From Russia with Love

De Terence Young, 1963.

On prend les mêmes et on recommence ! Moins d’un an après Dr. No, Sean Connery est de retour sous la caméra de Terence Young dans l’adaptation du cinquième tome de la série de romans d’espionnage du britannique Ian Fleming. On se fiche donc très clairement de la chronologie des romans qui, s’ils partagent en effet une série d’ennemis communs, ne s’embarrasse pas d’une linéarité scénaristique très importante. On verra donc les méchants de ce deuxième film, cinquième roman, faire référence à la mort méchant du premier film, sixième roman. Au diable la continuité ! Point mineur que cela. Ce qui frappe surtout avec ce second film, c’est que bien que ce Bond soit encore davantage dans la veine du film policier/d’enquête que dans le style film d’action qui caractérisera la suite de la saga, ce Bons Baisers de Russie bénéficie clairement d’un budget plus élevé. En effet, si le premier long avait effectivement été tourné sur place en Jamaïque, la plupart des sets extérieurs sentait la production un peu cheap, avec des routes désertes et des décors assez plats. Celui-ci, qui se passe en partie à Venise (images d’illustration uniquement) et, surtout, à Istanbul, exploite bien davantage ses décors dans de nombreuses scènes extérieures (de l’intérieur de Sainte-Sophie aux fameuses citernes stambouliotes, alors encore immergées).

Le dépaysement propre aux films de Bond s’illustre donc davantage dans ce deuxième long, même si l’on quitte ici la mer des caraïbes pour l’imagine du Proche-Orient, à une époque où la Turquie et sa capitale en particulier représentait encore la porte de l’Orient et ses fantasmes des marges/marches de l’Europe. Sean Connery reprend donc le rôle de Bond pour un deuxième opus qui, bien qu’encore très classique dans sa forme (comme dans le Dr. No, il y a par exemple un court plan où l’on voit et on entend un contrôleur aérien à Istanbul appeler Londres pour explicitement dire que l’avion de Londres à bien atterri : le plan ne sert à rien dans l’histoire, à part à confirmer au spectateur de ce début des années 60 qu’on a bien changé de décors), accélère son rythme pour proposer davantage à ses afficionados. Il y a en effet moins de temps mort et moins de scènes mécaniques façon « X reçoit l’info Y, il la vérifie en allant à Z et revient interroger ou confronter W« . Pour autant, le scénario reste relativement classique et tourne autour de l’inévitable McGuffin.

Le film débute avec une course-poursuite dans un labyrinthe végétal, au terme de laquelle Bond se fait assassiner par un blond antipathique et mutique. Nous découvrons alors que ce n’était pas Bond, mais un autre homme portant un masque et servant à l’entrainement d’un tueur du SPECTRE. Ceux-ci, dont nous découvrons rapidement trois autres membres, le numéro 1 et son fameux chat (Ernst Stavro Blofeld, dont on connait bien sûr la longévité dans la saga), la diabolique Rosa Klebb, ancienne colonelle du SMERSH (services secrets soviétiques) passée au SPECTRE et portant le numéro 3 et Tov Kronsteen, champion d’échec et mastermind du plan de ce film, portant le numéro 5 (pour rappel, le Dr. No portait le numéro 8). Ceux-ci sont donc épaulés par le tueur blond de la scène pré-générique, Donald Grant, joué par nul autre que Robert Shaw (mais si ! … c’est le propriétaire bourru du bateau de chasse dans le premier Dents de la Mer !).

Et le plan de Kronsteen, bien que relativement risqué, est assez simple : il veut profiter de la désertion de Klebb, méconnue de la diplomatie russe, pour manipuler une jeune employée de l’ambassade soviétique à Istanbul, Tatiana Romanova. Cette dernière doit faire croire à sa désertion à l’Ouest, emportant avec elle une machine servant à décrypter les messages secrets soviétiques (le McGuffin du film, basé largement sur l’Enigma, le fameux appareil utilisé par les nazis pendant la seconde guerre mondiale, dont le fonctionnement a été « craqué » par Alain Turing), en raison de l’amour qu’elle éprouve pour nul autre que James Bond, dont elle aurait découvert la photo dans un dossier. Bien sûr, même le SPECTRE sait que le prétexte est tiré par les cheveux mais compte sur le fait que même si cela sent le piège à 100 km, les Britanniques ne pourront tout simplement pas refuser une telle opportunité. Car le SPECTRE entend bien que la désertion de Romanova ait lieu, mais veut en profiter pour se venger de Bond en l’assassinant et ainsi récupéré la machine soviétique pour la vendre au plus offrant. D’une pierre deux coups.

