un autre type de monothéisme exclusif.

Ajoutez à cela que le narrateur, l’illustrateur-naturaliste Cahnis voit poindre en lui une deuxième personnalité alors que le convoi lui-même semble sous l’effet d’une drogue de masse et vous aurez un texte pas piqué des vers. La découverte d’un monde cohérent, avec une société étrange et une faune et une flore détaillée font du Nordique un véritable livre-monde à ambition mytho-poétique. Et c’est, à mes yeux, un véritable succès. Anselme-Trichard, qui a surtout travaillé dans le monde du jeux vidéo (mais aussi de l’animation pour enfant dans ses jeunes années), a une plume acérée, qu’elle soit au service des mots ou des dessins.

Le danger d’un monde nouveau, très différent des canons classiques de la fantasy et du fantastique, est le risque de gloubi-boulga quand on développe son vocabulaire propre. Sans atteindre les hauteurs d’un linguiste façon Tolkien ou la faconde d’un Alain Damasio, on sent à chaque page qu’Anselme-Trichard a travaillé et retravaillé son texte pour le rendre compréhensible malgré l’adoption de tout un vocable nouveau, parfois très alambiqué. Et si certains passages demandent clairement qu’on s’accroche (le personnage principal, parano et régulièrement sous l’effet de drogues diverses, n’est pas toujours d’une cohérence optimale lorsqu’il rédige ses notes/son journal), le récit principal reste limpide du début à la fin.

Le tout est en plus servi par les très beaux dessins de l’auteur. Ils s’insèrent évidemment parfaitement dans le récit, même s’ils n’ont qu’une portée illustratrice. Le style se veut réaliste, même si le design s’approche souvent de Moebius (notamment dans les vêtements des différents protagonistes). Le tout donne le sentiment d’un univers construit dans ses moindres détails, pensé tant dans sa zoologie que dans ses habitus sociaux ou dans l’histoire de ses religions. A travers l’une des illustrations en milieu de bouquin, où l’on voit ce qui semble être un immeuble à l’abandon en arrière-plan, on est en droit de se demander si l’univers du Nordique n’est pas une Terre post-apocalyptique, même si c’est le seul indice possible d’un éventuel lien avec notre monde.

Il n’est pas simple de trouver un point de comparaison, comme je le disais. Le monde développé, à travers l’avis singulier (et torturé) de Cahnis, ne ressemble à rien de connu. Maintenant que je cherche d’autres exemple, je ne peux que penser, à nouveau, aux futurs étranges construits par Moebius dans certaines de ses BD. Ou encore à l’univers très particulier de l’Incal ou des Méta-Barons de Jodorowsky. Ou encore, en effet, à La Horde de Contrevent de Damasio, en plus condensé et plus lisible.

Le Nordique est donc une très belle surprise, qui se lit comme un rêve halluciné dans un monde étrange. Si la fin est un peu abrupte et que l’on aurait aimé suivre Cahnis dans d’autres contrées (sans vouloir davantage dévoilé l’intrigue), Le Nordique est un récit complet, oppressant et jouissif par son inventivité débridée. Bel objet, plus original encore que le Kadath publié dans la même collection et basé sur l’univers de Lovecraft, le roman illustré d’Olivier Anselme-Trichard n’a finalement qu’un seul défaut : son auteur a mis 12 ans à le réaliser. En d’autres termes, si l’on veut parcourir une nouvelle fois les terres du Nordique et en comprendre davantage sur son univers foisonnant, il y a fort à parier qu’il faudra prendre son mal en patience. Pendant longtemps.

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