Le Grand Dieu Pan

D’Arthur Machen, 1894-1895.

Suivi de :
La Lumière intérieure
Histoire du cachet noir
Histoire de la poudre blanche
La Pyramide de feu

Il y a bien longtemps dans les colonnes de ce blog, en 2017 plus exactement, je vous avais parlé d’un classique de la fantasy publié chez une petite maison d’édition, alors relativement confidentielle, du nom des Editions Callidor. Il s’agissait des Habitants du Mirage, d’Abraham Merritt, que l’on ne trouvait plus guère à l’époque que dans les solderies et autres bouquinistes dans ces vielles éditions J’ai Lu, dans la collection « Fantastique » époque Jacques Sadoul. Le classique de 1932, que j’avais apprécié pour ce qu’il était, à savoir un roman assez mécanique et archaïsant, mais posant néanmoins les fondations d’une fantasy qui allait alors se développer à travers les magazines pulp des décennies suivantes, je finissais l’article en précisant que Callidor, dont c’était là le coup d’essai, semblait être en fâcheuse posture.

L’histoire m’a donné tort, apparemment. Non content d’avoir continué à publier, à un rythme de sénateurs, quelques grands classiques dans une diffusion relativement limitée, l’équipe éditoriale a fait un choix drastique (peut-être liée à un contrat avec un nouveau diffuseur ?) il y a quelques années de s’orienter davantage dans l’édition de luxe, tout en maintenant une ligne éditoriale claire consacrée aux classiques de la littérature de genre. Ils sont même légèrement sortis de leur ligne pour publier également des classiques du roman d’aventure, comme l’Appel de la Forêt de London, Shogun de James Clavell ou encore Spartacus de James Leslie Mitchell.

Et ce Grand Dieu Pan, déjà publié chez de multiples éditeurs dans de multiples formats ces dernières années, en est le plus parfait exemple. Beau livre, contenant non seulement la novella éponyme de Machen, mais également quatre autres nouvelles et plusieurs textes connexes signés Guillermo del Toro, Jorge Luis Borges ou encore S.T. Joshi (excusez du peu !), cette superbe édition trouvera aisément sa place dans les rayonnages de la bibliothèque de l’amateur de fantastique éclairé. Sous sa couverture cartonnée illustrée splendidement par un dessin du paraguayen Samuel Araya se cache quelques bijoux de la littérature fantastique du tournant du siècle, ayant inspiré entre autres les premiers écrits de Lovecraft, au même titre que les romans et nouvelles de Lord Dunsany. Le grammage du papier, le choix des différentes cases de caractères (en ce compris celles qui imitent l’écriture scripturale) et le soin apporté à la mise en page et à la reliure en font réellement un objet de collection, réhaussé en cela par un tirage relativement limité (4.000 exemplaires pour le premier tirage, d’après le colophon).

Ajoutons à ce ceci que Machen n’est pas Merritt, puisque je commençais cette critique par le rappel de ce dernier. Là où Merritt livrait une aventure aimable, marquée cependant par les tropes de son époque et un développement parfois trop mécanique, Machen livre au contraire ici des textes fort, qui allient clairement un amour du « surnaturel » et de la belle littérature. La nouvelle éponyme en particulier, sublimée par la traduction initiale de Paul-Jean Toulet, écrivain français amoureux de la langue dont le nom est malheureusement tombé dans l’oubli, est un parfait exemple d’une alliance réussie entre le roman d’aventure à la Robert Louis Stevenson et le drame gothique à la Marry Shelley. Il faut se rappeler que le gallois Machen, lorsqu’il rédige les diverses nouvelles regroupées dans ce volume, n’a pas encore pu s’inspirer du grand succès de librairie qui s’imposera trois ans plus tard : le Dracula de Bram Stoker, publié en 1897. Machen est donc réellement un pionnier qui eut la chance, comme on l’apprend dans le commentaire de S.T. Joshi, le plus grand spécialiste vivant de l’œuvre de Lovecraft, d’avoir pu écrire ce qu’il voulait, épargné des affres de la vie quotidienne par un héritage heureux.