Inutile de préciser que tout ne se passera pas comme prévu et que, bien sûr, James Bond sauvera la situation. On retiendra cependant de ce deuxième long plusieurs éléments importants : l’arrivée de Q et des gadgets (ici, une valise relativement anodine qui compte pièces en or, munitions, poignard et un système de gaz lacrymogène qui s’active en fonction de la manière dont on ouvre ladite valise), l’arrivée de Blofeld comme vilain récurent de la saga et bien sûr la menace de l’Est, l’Union Soviétique restant à ce moment de l’histoire comme le grand opposant aux régimes de l’Ouest (bien qu’on verra dans d’autres Bond que les deux fronts de la Guerre froide s’alignent quand il s’agit de lutter contre le SPECTRE ou d’autres vilains mégalomaniaques menaçant l’équilibre et/ou la sureté mondiale). Les méchants de ce deuxième opus sont un poil décevant : Kronsteen est surtout là pour expliquer le plan initial et se faire tuer pour démontrer le machiavélisme de Blofeld, Klebb, malgré des tendances sadiques et saphiques, est finalement assez peu exploitée et Blofeld est à peine montré (ce qui est logique, pour une première apparition). Grant, quant à lui, tient bien le rôle de l’assassin mutique qui « aide » Bond pendant la majeure partie du film afin de s’assurer que ce dernier ait bien le McGuffin en sa possession. Il perd de sa superbe à la fin du film quand il commence à parler et, surtout, quand il tombe dans le trope sans doute le plus moqué de la saga bond, à savoir expliquer l’entièreté des plans du méchant à Bond alors qu’il le menace de son arme et qu’il a bien l’intention de le tuer. Mais, bien sûr, c’est la loi du genre.

On n’oubliera cependant pas les différentes James Bong girl du film : la riche Sylvia Trench, toujours jouée par Eunice Gayson, qui se fait à nouveau larguer par Bond quand le devoir appelle celui-ci, les deux tsiganes d’un camp près d’Istanbul et bien sûr l’italienne Daniela Bianchi dans le rôle de Tatiana Romanova. Très belle femme, elle a cependant moins à donner qu’Ursula Andress dans Dr. No, puisque son rôle correspond davantage à celui-ci de la femme en détresse qui ne peut résister aux charmes de l’espion britannique. Maltraitée par ce dernier, on ne peut que s’amuser du dédain avec lequel il la considère quand il comprend qu’elle n’est pas au courant des détails du complot. Mais, après tout, comme le dit Ian Fleming lui-même dans l’un des bonus de l’édition BluRay du film dans une vieille interview à la BBC : « (il) écrit des livres pour des hommes adultes hétérosexuels qui fantasment sur la puissance« . Dont acte.

Mention spéciale également Pedro Armendáriz, acteur mexicain à la filmo assez fournie dans les années 50, qui incarne ici un parfait Ali Kerim Bey, le contact local du MI-6 à Istanbul. Dandy séducteur à la nombreuses progénitures (tous ses hommes de main sont ses fils, il n’a confiance qu’en eux), il est un parfait allié pour Bond tout au long du film. Comme d’autres alliés de l’espion (à l’instar du jamaïcain Quarrel dans Dr. No), il mourra à l’écran de s’être trop approché du britannique, entrainant l’ire de ce dernier et un désir de vengeance qui s’exprimera assez clairement dans la confrontation finale avec Grant. L’acteur, excellent dans ce rôle, était malheureusement atteint d’un cancer, qui ne se remarque pas du tout à l’écran, et a fait le choix de se suicider quelques semaines après la fin du tournage. Paix à son âme, lui qui avait joué pour John Ford, John Huston ou encore Luis Buñuel.

Concluons donc cette courte critique par un avis plus court sur ce deuxième volet en tant qu’objet filmique indépendant : on est face à une grosse production, à l’échelle de ce début des années 60, qui surfe sur l’exotisme des situations, du Bosphore au voyage en train qui rappelle l’Orient express, du camp de gypsies où la danse du ventre est à l’honneur aux lagunes de Venise. Et on a un Bond malin, toujours aussi charmeur ou violent, en fonction des circonstances, moqueur à l’occasion, quittant ses habits de détective pour celui, plus affirmés, d’espion. La scène de combat final est également plus musclée et impressionnante que la conclusion du Dr. No, même si le décor est moins exotique. On a malgré tout droit à quelques explosions pyrotechniques, notamment dans la scène de course-poursuite en hors-bords, scène appelée à devenir un grand classique de la saga. Terence Young, qui a manifestement plus de moyens que dans le premier opus, reste cependant très académique dans sa mise en scène, même si celle-ci profite de décors « in situ » qui enrichissent grandement le visuel du film. On est donc face à un Bond honnête où le rythme est toujours parfaitement acceptable malgré son âge, plein de rebondissements et d’intrigues. Un cran au-dessus du premier volet, donc, ne fut-ce que pour la qualité de la production.

