Les Tours de Samarante

De Norbert Merjagnan, 2008.

Pris un peu au hasard dans ma kilométrique PAL (car j’avais envie de SF, d’un coup), j’avoue être agréablement surpris par ce premier roman du discret Norbert Merjagnan. Ce premier tome d’un diptyque (le second se nomme Treis, Altitude Zéro) est un condensé d’hard-boiled SF très anglo-saxonne. Difficilement résumable, l’intrigue nous embarque dans le destin croisé de trois personnages principaux aussi différents qu’intéressants : Oshagan, un combattant ascétique qui revient dans sa ville d’origine, Samarante, pour y assouvir une vengeance comme le monstre qui a tué sa famille; Cinabre, une clone/humain améliorée, construite pour être extra-lucide/extra-sensorielle, qui s’embarque dans une course-poursuite mortelle dont elle ignore les raisons; et Triple A, un jeune des quartiers pauvres de Samarante qui veut montrer au monde qu’il existe.

Le tout dans une société futuriste où la vie s’est regroupée dans quelques mégapoles, véritables Cité-États futuristes régies par une société de castes très marquée où différentes corporations dirigent la vie des gens. Entre ces mégapoles, c’est le désert sauvage, peuplé de bêtes monstrueuses et d’irréductibles tribus de nomades fiers de leur indépendance et de leurs choix de vie.

Du très classique ? Sans doute, oui. Comme souvent, dans une première œuvre, on voit dans le bouquin de Merjagnan toutes les influences qu’il y a mis. Dans le désordre, je vois du Gunnm (les Tours du titre font méchamment pensé à Zalem, comme l’histoire de Triple A, au début, fait penser à celle de Yugo dans les premiers volumes de Gunnm. Le fait que [SPOILER] il perde son corps et soit réincarné temporairement dans une « borne de contrôle » comme celles de Gunnm aide aussi au parallèle ! [/SPOILER]), du Dune (les déserts à l’extérieur des villes, la tribu qui attend son messie), du K. Dick (quelques petits problèmes de personnalité et/de réalité à la clé), de cyber-punk (les corpo, tout ça) et même, plus étonnant, des Cités obscures (après tout, Samarante ressemble sémantiquement fort à Samaris et Urbicandre, deux des cités obscures imaginées par Schuiten et Peeters).

Mais bizarrement, là où ce trop-plein de références et d’hommages peut parfois être indigeste (Structura Maxima d’Olivier Paquet était très sympa, mais un poil trop copié/collé sur Dark City pour être vraiment intéressant), le syncrétisme des sources qu’opère Merjagnan rends l’ensemble franchement honorable. Cela tiendrait-il alors à sa plume particulière ? Car le garçon a certainement une certaine faconde pour rédiger de belles pages. Pourtant, cela ne doit pas être ça car le texte est malheureusement inégal : en effet, l’auteur s’amuse à multiplier les styles en fonction des points de vue développés (à la manière d’un Damasio sur la Horde de Contrevent) et le fait avec un certain brio. Pourtant, certaines options prises rendent parfois le texte assez confus et quelques fois même un peu brouillon. L’idée de construire un univers propre est évidemment un plus, mais Merjagnan a le défaut classique d’un auteur neuf : il veut en mettre trop. Du coup, même si son monde a l’air intéressant, il donne trop de nouveaux concepts, trop de nouveaux mots couvrants pourtant des réalités classiques de SF en un nombre réduit de pages. Du coup, le lexique de fin est le bienvenu. Et c’est généralement mauvais signe : s’il faut aller piocher dans le lexique car on a oublié la définition d’un terme inventé entre deux occurrences, c’est que le concept n’est pas super bien présenté.

Mais passé ces scories de premier roman, on découvre certainement un certain souffle dans Les Tours de Samarante. Il parvient, surtout pour ces trois personnages principaux, à éveiller l’intérêt du lecteur. Du coup, malgré quelques difficultés de compréhension/de construction, on ne peut s’empêcher de tourner les pages pour découvrir le fin mot de l’histoire, le pourquoi du comment de tout ceci. Merjagnan maîtrise donc déjà bien la construction d’un schéma narratif ; il lui faut juste travailler davantage la forme, quitte à ajouter une centaine de pages à son roman pour y installer plus durablement ses concepts, ses rebondissements et son world-building.

Le pari est finalement tenu : j’ai bien envie de me lancer dans le second tome du diptyque après le dénouement partiel du premier tome. Et hâte de voir si l’auteur aura l’intelligence de reprendre certains fils abordés dans ce premier opus et, bizarrement, abandonnés en cours de route. J’ai bon espoir.

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