Le Grand Dieu Pan, comme La Pyramide de Feu, firent scandale à leur sortie initiale, bouleversant une Angleterre victorienne peu habituée à ce que les contes pour enfants trouvent une déclinaison plus adulte et horrifique. Les textes regroupés ici, au-delà de certaines scories dues à leur époque, sont étonnement modernes dans leur traitement : le lien entre le sexe et la damnation y est traité par le biais du surnaturel, en s’inspirant des légendes galloises (et plus largement, britanniques) que sont par exemple le petit peuple, nettement plus inquiétant ici que dans les pièces fantastiques du barde Shakespeare lui-même. Exit le gentil Puck de Songes d’une nuit d’été et place aux fées monstrueuses qui inspireront bien plus tard Neil Gaiman pour certains épisodes de Sandman ou moultes auteurs de fantasy modernes qui « revisiteront » nos contes et mythes comme Arthur Machen l’avait déjà fait à la toute fin du XIXème siècle.

La Lumière intérieure, qui suit Le Grand Dieu Pan, est sans doute la nouvelle la plus faible du recueil, avec son déroulé relativement convenu. L’Histoire du cachet noir, elle, nous plonge réellement dans une ambiance lovecraftienne de recherche d’une civilisation passée sont les traces éparses ne peuvent conduire qu’à d’innommables confrontation. Et bien que je sache que c’est bien sûr Lovecraft qui s’est inspiré de Machen et non l’inverse, il est difficile de trouver meilleur adjectif que lovecraftien pour commenter ces textes. L’Histoire de la poudre blanche, elle, ne s’intéresse pas réellement aux civilisations anciennes mais va directement se confronter à la corruption du corps par l’ingérence de substances impies. Certains passages, presque proches du « body horror » revenant à la mode avec le récent The Substance, trente ans après les délires filmiques de Cronenberg dans le domaine, démontre à nouveau l’incroyable relevance et jeunesse de textes de Machen. Enfin, La Pyramide de feu, sous ses dehors de charmante enquête pastorale, nous confronte elle-aussi à l’indicible et se conclut sans espoir par une porte vers l’inconnu que les protagonistes préfèrent refermer, conscients de ne pouvoir influer des forces trop anciennes et trop puissantes pour eux. Si l’on remplace les collines chauves et sauvages du Pays de Galles par les sombres forêts de la Nouvelle Angleterre, à nouveau, nous pourrions parfaitement être dans un récit de l’homme de Providence.

Enfin, et il faut le souligner, l’ouvrage est parfaitement soutenu par les illustrations éthérées et inquiétantes de Samuel Araya. L’artiste, pour qui illustrer du Machen était apparemment un rêve de gamin, a eu l’intelligence de partir de vieux clichés, chiné à droite à gauche dans des vides greniers, pour les « pervertir » de diverses manières afin de faire surgir eu eux l’image du malin, quel que soit le nom qu’on lui donne. Les 26 illustrations n’ont pas toutes la force d’évocation de celles choisies pour illustrer la couverture et la quatrième de couverture, mais elles apportent clairement une touche dramatique supplémentaire, suggérant plutôt que montrant, puisque le mal est par définition indicible. L’illustrateur revendique d’ailleurs intelligemment dans son court commentaire qui clôt l’ouvrage le fait d’avoir illustrer des situations, personnages et paysages qui ne se trouvent pas dans les textes de Machen, faisant en cela appel à l’imagination du lecteur pour créer le sens et les significations de ses choix. Malin, dans tous les sens du terme. Si vous n’êtes pas encore convaincu à ce stade-ci de ma chronique, je ne sais évidemment qu’ajouter pour vous convaincre. 35€ pour cette superbe édition d’un classique du fantastique ayant inspiré nombre d’auteurs modernes, dans un splendide écrin d’une maison d’édition qui aime son catalogue et son métier devraient, je l’espère, clore définitivement votre débat intérieur, pour autant qu’il ait lieu.

Contes de la fée verte

De Poppy Z. Brite, 1993.

En 1993, lorsque Poppy Z. Brite a débuté sa période de gloire dans la littérature de genre, elle était encore une femme. Maintenant, 30 plus tard, Poppy Z. Brite, de son vrai nom Billy Martin, a changé de genre et est devenu ce qu’il a toujours, semble-t-il, souhaité être : un homme homosexuel. J’utiliserai donc le masculin dans la suite de ce billet, puisque l’auteur en a décidé ainsi. Et ce prolégomène, qui ne s’intéresse qu’à la vie privée de l’auteur, est une précision nécessaire pour bien saisir l’œuvre de Brite.