PS: je reviendrai dans de prochaines critiques de la saga sur la raison pourquoi j’ai mentionné un univers étendu dans le premier article, ainsi que sur le rôle d’Harry Saltzman, sur lequel je me suis manifestement trompé.

James Bond will return.

Dr. No

De Terence Young, 1962.

Entamons ensemble un nouveau format sur ce blog, consacré à des séries et/ou à ce qu’il est convenu d’appeler désormais des univers étendus. Mais plutôt que de commencer de manière assez convenue par Star Wars, Marvel ou la Terre du Milieu, autant aller vers quelque chose de plus surprenant en se lançant dans la saga James Bond. Composée de 25 films produits par Eon, deux films indépendants (Casino Royale en 1967 et Never Say Never Again en 1983), de 12 romans et deux recueils de nouvelles signés Ian Fleming, la saga Bond fait partie de l’imaginaire collectif mondial depuis plus de 60 ans maintenant, ayant d’abord passionné les britanniques en mal de sensation à travers une série de romans de gare débutée dans les années 50 avant de changer drastiquement la forme des films d’action à partir des années 60, créant de nombreuses émules à travers les décennies, sans parler des nombreuses parodies assumées ou non assumées.

Le personnage de James Bond est par ailleurs devenu un archétype, un mythe moderne. Bien qu’absent des écrans depuis quelques années déjà, en l’attente de la perle rare qui remplacera Daniel Craig, Bond n’en demeure pas moins une valeur sûre de l’imaginaire collectif. Depuis quatre ou cinq générations maintenant, chacune a « son » Bond, qu’elle considère forcément le meilleur interprète, la meilleure version de l’espion britannique. Il est également l’image d’un idéal masculin relativement passéiste, où violence, alcool, répartie et une certaine forme de misogynie faisaient encore un cocktail attirant. Et la saga a également forgé une certaine forme de l’idéal féminin, à travers les multiples James Bond Girls, qui ont bien davantage évoluées au fil des décennies que leur partenaire de jeu. Bond est aussi une certaine idée de l’empire britannique, de la civilisation occidentale, de l’ostracisme exotique, concepts sentant le souffre dans le débat public d’aujourd’hui, mais que la saga a fait évoluer bon gré mal gré au fil des décennies. Bref, au-delà d’être une série de film d’action à grand budget, passant du film d’espionnage à la légère anticipation, c’est aussi un miroir : la saga Bond nous parle du temps du passe, de l’évolution de mœurs et des valeurs et, sur le tard, du décalage inévitable que les changements toujours plus rapides de ces valeurs provoquent.

Mais comme il faut bien commencer quelque part, parlons du premier film tiré des aventures littéraires de Fleming, à savoir Dr. No, plus connu en francophonie sous le titre de James Bond 007 contre Dr. No, puisque nous préférons apparemment être explicite dans nos serials. Ce premier opus, réalisé avec un budget modeste, est pour sa plus grande partie un film policier/d’espionnage britannique classique : à part quelques séquences tournées directement en Jamaïque pour assurer le dépaysement exotique du spectateur en salle de cinéma, la majeure partie de l’intrigue est une suite assez simple et explicites de scènes en intérieur où Bond, envoyé par son patron londonien pour enquêté sur la disparition inexplicable d’un agent de liaison et de sa secrétaire au bureau de Kingston, interroge des témoins, relève des preuves, explore des pistes et confirme des hypothèses. Même le Dr. No, dans la dernière partie davantage « grand spectacle » du long métrage, ne s’y trompe pas : il réduira l’espion élégant à « un stupide policier« .

