Dune

D’Alan Smithee, 1984.

Il est temps de se préparer petit à petit à l’un des films que j’attends le plus en 2020, le nouveau Dune de Denis Villeneuve (connu sous le titre assez logique de Dune 2020). Le roman est prévu pour les mois qui viennent (oui, j’avoue ne jamais avoir dépassé les 50 premières pages du classique de Frank Herbert…), mais c’était aussi l’occasion de revoir une énième fois le « formidable échec » de David Lynch de 1984. Vous aurez cependant remarqué que je ne cite pas David Lynch comme réalisateur, mais bien Alan Smithee. Car je vais aujourd’hui vous parler de la version télé et non de la version cinéma. Cette version, plus longue de près de 30 minutes, a été reniée par Lynch, qui avait déjà beaucoup de mal avec la version originale. A tel point qu’il demanda que son nom soit remplacé par Alan Smithee en tant que réalisateur (vieux truc de réalisateur qui râle contre son producteur) et par Judas Booth en tant que scénariste (le message est assez clair de Lynch vers les producteurs : ce sont des judas qui ont assassiné son film –John W. Booth étant l’un des assassins les plus célèbres des États-Unis-).

Pourtant, les modifications/ajouts par rapport à la version cinéma ne dénaturent pas trop le final cut de Lynch. Les ajouts principaux se résument à une nouvelle intro, plus explicite que le monologue de la fille de l’Empereur Padischah Shaddam IV de la version filmée, et des scènes supplémentaires ajoutées ci et là pour donner un peu de background supplémentaires aux personnages (quelques nouvelles scènes chez les Fremen permettent de mieux comprendre le peuple en question). Bien sûr, ces scènes ajoutées sont moins « finies » que celle de la version cinéma, ce qui donne des scènes utiles à l’histoire mais visuellement peu intéressantes. De même, la réutilisation en boucle de certaines scènes lors de la scène de bataille entre les Harkonnen et les Atréides sur Arakis appauvrissent en fait l’effet à l’écran. Cela donne une impression très cheap quand on réutilisent des scènes plusieurs fois pour ajouter des scènes d’action dans un film qui n’est, en fait, pas un film d’action. C’est sans doute la raison qui fait que Lynch renie cette version. Ajoutez à cela que la censure idiote imposée par la diffusion télé US en deux soirées d’une heure trente supprime aussi quelques scènes visuellement très impressionnantes qui ont marqué les spectateurs de Dune, à l’instar de la scène où l’affreux Baron Harkonnen tue sans raison un de ses esclaves en « débranchant » son cœur sous le regard hilare de ses neveux.

Ce que cette version gagne en contexte (et donc en lisibilité), elle le perd en ambiance et en ampleur. Et c’est bien sûr dommage, puisque c’est le point fort du film, pour finir. Bien sûr que Dune est un échec commercial. Bien sûr que cela ne rend ni justice au texte d’origine, ni au projet initial de Jodorowsky. Le formidable reportage Jorodowsky’s Dune explique cela en long et en large et n’est pas le propos de cette critique, mais je ne peux que vous conseiller d’aller y jeter un œil si vous voulez comprendre, notamment, les origines de la saga Alien. Lynch ne pouvait faire autre chose que rater son coup en arrivant sur cette grosse machine hollywoodienne. Dino De Laurentiis, producteur légendaire, essayait de sortir « son » Star Wars, quelques années après les succès initiaux de Georges Lucas. Il avait un formidable matériau de base, mais avait mal estimé que Herbert n’est pas Lucas, justement. Dune est de la vraie SF, pas de la fantasy syncrétique déguisée en film de SF. Effrayé par la folie des grandeurs de Jodorowsky sur le projet d’adaptation précédent, De Laurentiis a cherché (et trouvé) un jeune réalisateur prometteur, comme le Lucas de THX 1138 en la personne de David Lynch. Mais Lynch, la suite de sa carrière le démontrera si besoin est qu’il n’est pas spécialement fan des histoires linéaires et simples (sauf dans le bien nommé A straight story). Ou, plus précisément, c’est un adepte du montage asynchrone. Et cela se marie mal avec la progression linéaire de la révélation messianique de Paul Atréides.

Car l’histoire de Dune est assez simple : deux familles puissantes sont en concurrence pour mettre la main sur la production d’épices, ce fameux mélange qui permet les voyages interstellaires (et, donc, le commerce). L’Empereur, inquiet de la popularité toujours croissante des Atréides, décide de leur confier l’exploitation de l’épice, tout en complotant avec les Harkonnen pour les renverser et, ainsi, conserver son trône. Pas de bol pour l’Empereur, il est confronté avec une vieille prophétie qui dit qu’un élu, un messie, prendra la tête des Fremens, la population locale d’Arakis/Dune, pour les mener vers une nouvelle destinée. Et cet élu n’est autre que Paul Atréides, héritier de la famille Atréides et seul enfant mâle né d’une sœur du Bene Gesserit. Je ne développerai pas plus l’histoire ni le lore de Dune, puisque nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir lors de la critique sur le premier roman.

Reste l’objet filmique. Et l’expression « formidable ratage » (qui s’applique à d’autres films qui sont mauvais mais que l’on ne peut s’empêcher d’aimer pour ce qu’ils essayaient d’être) a pratiquement été inventée pour ce film. Le casting est formidable mais très mal utilisé. MacLachlan est mal à l’aise, Brad Dourif cabotine, Jürgen Prochnow est sous-exploité, tout comme Patrick Steward. Sting est un mystère. Reste Keneth MacMillan qui fait un Baron Harkonnen qui restera pour toujours dans nos mémoires, comme méchant psychotique et immonde. Le film hésite aussi entre un souffle épique formidable (le discours de Paul face aux Fremen, l’arrivée du premier navigateur chez l’Empereur) et les idées bancales (les scènes de batailles sont confuses et mal chorégraphiée, les effets spéciaux sont… spéciaux !). Intrinsèquement, certaines scènes qui marchent dans les romans ne pouvaient que dysfonctionner à l’écran : la manière de monter sur les vers géants d’Arakis et de les chevaucher n’a pas beaucoup de sens. Sans parler de l’ineffable « arme étrange » qui fonctionne à la voix et qui donne des scènes du plus grand ridicule à l’écran (pour se battre, les Fremen… aboient ? :-). Comme le dit l’un des critiques dans les bonus de l’édition longue en DVD, le film débute sur une richesse visuelle excitante et s’ensable progressivement lorsque les protagonistes arrivent sur Arakis, jusqu’à devenir une bouillie difficilement digeste dans sa dernière heure.

Reste une ambition, des visuels, une ambiance sonore et une intention formidable. Reste également une histoire que l’on devine plus ample et plus complexe que ce qui reste à l’écran. Reste des scènes qui aidèrent le film à développer, au fil des années, une aura de film culte maudit. La version longue, dont il est question ici, apporte certains éléments qui rendent l’univers de Dune plus compréhensible. Mais ce n’est certes pas la meilleure version. Si vous n’avez jamais vu Dune et que vous ne voulez pas attendre le remake de 2020, jetez-vous sur la version signée Lynch et non sur cette version longue, qui devrait être réservée aux fans qui essayent de comprendre comme une idée brillante peut souffrir d’une production chaotique et tyrannique.

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