En effet, ce recueil de nouvelles, préfacé par nul autre que l’excellent Dan Simmons, est fort marqué par les choix de vie de son auteur. Ainsi, à travers les douze courtes nouvelles, Brite met principalement en scène des hommes, jeunes, minces, androgynes et homos pour la plupart (ou bisexuels, pour faire bonne mesure). D’une certaine manière, la lecture du recueil m’a fait de nombreuses fois penser aux shôjos des années 90 et, en particulier, à la production de Kaori Yuki (Angel Sanctuary, Comte Cain, etc.) où des bishounens torturés souffrent à longueur de tome d’un mal-être existentiel souvent provoqué par des frustrations sexuelles inexprimées. Sans même parler de la production yaoi (à savoir des mangas destinés aux jeunes femmes et mettant en scène les émois homosexuels, explicites ou suggérés, entre de beaux jeunes hommes).

Pourquoi cette digression vers le monde du manga ? Et bien parce que c’est, je pense, à peu près le même public qui est visé et les mêmes tropes qui sont utilisés dans ces nouvelles de Poppy Z. Brite. L’auteur poursuit en effet le mouvement entamé par An Rice en 1976 avec son Entretien avec un Vampire et l’amène vers de nouveaux horizons. Brite est connu comme l’un des auteurs majeurs de la tendance splatter horror (= mise en scène très graphique et explicite de l’horreur, à l’instar de l’oeuvre de Clive Barker, inspiré du giallo italien et des séries B américaines d’horreur des années 70/80) au début des années 90. Pourtant, très honnêtement, même si Brite n’évite en effet pas les scènes explicites et a certaine fascination pour la mort, la torture, le glauque et le sexe, tout cela reste relativement sage. Je me souviens que les auteurs « inspirés » par Poppy Z. Brite sont nettement plus dérangeants, par exemple dans les recueils Eros Vampire édités par Brite lui-même quelques années plus tard.

Brite est en effet encore fort marqué par les grands récits gothiques (l’une des nouvelles s’ouvre d’ailleurs sur une référence directe à Lovecraft) des 18 et 19èmes siècles et cela se sent, se voit, se lit dans ses textes. Brite a par ailleurs un talent certain avec sa plume : les nouvelles sont définitivement de très bonne facture quant à leur style. Proches de la poésie, les descriptions des lieux comme des sentiments des protagonistes sont particulièrement agréables à lire, bien servies également par une traduction de très bonne facture. L’ensemble se révèle donc être un recueil de nouvelles érudites, poétiques, dramatiques et sinistres, mêlant allègrement l’hommage à une certaine forme de classicisme gothique et des concepts et réalités davantage punks et modernistes.

Pourtant, et malgré la qualité intrinsèque des textes ici présentés, le recueil s’oublie assez vite. C’est d’ailleurs, si vous me permettez la généralisation, le problème de la carrière complète de l’auteur : s’il a marqué le genre pendant quelques années en proposant quelque chose de neuf et de construit, ses textes sont tombés assez vite dans l’oubli. La raison en est selon moi assez simple : ils sont très marqués dans leur temps. On y voit, on y respire, on y vit une certaine forme de nihilisme grunge & goth très marqué dans l’imaginaire du début des années 90. Par ailleurs, même si les nouvelles proposent des trames assez diverses, du zombie aux fantômes en passant par le conte macabre, ils ont le grand défaut d’être trop semblables l’un à l’autre. Calcutta, seigneur des nerfs, seule nouvelle primée du recueil, en est sans doute la meilleure : elle offre une relecture intéressante et désespérée du concept de zombie. Mais pour les autres, bien vite, les différentes histoires ont tendance à s’effacer de la mémoire du lecteur pour se mélanger et laisser un souvenir confus d’histoires mélodramatiques, où les frustrations et perversions sexuelles se mélangent aisément avec un goût prononcé pour le macabre, l’horreur et le désespoir.

Poppy Z Brite lui-même en a d’ailleurs eu marre après quelques années et a choisi de quitter la littérature de genre pour passer à des textes plus positifs et brillants, arguant que cette fascination pour l’horreur avait un effet négatif sur son équilibre mental. On ne peut que le croire, mais force est de constater qu’il a depuis lors complètement disparu de la circulation et n’a plus été mentionné qu’en raison de sa transition de genre et non plus, malheureusement, pour ses œuvres. Reste à soulever notre verre d’absinthe (la fée verte éponyme, pour les inattentifs) en hommage à la carrière en forme d’étoile filante de la littérature de genre dont le recueil ici chroniqué est sans doute le parangon de sa production. Santé.

Interview with the Vampire – Saison 1

De Rolin Jones, 2022.