Ce qui aurait pu se résumer à un film d’enquête avec un soupçon d’aventure est cependant complètement sublimé par une série de choix, choix pour partie issus des romans de Fleming et, pour une autre partie, créés par l’alliance créative de Terence Young et des producteurs Harry Saltzman et Albert R. « Cubby » Broccoli. Le réalisateur, de la vieille école anglaise, début à l’orée des années 50 par quelques films noirs et quelques films de guerre dont l’Histoire du 7ème art à perdu la trace. Il enchaîne ensuite avec des films d’aventure et des drames avant d’atterrir, un peu par hasard, sur l’adaptation du premier Bond au cinéma, alors que la saga est déjà depuis quelques années un succès de librairie en Grande-Bretagne (essentiellement). Bizarrement, le choix est fait d’adapter non le premier des romans (Casino Royale, 1953), mais le sixième tome, Dr No, publié quatre ans avant. Probablement parce que le cadre du roman est plus exotique, ajoutant un argument commercial au film. Je disais juste avant que Terence Young est tombé par hasard dans le projet, mais ce n’est évidemment pas tout à fait vrai. Broccoli, qui avait réussi à sécuriser les droits d’adaptation de la série (on verra les années suivantes que ce n’est pas tout à fait aussi simple), a débuté sa carrière de producteur par le film de guerre Les Bérets rouges, réalisé par Terence Young en 1953, avant de produire trois autres de ses films en 1956 et 1958. Donc les deux hommes se connaissent et savent travailler ensemble, ce qui semble être un grand avantage si l’on se fie à la réputation difficile de Broccoli comme producteur.

Et les deux hommes (Saltzman joue bien sûr également un rôle, mais de moindre importance créative) ont le génie créatif, l’intuition incroyable, peut-être dictée par des restrictions budgétaires ou par des conditions de plateau particulières, de mettre dès ce premier opus en place un certain nombre de tropes bondiens qui seront la marque de fabrique de la saga. Ainsi, le générique hyperstylisé, précédé de la fameuse scène où Bond tire sur le spectateur dans ce qui semble être le viseur d’un fusil, sont déjà là. Draguer Moneypenny également, tout comme la relation d’amitié et de mépris respectif entre Bond et son supérieur, M, qui n’est ici pas nommé. Mais bien davantage que ces gimmicks, c’est le casting parfait de Sean Connery, alors relativement inconnu, dans le rôle-titre qui marquera le personnage et son univers de manière tellement profonde que ses successeurs ne pourront se définir que par leurs traits communs ou divergents. Connery est sûr de lui, impulsif, dragueur, à la boisson facile, profite des femmes et use, par ailleurs, très explicitement de son permis de tuer. Ainsi cette scène où il tue de sang-froid un adversaire désarmé alors même qu’il n’a pas obtenu réponse à ses questions. On trouve encore dans ce Dr. No le premier usage de « la réplique qui tue« , ici incarnée par la réponse de Bond à un passant qui assiste, médusé, à l’explosion d’un corbillard en contrebas d’un fossé dans lequel trois assassins envoyés pour supprimer l’espion anglais périssent dans les flammes, situation à laquelle Bond répondra par un flegmatique « I think they were on the way to a funeral« .

On retrouve également les premières James Bond girls : Eunice Gayson, la riche Sylvia Trench qui tombe sous le charme de Bond et qui disparait de l’intrigue après quelques scènes, Zena Marshall, la traitresse que Bond consomme allègrement avant de l’envoyer paitre (au moins celle-ci survit, ce qui ne sera pas le cas de nombre d’autres James Bond Girls dans ce rôle) et enfin, la sculpturale Ursula Andress, dont c’est ici le premier rôle d’importance au cinéma, dans le rôle de l’iconique Honey Ryder (iconique sortie des eaux de la Mer des Caraïbes en bikini blanc). Et contrairement à ce que l’image d’Epinal laisse penser, ces dames, à l’exception sans doute de la facile Sylvia Trench au début de l’épisode, sont plus complexes que ce que l’on imagine. Honey Ryder, en particulier, malgré son patronyme ridicule, n’est pas juste une « Damsel in distress« . Elle aussi une femme indépendante qui sait faire usage de violence quand il le faut. J’avais totalement oublié ce cours passage où elle explique avoir été violée par son propriétaire après le décès de son père et s’être vengé en le tuant avec une veuve noire dans les jours suivants (histoire à laquelle Bond répond de manière assez amusée « Well, it wouldn’t do to make a habit of it« ). Et bien que son rôle reste relativement anecdotique, s’inscrivant dans le film un peu par hasard, elle n’en demeure pas moins elle aussi un modèle auquel toutes les autres actrices endossant ce rôle parfois ingrat de l’objet du désir seront comparées impitoyablement au fil des décennies.

