Le Vent dans les Saules

De Kenneth Grahame, 1908.

Profitant d’une réédition poche chez Libretto à seulement 10 €, avec une agréable couverture en simili-cuir vert clair, je rattrape un manque flagrant à ma culture littéraire fantasy. Grand classique de la littérature enfantine anglaise, Le Vent dans les Saules a été adapté des dizaines de fois en BD, films d’animation, série animée ou même encore film live depuis ses 110 ans d’existence. L’occasion de revenir au texte d’origine était donc trop belle pour passer à côté.

Et grand bien m’a pris ! L’écriture de Grahame n’a pas pris une ride malgré son âge. La rive du petit cour d’eau bucolique qui sert de cadre à la plupart des histoires du recueil est instantanément familière à tout ceux qui eurent la chance de se balader en forêt dans leur jeunesse. Cette campagne anglaise, universellement reconnaissable, est le décors parfait aux aventures de M. Taupe, M. Rat, M. Blaireau et, bien sûr, l’inénarrable M. Crapaud. La douceur de vivre, la langueur même, qui sourdre de ces tranches de vie nous font retourner dans le passé : à travers ces pages, nous sommes à nouveau les jeunes enfants insouciants que nous fûmes, préoccupés par un bon repas, un bon sommeil et des aventures amusantes à raconter le lendemain aux copains.

Mais Kenneth Grahame n’est pas Béatrix Potter : même s’il s’adresse avant tout aux enfants, il ne peut s’empêcher de livrer aussi à travers ses douces histoires une certaine vision de l’Angleterre du début du XXème siècle. Une Angleterre bucolique, rurale, où il est bon de prendre le temps de vivre. Une Angleterre qui n’existait en fait déjà plus à cette date, victime de l’industrialisation massive qui en fit la première puissance mondiale quelques années avant. Car, pour faire un parallèle qui n’étonnera guère le lecteur de fantasy, il y a quelque chose de la Comté le long de cette rivière tranquille qui sert de foyer à nos héros. Et quelque chose d’hobbit-esque chez messieurs Rat, Taupe et Blaireau. Il fait bon vivre à retrouver son foyer, à partager de multiples repas conséquents, à simplement flâner et profiter d’une nature généreuse et belle.

M. Crapaud est là pour semer le trouble dans cet équilibre tranquille. Par ses idées fantasques, sa passion pour les ennuis et sa très haute idée de lui-même, il est le grain de sel qui vient gripper les rouages et forcer nos héros à sortir de leur torpeur bienveillante et à entrer en action. Tout ceci dans le respect des convenances d’un Angleterre victorienne où le vouvoiement est de rigueur et où l’on ne fraie pas avec les Lapins, ces idiots qui ne pensent qu’à se reproduire ou avec les Fouines et Belettes, les racailles du coin.

D’aucun pourrait penser que tout ceci sent bon le suranné. Et s’il est vrai que certains chapitres sont évidemment d’un intérêt moindre pour un lecteur adulte, il n’en demeure pas moins que le livre recèle quelques bijoux fantaisiste qui parleront au cœur même des plus insensibles d’entre nous. Je pense en particulier au chapitre où messieurs Rat et Taupe récupère le fils de M. Loutre chez le joueur de pipeau aux portes de l’aube, l’esprit de a nature. Ou encore au chapitre où M. Rat est tenté de suivre l’un des siens dans un voyage à travers le monde avant d’être rappelé à l’ordre par son ami M. Taupe. Et les plus jeunes, eux, riront sans doute aux mésaventures de M. Crapaud, qui passe chauffard à repenti en passant par la case prison et par une évasion rocambolesque.

On peut d’ailleurs se demander si Le Vent dans les Saules est réellement un livre de fantasy. Bien que classé comme tel, dans le sous-domaine particulier de la fantasy animalière, les personnages du Vent dans les Saules pourraient tout aussi bien être des gentilshommes anglais victoriens tout ce qu’il y a de plus classique. Mais Grahame n’en fait pas des caricatures d’être humains. Même s’ils sont anthropomorphes par bien des aspects, les protagonistes du roman sont bien des animaux parlant. S’ils ont des épiceries, des relations de bon voisinage, s’ils mangent du saucissons en l’accompagnant de vins italiens, ils n’en demeurent pas moins des rats, des taupes et des blaireaux. Grahame parvient donc à croquer certains comportements de ses contemporains, une certaine nostalgie d’un âge d’or (le titre d’un autre de ses romans, d’ailleurs) perdu, un amour de la nature et des éléments fantastiques légers car, rappelons-le nous : les animaux ne parlent pas, dans la vraie vie. Et ils ne conduisent pas non plus d’automobile.

Personnellement, je ne me suis pas embêté une minute à la lecture de ces quelques deux cents pages que j’ai avalé en quelques heures. Je suis particulièrement enchanté par le niveau d’écriture, exigeant, qui n’a pas le défaut de prendre les enfants pour les idiots et qui, comme c’était l’usage à l’époque, s’adresse à eux avec un vocabulaire soutenu et des évocations qui frisent de temps à autre avec la poésie. Le texte prends en plus une couleur particulière lorsque l’on sait que Kenneth Grahame créa cet univers et ces personnages pour son fils, un entêté qui partageait beaucoup de son caractère avec M. Crapaud, malheureusement décédé quelques années plus tard. La garçon, surnommé la souris, était né aveugle d’un œil et en proie à de nombreux problème de santé. Il s’est suicidé à 20 à peine et Grahame, décédé en 1932, du donc vivre pendant plus d’une dizaine d’année avec une œuvre au succès mondial qui lui rappelait chaque jour son fils disparu.

Passé cette anecdote sinistre, je ne peux que vous encourager de découvrir ce classique qui mérite amplement sa réputation et son succès. Le récent poche à l’avantage d’être économique et pratique à lire, mais il est probablement assez simple de se procurer une des nombreuses versions illustrées qui existent qui seront sans doute plus évocatrices si vous partager la lecture avec des enfants. Le mien est encore un peu petit pour suivre ces aventures, mais le bouquin est certainement sur la pile des œuvres à lui faire découvrir, pas bien loin du Hobbit et de Narnia.

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