(Je vous avais prévenu qu’on tournerait autour du vampire pendant quelques temps sur ce blog…)

Sorti bizarrement en catimini, la première saison de la nouvelle adaptation du classique de 1976 d’An Rice mérite pourtant largement le détour. Pas disponible sous latitudes (mon Dieu ! je suis un vilain pirate), la série a été diffusée à l’automne 2022 sur AMC, le diffuseur de Mad Men, Breaking Bad ou encore Walking Dead. Peu de titres, à l’inverse de Netflix et consorts, mais de la qualité. C’est également la première série de l' »Immortal Universe » qu’AMC compte développer autours des écrits de la regrettée An Rice, décédée fin 2021 après avoir cependant approuvé les plans d’AMC sur cette série et sur la prochaine, centrée sur les Sorcières de Mayfair et qui sortira en ce mois de janvier 2023.

Cela faisait déjà donc un paquet d’année que les droits d’adaptation sur le best-seller vampirique de Rice circulaient d’une maison de production à l’autre, certainement depuis le regain de la littérature vampirique avec la série de Stéphanie Meyer fin des années 2000. Pourtant, depuis l’adaptation de Neil Jordan dans les années 90 et sa suite MTV-esque quelques années plus tard (La Reine des Damnés, qui adapte conjointement les romans Lestat le Vampire et La Reine des Damnés, sur une bande-son pure nu métal), personne n’était parvenu à réadapter le roman original qui a bouleversé, fin des années 70, la figure du vampire pour le faire entrer dans un nouveau siècle.

C’était donc un beau défi auquel Rolin Jones a tenté de répondre au mieux. Le showruner, à l’origine de Weeds et de Broadwalk Empire, aidé par une armada de scénaristes et de producteurs, a décidé courageusement de faire une nouvelle adaptation, en même temps plus fidèle et pourtant plus éloignée du roman d’origine que la version de Jordan. Et d’aucun trouveront que certains choix d’adaptation sont réellement drastiques. Ainsi, première surprise, dès les premières minutes du premier épisode : Louis de la Pointe du Lac est un proxénète créole dans la Nouvelle-Orléans des années 1910. Exit l’héritier des plantations, on a affaire à un personnage principal afro-descendant dans une Amérique encore totalement ségrégationniste du début du XXème. De son côté, Lestat reste le français blond décadent avec lequel nous sommes familiers.

Autre changement : les deux personnages principaux sont ouvertement gays et, ce, dès le départ. Là où An Rice cultivait un certain flou dans le roman original et où le film de Jordan choisissait pudiquement d’éviter le sujet, cette nouvelle adaptation ne s’embarrasse pas de faux-semblants. Certains trouveront cela particulièrement woke, mais c’est pourtant dans le respect de l’œuvre de Rice, puisqu’il n’y a plus aucun doute sur les préférences sexuelles des protagonistes dès le deuxième tome de la saga des vampires (soyons justes : la plupart sont bisexuels, ce qui est le cas aussi dans cette nouvelle série, à l’exception de Louis qui n’est que gay). Troisième grande différence : Claudia est également black et beaucoup plus âgée que dans le roman ou dans la première adaptation. C’est maintenant une adolescente de 14 ans et non plus une petite fille de 7-8 ans.

Passer ces trois choix éditoriaux d’adaptation que d’aucun trouveront drastiques, l’adaptation est dans son esprit très fidèle. L’important est et reste de s’intéresser au cheminement mental d’êtres profondément malsains et perturbés. L’immortalité s’accompagne en effet toujours d’une certaine forme d’immoralité. L’exubérance sanglante d’un Lestat manipulateur, cruel et jaloux s’oppose à un Louis plus faible, blessé et innocent. Il faudra attendre l’arrivée de Claudia pour que l’équilibre entre les deux amants se brise et que la relation maître-dominé soit finalement dépassée.

La série a aussi l’intelligence de questionner tant la première adaptation que le roman d’origine. En choisissant d’ouvrir la série par l’interview éponyme dans un cadre totalement inédit et avec des personnages moins naïfs, cela permet une véritable réflexion sur le matériau d’origine. Ainsi, c’est toujours le journaliste Daniel qui interviewe Louis sur l’histoire de sa vie. Sauf que ce n’est pas la première interview. Celle qui ouvre la série est une nouvelle interview, plus de 40 ans après la première qui eu lieu dans un bar gay fin 1970. Celle-ci a lieu dans le gigantesque penthouse de Louis à Dubaï, dans une ambiance crépusculaire et épurée. Daniel, vieux et malade, n’est plus dans la position du journaliste naïf qui se laisse impressionné par l’immortel qu’il interview : c’est un homme aigri et cynique qui n’hésite pas à mettre le doigt où ça fait mal. Ainsi, il interrompt très régulièrement Louis pour mettre en lumière le syndrome de Stockholm évident dont il souffrait dans sa relation avec Lestat, mais aussi les nombreuses incohérences de son récit.