Reste bien sûr un dernier trope bondien encore à commenter ici : le vilain (mot beaucoup plus adéquat que méchant). Et c’est le Dr. No qui donne son nom au film qui a le grand avantage d’ouvrir le bal. Génie criminel froid et calculateur, il introduit par ses inévitables monologues explicatifs non seulement ses plans machiavéliques pour détourner les fusées américaines de leur objectif, mais également l’organisation SPECTRE, qui donnera quelques-uns des méchants les plus mémorables de la saga. Pourtant, ce n’est pas le point fort de ce premier opus. Arrivant très tard dans le long métrage, il n’y a finalement que peu de scènes pour imposer un souvenir vivace dans l’esprit des spectateurs. Il a bien sûr une base secrète over-the-top et se délecte d’un échange intellectuello-cynique avec Bond, mais il est aussi assez anecdotique. La scène du repas partagé, où l’on insiste sur ses mains robotiques, perdues apparemment à cause d’un incident dû à la radiation nucléaire, est nettement plus satisfaisante que la confrontation finale avec Bond dans la salle du réacteur nucléaire, assez mal chorégraphiée et finalement peu spectaculaire. Mettons cela sur le compte du peu de moyens alloués à ce premier long métrage, le budget effets spéciaux étant davantage passé dans l’explosion finale du repaire du méchant et dans les quelques inserts, à l’instar de la tarentule montant sur l’épaule de Bond en milieu de film.

Dr. No est donc un film de son époque, un film d’enquête/d’aventure qui serait sans doute devenu assez anecdotique s’il n’avait pas été le premier volet d’une franchise qui vit toujours aujourd’hui, plus de 60 ans plus tard. Et les quelques coups de génie, ceux déjà cités ci-avant, mais également le thème musical composé par John Barry (abondamment utilisé, voire presque exclusivement utilisé dans ce premier opus), l’ingéniosité et la classe du personnage directement incarné par un Sean Connery animal, en font une entrée fracassante dans la légende. Bien sûr, le film est daté. Et certains tropes manquent encore, comme les voitures ou les gadgets, mais on a définitivement un James Bond devant les yeux. Réac, violent, presque colonialiste, comme l’état la société d’alors et comme le souhaitait certainement Ian Flemming. L’œuvre d’une époque, à redécouvrir pour entrer dans la légende.

PS : détail amusant, Terence Young, le réalisateur, signera quelques années plus tard le scénario d’un … OSS 117 ! Plus étrange encore, sur le tard, il a accepté de produire et de réaliser en partie une commande de téléfilm pour Saddam Hussein. Comme quoi, l’Histoire, ici dans deux réalités très différentes, est ironique presque par principe.

James Bond will return.

Gladiator II

De Ridley Scott, 2024.

Qu’écrire sur Gladiator II qui n’a pas déjà été écrit 200 fois ailleurs ? L’idée est peut-être de le traiter sous un angle plus conceptuel que relatif à son contenu. L’incrédulité du grand public à l’annonce d’un deuxième volet au péplum épique de Scott, qui avait marqué durablement les esprits à l’orée des années 2000 en imposant un style assez brut pour les grandes batailles pseudo-historique, cette incrédulité s’explique à plus d’un titre. D’abord et avant tout car elle n’a à priori que peu de sens au niveau narratif. Gladiator premier du nom reste en effet un film qui se suffit à lui-même, avec une situation initiale, un développement et une résolution satisfaisante et qui n’appelle pas de suite, puisque Maximus, son protagoniste principal, accompli effectivement sa destinée et résous son arc narratif personnel de vengeance par sa propre mort, violente, dans les sables de l’arène romaine.

Ensuite parce que l’on connait le Scott de ces dernières années qui, s’il reste un très bon technicien, a tendance à se moquer de plus en plus de son propre public en prenant volontairement le contrepied des attentes (Prometheus était à côté de la plaque, Covenant un très mauvais compromis, Napoléon passait à côté de la dimension dramatique inhérente à son personnage principal… seuls House of Gucci et Le Dernier Duel tenaient plus ou moins la route). Non, définitivement, le meilleur Scott des 10 dernières années était seulement produit par Scott et réalisé par Vileneuve : une suite, là aussi, mais qui apportait réellement quelque chose à son matériau d’origine, à savoir Blade Runner 2049.