Bref, cette adaptation est une véritable réécriture du roman d’origine, avec pour noble ambition de rajeunir un texte qui a maintenant plus de 45 ans en y intégrant un discours politique moderne et en allant un cran plus loin dans l’analyse psychologique de ses protagonistes. Et l’ensemble tient très bien la route. Les 7 épisodes, qui adaptent la première moitié du roman (en gros, du début de l’histoire à la fuite de Louis et Claudia vers l’Europe), prennent leur temps pour exposer leurs enjeux, leurs personnages et leurs tensions. Ce luxe (7 fois 50 minutes laisse évidemment beaucoup plus de place que les 120 minutes de la première adaptation) permet également d’aborder le contexte plus large de la série d’An Rice en y insérant certains éléments qui ne seront abordés dans le détail que les tomes ultérieurs. Et cela sans tirer en longueur et sans épisode « filler« , ce qui est pourtant toujours un risque quand on doit remplir des centaines de pages de scénario à partir d’un roman somme toute de taille modeste (le premier).

Et, pour ne rien gâcher, AMC a mis les moyens dans l’adaptation. Sans être dans l’exubérance d’un HBO ou dans les ficelles techniques d’un Netflix, le diffuseur a plus que réussi à recréer une Nouvelle-Orléans début du siècle convaincante, tant dans ses extérieurs que dans ses phases en studio. Les effets spéciaux, discrets, sont très efficaces et concernent évidemment surtout les déplacements divers et variés de nos amis vampires qui ne répondent pas forcément aux mêmes lois physiques que nous, pauvres mortels. La série n’hésite pas non plus à être relativement graphique dans quelques scènes très sanglantes où Lestat (et Louis… et Claudia, bien sûr) s’en donne à cœur joie dans le massacre du faible et de l’innocent. Elle est aussi relativement explicite dans les scènes de sexe, mais c’est devenu un incontournable depuis que HBO a changé les standards en la matière il y a plus d’une décennie maintenant.

Le casting est également impeccable. Sam Reid en particulier vole toutes les scènes dans lequel il apparait, avec une interprétation de Lestat qui le rapproche effectivement d’un fauve cruel et imprévisible. Bailey Bass joue une Claudia plus que convaincante et maîtrise parfaitement le vieillissement de son personnage d’un épisode à l’autre, d’une petite fille un peu naïve au monstre froid et calculateur que l’on anticipe. Eric Bogossian est une super-idée de casting pour un vieux Daniel Molloy, qui n’hésite pas à se moquer ouvertement des immortels avec lequel il fraye. Finalement, c’est probablement Jacob Anderson en tant que Louis qui est le plus faible. Il m’a fallu quelques minutes pour reconnaître l’acteur de Game of Thrones, mais j’ai du mal à le trouver convainquant quand il doit être cruel ou exprimer sa grande force physique. Bon, en étant honnête, il est difficile de faire la part des choses entre une interprétation peut-être un peu molle et le personnage en tant que tel, qui est clairement le personnage le moins intéressant et le plus énervant de l’histoire d’origine. A force d’hésiter dans ses duels moraux, il finit par ressembler à une poule de luxe incapable de penser par lui-même…

La révélation finale des dernières minutes du septième épisode laisse présager une seconde saison tout aussi efficace que la première, avec là aussi des choix courageux de la part des producteurs et des scénaristes. Et si ça bouleverse un peu l’œuvre d’origine, c’est tant mieux. Je sais que nombre de fans de la première heure, qui ont grandi avec le roman ou le film de Neil Jordan, ont abandonné la série après le premier épisode, choqués par ces choix d’adaptation qui trahissent l’œuvre qu’ils chérissent. J’ai moi-même été fort surpris dans le premier épisode (je n’avais pas entendu parler de l’adaptation avant de la débuter, ce qui m’a préservé de toutes attentes particulières) et je peux donc comprendre la réaction. Cependant, j’encourage réellement tout le monde a dépasser ce choc initial : c’est une très bonne adaptation, bien interprétée et réalisée avec brio. Si le premier épisode est peut-être un peu lent, il n’en demeure pas moins que les sept épisodes ont été consommé en quelques jours et provoque une certaine forme d’anticipation pour la série des sorcières et l’entrée en scène de la talamasca. Je suis aussi curieux de voir s’ils adapteront les suites du roman initial, bien que l’intérêt diminue franchement après le troisième tome lorsque Rice part dans un délire religieux-existentialiste.

Dracula 2000

De Patrick Lussier, 2000.

A l’aulne de mes lectures hivernales, le blog va traverser une petite période vampirique (vampiresque ?) dans les semaines qui viennent. Le silence relatif de ces derniers n’est pas synonyme du fait que je me suis coupé à toutes formes de lecture ou de visionnage, mais bien du fait que je n’ai pas eu (pris ?) le temps de chroniquer ceux-ci. Commençons donc à réparer cela avec un bref billet sur ce chef-d’œuvre ignoré du 7ème art qu’est le Dracula 2000 de Patrick Lussier, sorti dans nos contrées en 2001 sous le titre, ma foi assez logique de « Dracula 2001« . Forcément.

Et si vous lisez entre les lignes une certaine forme d’ironie dans le commentaire du paragraphe précédent relatif à l’indifférence générale dans l’accueil dudit film, vous n’avez évidemment pas tort. Car Dracula 2000 est… comment dire ? Raté ? Le mot est sans doute un peu trop faible pour décrire le naufrage total que représente ce film, pour le mythe du vampire comme pour le cinéma en général. Patrick Lussier, monteur canadien de Wes Craven sur Scream 2, 3 et divers autres opus (en ce compris le Mimic de del Toro, l’un des rares films de sa filmo qu’il désavoue complètement), s’était senti poussé des ailes (de chauve-souris ?) après la sortie d’un premier long signé seul, en l’espèce le troisième opus de The Prophecy (inconnu au bataillon – sorti directement en vidéo). Faiseur aimable, le garçon, malgré l’échec critique et public de son Dracula 2000, s’est entêté et a même signé un 2ème et un 3ème opus à son étron, eux-aussi directement sorti en vidéo, avant de poursuivre avec quelques longs métrages d’horreur, méconnus eux-aussi, sortir dans les années 2000. L’un de ces derniers faits d’arme étant d’avoir co-signé le scénario (une première pour lui) de Terminator Genisys, l’opus qui a définitivement fair perdre tout espoir en la franchise à ses multiples fans. Bref, le garçon a un palmarès en béton : que de la merde. Et de première classe.

Il ne fallait donc pas s’attendre à grand-chose avec cette relecture « cool » du classique de Bram Stoker. 8 ans après l’excellente version de Coppola (portée par un casting de première classe et des idées de mise en scène qui démontre qu’un réalisateur peut effectivement être un artiste), Lussier, Dimension Films et Wes Craven Films se sont dit qu’il était temps de surfer sur le succès de Buffy et de faire rentrer le comte dans le XXIème siècle. D’aller un pas plus loin que Fright Night ou Near Dark (on va y revenir, vous inquiétez pas !), de faire mieux que le Bram Stoker’s Dracula de Coppola ou l’Interview with the Vampire de Jordan et de faire de Dracula un erzatz du premier Blade, sorti 2 ans plus tôt, en conservant cependant les références et l’esprit du roman d’origine.

On retrouve donc Matthew Van Helsing, descendant du célèbre professeur/chasseur de vampire hollandais, en ses bureaux à Londres en cette formidable année du Y2K (Waiting for tonight, ohooohooo, pour ceux qui s’en souviennent… bordel, je suis vieux !). Le descendant, riche antiquaire joué par Christopher Plummer ostensiblement à côté de ses pompes, est bien vite trahi par une assistante vénale qui, avec un bande de potes armés jusqu’aux dents (ce qui n’a aucun sens, pour braquer un antiquaire), va voler un cercueil hermétiquement fermé trouvé dans les caves (littéralement, des caves, même si le décors sonne carton-pâte à 1 million de km, considérant que les murs ressemble à une grotte, mais que le plancher est juste parfaitement lisse) gothiques sous la galerie commerçante londonienne où Van Helsing a ses bureaux. Perdant deux membres au passage, le groupe décide pour des raisons totalement aberrantes, de partir avec le cercueil via un rivière souterraine (mais bien sûr, pourquoi pas ?) et de rejoindre un jet privé (ils sont vachement riches, les voleurs à la petite semaine) les Etats-Unis… Pas de bol pour eux, le bon comte se réveille à l’approche des côtes de la Louisiane (ce qui, quand on y pense et partant de Londres, est une drôle de porte d’entrée, mais soit, la Nouvelle-Orléans, c’est tellement chic !) et tue tout le monde à bord, causant le crash de l’avion quelque part dans les Everglades.