Enfin, car les polémiques inutiles sur l’origine de l’un ou l’autre protagoniste de ce second volet, la présence de R&B dans la bande d’annonce ou encore la promesse d’un film quand on n’en fait plus laissaient présager un peu de flottement de l’industrie hollywoodienne, ne sachant pas trop comment vendre cette suite surprise que personne n’attendait réellement. Ce péplum qui arrive sans doute trop tard, les rumeurs d’une suite ayant été abondamment commenté sur Internet ces 20 dernières années et en même temps trop tôt, à la fin d’une année plutôt morne pour le cinéma des grands studios US, dont on ne finit pas de prophétiser la mort imminente. Bref, un film qui a, du point de vue du marketing et de la promesse de vente, le cul entre deux chaises : trop grand spectacle pour la saison des prix, trop à contre-courant pour être réellement un blockbuster grand public.

Passons maintenant rapidement sur le film en lui-même et les performances liées. Oui, le film est un divertissement aimable. Les scènes d’action sont spectaculaires, la production est bonne, l’image léchée. Si certains CGI sont foireux (les singes, horribles) et certaines scènes over-the-top à la limite de l’idiotie (bien sûr qu’il y avait des reconstitutions de batailles navales dans le colisée, mais elles se jouaient dans de l’eau douce amenée par aqueduc : du coup, le coup des requins à la Sharknado marche moyen…), l’ensemble tient la route comme un film d’action/de vengeance matinée de complots politiques. Côté acteurs, Paul Mescal a un bon physique de brute, qui porte cependant nettement moins bien l’émotion que Russel Crowe dans le premier volet, mais il fait le taf. Oui, Denzel est très bon comme on l’a lu partout, mais il fait essentiellement du Denzel. Dans le même registre, je le trouve plus subtil et plus contenu (= comprendre, mieux dirigé) dans Training Day d’Antoine Fuqua il y a déjà bien longtemps. Les autres acteurs ont un peu de la figuration à côté, mais font un boulot correct de seconds rôles, même si l’on regrette évidemment l’absence d’un Joaquin Phénix comme antagoniste digne de ce nom. Harry Gregson Williams, lui, fait un boulot correct avec la musique, sans jamais atteindre cependant les sommets de la BO d’Hans Zimmer, il est vrai l’une de ces meilleures.

Et c’est peut-être cette référence musicale qui m’aidera le mieux à développer mon propos. Gregson-Williams orchestre ses meilleurs morceaux, touche à la corde sensible de l’émotion, lorsqu’il cite explicitement Zimmer. Tout comme Scott qui, lorsqu’il veut toucher le public, passe littéralement des extraits du premier Gladiator en noir & blanc (comme quoi Russel Crowe avait tort : il a effectivement quelque chose à avoir avec ce second opus ; il joue dedans !) Ce deuxième volet n’existerait tout simplement pas sans se raccrocher systématiquement à son aîné. On peut évidemment s’installer sur les épaules des géants pour faire mieux qu’eux, mais ici, on assiste plutôt à aux tentatives d’un ado qui essaie systématiquement de tirer ses modèles vers le bas pour prétendre être à leur niveau.

Dès l’entame du film, en fait, le prologue écrit nous informe que le premier volet n’a systématiquement servi à rien. Si Maximus s’est sacrifié pour ce rêve qu’était une Rome républicaine, et bien il s’est sacrifié pour rien. Après sa geste héroïque, les romains se sont simplement réveillés avec une bonne gueule de bois : exit Commode, bonjour aux frères empereurs Geta et Caracalla, encore plus instables et cruels et, parce que c’est amusant, roux. Tout va mal, le peuple est trahi, on le distrait avec des jeux. Refrain connu. Mais un général des armée romaines (Pedro Pascal, juste, mais trop peu exploité), après avoir trop conquis et trop versé le sang décide d’ourdir un complot avec son épouse, Lucilla (la sœur de Commode). Refrain connu. Arrive dans ce jeu le gentil Lucius, fils de Lucilla et de Maximus, exilé pour échapper au courroux des empereurs jumeaux et de la plèbe romaine, époux d’une femme tuée par et au nom de Rome, qui prendra sa revanche dans les sables de l’arène. Refrain connu.