S’en suit alors une chasse à l’homme assez improbable où Van Helsing (que l’on découvre être évidemment le Van Helsing d’origine, survivant toutes ces années grâces à des transfusions de sang de Dracula, raison pour laquelle il le gardait dans sa cave jusqu’à la découverte hypothétique d’une manière de tuer le comte) et son assistant, Simon, vont tuer un à un les vampires grandguignolesques créés par Dracula dans sa fuite, dignes de la première saison de Buffy, en ce compris les trois succubes du roman d’origine. Et quelle est la motivation de Dracula dans tout ceci ? Eh bien il veut retrouver sa « fille » naturelle, qui est en fait la fille d’Abraham Van Helsing (beeeek, Abraham devait avoir genre 200 ans quand il fait sa gamine avec la mère de la fille en question… Eeeek !), dans le sang de laquelle coule le sang du Comte (en raison des transfusions, vous suivez ?), faisant d’elle le premier vampire « naturel » après le Comte lui-même. Mais attention, accrochez-vous à vos baskets, car le film ne s’arrête pas là pour tordre le lore du Dracula d’origine. Ici, il n’est nullement question d’un Prince des Carpathes. Dracula n’est nul autre que Judas Iscariote, ce qui explique son aversion pour les croix et pour l’argent (les trente deniers sont supposément des pièces d’argent). On cherche encore le rapport avec l’ail et le soleil, mais soit.

J’oubliais encore un élément essentiel du récit : la fille de Van Helsing, Mary (jouée par Justine Waddell) travaille dans un Virgin Megastore (la pub est valide, puisque ça n’existe plus entretemps, à ma connaissance – Edit : ah, ben si !). Important car vous verrez le logo de Virgin un très très grande nombre de fois dans le film, que vous le vouliez ou non. Dans le genre, difficile de faire moins subtil, comme placement de produit (de marque, en l’occurrence).

En deux mots, vous l’aurez compris, c’est bien bien naze. Réalisé avec les pieds, cheap au possible et très mal joué par une brochette d’acteurs inconnus au bataillon. J’exagère sur ce dernier point : Dracula est en effet joué par nul autre que Gerard Butler. Jeune et présenté comme un éphèbe, mais ça ne marche quand même pas. Je m’attendais à tout moment à le voir balancer des high-kicks au son de (prendre un accent écossais exagéré ici) « This is Transylvania !!!« . J’ai de la peine, finalement, pour Christopher Plummer, acteur prolifique qui a joué dans nombre de bons films. Il devait avoir réellement des problèmes d’argent pour commettre un nanar pareil. Mais aussi pour Jonny Lee Miller, dont on a voulu ici faire le premier rôle masculin et une sorte de super-héros chasseur de vampire. Le brave homme aurait mieux fait de reste chez Danny Boyle (c’est le Sick Boy de Transpotting) et de ne pas se lancer dans une carrière solo d’action hero…

Concluons par le fait que le film est non seulement raté dans sa forme et dans son exécution, il est également raté dans ses intentions. A aucun moment Dracula n’est effrayant, pas plus que séduisant. Les rares moments d’intensité dramatiques sont désamorcés par une vanne nulle qui tombe à plat mais qui est tellement dans l’esprit des comédies « cool » de la fin de années 90. On est réellement face à une série Z plutôt qu’à une série B. Un bon nanar peut faire rire, celui-ci n’est qu’affligeant. Mesdames et messieurs, écoutez mon conseil : même si comme moi vous êtes curieux par nature, passez votre chemin.

Le guide de la SF et de la Fantasy

De Karine Gobled, 2017.

ActuSF, depuis quelques années, a publié nombre de petits guide relatifs aux littératures de genre, soit sous forme de monographie d’auteur (Lovecraft, K. Dick, Tolkien, Stephen King, Howardvolume déjà abordé ici -, etc.), soit sous forme de guide plus généraux relatifs à un courant particulier (l’uchronie, le steampunk, etc.) Ce guide-ci, par son ambition très large, puisqu’il vise à être une porte d’entrée pour toute la SF et toute la Fantasy, sort un peu du lot.