Gladiator II est donc dans le fond une redite bégayante du premier opus, avec moins de poids, moins d’impact et des acteurs moindres et moins bien dirigés. Je ne comprends donc simplement pas à quoi sert ce film. Quel est son intérêt ? Au-delà du côté mercantille d’une suite qui s’appuie sur un public captif, quelle sera sa trace dans l’histoire du septième art, à part celle d’amoindrir l’éclat de son brillant aîné en le rendant en grande partie inutile si l’on considère la continuité scénaristique entre les deux épisodes ? Est-ce que Scott essaie de nous dire qu’il n’y a pas d’espoir, comme il l’a parfois (souvent) répété dans sa filmographie ? Essaie-t-il de commenter un certain état de la politique mondiale pour dire que les situations désastreuses ont tendance à se répéter et qu’il faut donc du courage, voire de l’abnégation, pour en sortir ? Si c’est cela, il y avait mille autres films à faire que celui-ci. Mille autres histoires à raconter, mille autres paraboles à mettre en scène. Il est juste navrant de voir l’un des cinéastes majeurs du dernier quart du XXème siècle détruire ainsi son héritage sans que personne n’ose lui poser la question la plus simple du monde : pourquoi ?

Rebel Moon: Part Two – The Scargiver

De Zack Snyder, 2024.

Je sais bien que j’ai dit de ne pas perdre son temps à regarder le premier il y a déjà quelques mois dans ces colonnes et il peut donc sembler étrange que je chronique tout de même le second. Est-ce du stakhanovisme ? Du masochisme ? Une recherche un peu putaclic de rester dans l’actualité ? Non, rien de cela. J’avais simplement le secret espoir, sans trop d’enthousiasme malgré tout, que Snyder allait pouvoir déployer un peu plus d’ambition dans un second opus qui ne perdrait pas son temps à exposer ses personnages principaux. Je n’espérais pas un film parfait, car je ne pense pas que Snyder ait jamais réalisé un film parfait, mais j’espérais cependant quelque chose de plus grand, un souffle d’épique caché sous une averse de ralentis et de gimmicks de réalisation lourdingues.

Et je fus bien sûr déçu, comme on pouvait s’y attendre. Comme je m’y attendais moi-même, si on est un tout petit peu honnête. Que dire qui n’a pas déjà écrit un peu partout sur Internet entretemps ? Bien sûr, les longueurs inexplicables des deux premiers tiers, essentielles consacrées à la récolte du blé sur la petite lune qui servait de décors au premier opus, frisent le ridicule. Bien sûr, la maigreur du développement des personnages secondaire oblitère tout impact émotionnel quand l’un d’eux décède. Bien sûr, la fascination de Snyder pour ses nouvelles focales fait que pratiquement aucun plan du film n’est agréable à regarder, miner par des flous constants et embarrassants qui rendent tout le travail de design sur les décors inutile. Bien sûr, le scénario, qui emprunte peut-être encore plus largement à Star Wars et à un salmigondis de références SF mal digéré, frise le degré zéro de l’intérêt alors que je fais à priori partie d’un public de convaincus à la cause.

Tout cela n’est pas nouveau, ni inattendu. Non, ce qui me chagrine particulièrement tient essentiellement à deux choses. D’abord, malgré un budget conséquent, on reste dans une production de type « plate-forme« . Si Netflix et les autres sont devenus au fil des dix dernières années le bon canal de production/distribution pour un certain type de cinéma d’auteur, ils montrent leur limite avec le cinéma grand public. Comprenons-nous bien : je ne dis en aucune manière que Netflix et consorts se sont tout d’un coup trouvé une âme de cinéphiles. Quand ils produisent du cinéma que l’on pourrait appeler « d’auteurs« , c’est pour se donner une bonne image lors de la saison des prix, sachant que les œuvres ainsi produites restent au maximum quelques jours en tête de gondole lorsque vous ouvrez votre application, pour rapidement tomber dans les profondeurs d’un algorithme qui favorisera toujours le dernier blockbuster insipide écrit par une a.i. en mal d’inspiration, façon Adam Project ou Red Notice. Car Neflix veut surtout satisfaire le plus grand nombre avec un contenu aseptisé, facile à digérer, facile à oublier. Du Rebel Moon, en somme. Une grosse production (à l’échelle d’une plate-forme), vendue à grand renfort de « nous avons laissé carte-blanche au réalisateur« , alors même que celui-ci est devenu tellement formaté qu’il n’imaginerait même plus sortir d’un cadre de référence qui ne laisse aucune place à l’œuvre, mais fonctionne en termes de produits.