Karine Gobled, également connue sous le pseudo de Lhisbei quand elle écrit sur le blog du répertoire de la science-fiction, prend donc la plume avec une très grande ambition : nous ouvrir aux multiples territoires de la littérature SFFF. Les éditions Folio SF, de leur côté, avaient choisi quelques années auparavant de traduire cette ambition en plusieurs ouvrages (notamment un sur la fantasy et un sur la SF), peut-être de manière plus sage face à l’ampleur de la tâche. Pourtant Gobled prend clairement son courage à deux mains et se lance dans l’ouvrage qui répond à un cahier des charges très précis établi par les éditions ActuSF : après une courte introduction, il faut aborder son sujet à travers une courte liste d’idées reçues à pourfendre pour attirer le lecteur curieux vers un nouveau genre et poursuivre par des chapitres sur chaque genre et sous-genre en y détaillant les caractéristiques principales et en y insérant une liste d’œuvres phares ainsi que des conseils de lecture si l’on a apprécié tel ou tel bouquin. Gobled conclut également son livre par quelques interviews (des auteurs, des responsables de festivals de SFFF, des universitaires qui traitent la matière, etc.) ainsi que par quelques courts chapitres sur les éditeurs français du secteur et sur les prix littéraires, notamment.

L’ensemble du guide est plutôt plaisant à lire et bien écrit, Gobled ayant manifestement des facilités d’écriture et le sens de la formule. Pourtant le lecteur averti ne peut sans doute que rester sur sa faim. Si, contrairement à Apophis, dont il est notoirement connu qu’il est très exigeant et détailliste sur les sous-genres de la SFFF (sa taxonomie, pour aussi riche qu’elle soit, m’a toujours légèrement ennuyée : ajouter des sous-cases dans des cases n’aide pas à s’ouvrir à un genre, je le crains), je n’accorde que peu d’importance aux imprécisions qui émaillent l’ouvrage de ci de là, car elles n’ont à mes yeux qu’une importance mineure pour un lecteur curieux qui voudrait se renseigner avant de se lancer dans la SFFF, je suis par contre plus dubitatif sur certains accents mis en avant par Gobled.

Le principe d’un guide limité est par définition frustrant : certains textes que l’on considère (ou que la majorité considère) comme des références ne s’y trouvent pas. Et cela nous choque forcément, quand on défend ses goûts et que l’on se veut un minimum prosélyte. Mais ceci est de bonne guerre : d’un individu à l’autre, les choix diffèrent et nous sommes condamnés à l’accepter, voire à nous en réjouir car cela ne fait que démontrer la pluralité d’avis dont notre société actuelle semble souvent faire défaut. Malgré ces quelques phrases convenues, je trouve particulièrement gênant que Gobled insiste énormément sur l’uchronie (elle est également la co-autrice du Guide de l’uchronie, toujours chez ActuSF), la mettant à toutes les sauces dans les différents chapitres et laissant accroire au lecteur inattentif qu’il s’agit vraiment là d’un courant qui est pratiquement devenu majoritaire. Ce qui n’est pourtant pas le cas.

Je suis également partagé sur le choix de certaines références : bien qu’il soit agréable de mettre en avant certains auteurs français contemporains comme des références et que cela évite ainsi une énième énumération de la liste des auteurs anglo-saxons immanquables que l’on peut trouver partout sur le web, les mettre en avant revient également à « oublier » certains auteurs majeurs de l’histoire du genre, à l’instar de Gay Gavriel Kay ou de Glenn Cook (pourtant également très connus sous nos latitudes). Ou encore de toutes les autres nationalités possibles et imaginables ! Je suis également un peu chagriné sur le fait que Lovecraft se retrouve tout d’un coup à nouveau classé en Dark Fantasy, selon le vieux vocable de Presses Pocket, alors même que le genre de la Dark Fantasy tel qu’on l’entend actuellement représente tout à fait autre chose (Glenn Cook, à nouveau, mais aussi Scott Lynch, R.R. Martin et d’autres).

Au-delà de ces débats qui peuvent passer pour des débats de chapelle aux yeux des néophytes, je crains que le bouquin se noie un peu dans son contenu et perde son lecteur après quelques dizaines de pages, malheureusement, en voulant en même temps trop en mettre et pas assez pour être une vraie porte ouverte. Moi qui suis toujours un grand amateur de livre parlant de livres, sans comprendre réellement pourquoi d’ailleurs, je suis ressorti un peu frustré de la lecteur de ce petit guide. Je ne m’attends plus spécialement à apprendre beaucoup de choses nouvelles quand j’ouvre ce type d’ouvrage, mais je suis toujours heureux de constater qu’ils me donnent envie de lire l’un ou l’autre titre, l’un ou l’autre auteur qui, pour des raisons x ou y, m’ont jusqu’alors échappé. Ce ne fut pourtant pas le cas lorsque je tournais voilà quelques jours la dernière page de ce Guide de la SF et de la Fantasy. Dommage ; une occasion manquée par une ambition probablement trop large et quelques choix hasardeux.