Et c’est mon second problème : même son réalisateur considère Rebel Moon comme un produit. Dès le départ, il nous explique à force d’interviews que le « vrai » film sera la version longue qui sortira en exclusivité dans quelques mois, dont la double promesse est « plus de sexe, plus de violence« . Quel est donc l’objet que Netflix nous sert alors avec de deuxième opus inachevé ? Une version facilement digeste ? Qui passe la censure internationale des nouveaux marchés que sont la Chine ou le Proche-Orient ? Une forme d’industrialisation de la fameuse scène d’embrassade lesbienne du Star Wars 9, formatée pour être coupée pour les marchés « frileux » auxquels Disney accorde tout son crédit ? Le fossoyeur de film, aka François Theurel s’est récemment associé au Marty de la Séance de Marty pour livrer un dytique sur « le cinéma, c’était mieux avant« . Au-delà du fait qu’il s’agit sans doute de l’un des meilleurs documentaires sur l’évolution du cinéma des 20 dernières années, sur le fond comme sur la forme, et au risque de passer pour un vieux con, je dois admettre qu’ils ont raison. Le « bon » cinéma, ou plutôt le cinéma intéressant, existe toujours. Et il est sans doute plus accessible qu’il ne l’a jamais été dans les back-catalogues de toutes nos laiteries digitales que sont les plateformes de SVOD. Mais il ne faut pas se leurrer : ces mêmes plates-formes ne cherchent pas à développer un art qui arrive en fin de cycle, elles cherchent seulement à développer une industrie dont elles pourront tirer profit jusqu’à la dernière goutte. Il est temps de redevenir sélectif et de réinvestir dans les créateurs en allant au cinéma ou en achetant dans le commerce les supports physiques des œuvres qui vous parlent. Cela ne doit pas forcément être un film ouzbèques sur la culture du pavot au XVIII, mais bien une démarche sincère, même lorsqu’il s’agit de produire un honnête divertissement.

Et Snyder et Netflix ne visent aucunement cela. Ils nous servent simplement un produit aseptisé, dont tous le angles ont été arrondis. Une sorte de fast-food de luxe. Un resto de burgers où des barbus musclés et souriants (comme le barista de chez Starbucks) vous servent un « bête » cheeseburger à 29,99€. Même avec un bel emballage dont le marketing est super bien réfléchi, cela reste de la malbouffe. Si l’on résume, non seulement Rebel Moon, partie 2, est oubliable (et déjà en grand partie oublié), mais il incarne sans doute mieux que l’ensemble des autres productions de plate-forme le cynisme commercial de ces boîtes et leurs « créateurs » qui ne visent qu’à livrer des produits simples et prémâchés à des segments de publics toujours davantage réduits et ciblés en fonction de leurs hauts revenus (comprendre : les geeks sont devenus maîtres du monde !). Demeure une lueur d’espoir : le public, aussi segmenté soit-il, commence doucement à se rendre compte de ce formatage limitatif. Le premier volet, vendu avec une campagne de pub rarement vu pour des plateformes de streaming, n’a pas marché. Et le second volet est sorti dans l’indifférence générale, même plus mis en avant par Netflix. Ce qui signifie sans doute que les futurs plans de Snyder pour en faire encore trois-quatre derrière (ah ! le fantasme absolu des « cinématic universe » !) se verra sans doute traduit dans une série télé annulée après une saison ou dans une série de comics confidentiels. Et c’est sans doute pour un mieux. Entretemps, il nous reste deux longs métrages qui s’inscriront dans doute dans l’histoire du cinéma comme le parangon de la médiocrité et du manque de courage d’un certain cinéma des années 2020. L’exemple poussé à l’extrême du fameux distinguo des frères Russo : « In New-York, they make motion pictures, here in hollywood, we make movies« . Or garbage.

A Scanner Darkly

De Richard Linklater, 2006.

Dans la catégorie des adaptations de romans et nouvelles de Philip K. Dick, j’évoque aujourd’hui sans doute l’une des moins connues du grand public. A côté de mastodontes auréolés de l’étiquette de film culte que sont Blade Runner, Minority Report ou Total Recall, A Scanner Darkly fait office de petit poucet. Adapté du roman éponyme de Dick (traduit en français sous le titre de « Substance Mort« ), A Scanner Darky s’apparente davantage au film d’auteur qu’au gros blockbuster hollywoodien. C’est d’ailleurs moins un film de science-fiction qu’un film d’anticipation. Ajoutez à cela le fait que ce n’est pas un film live, mais bien un film d’animation en rotoscopie basée sur des prises de vue réelle et vous avez en fait un film relativement inclassable. Qui n’a, malheureusement, pas rencontré son public, ni en salle ni après.

Pourtant, Richard Linklater n’est pas un manche. Et en 2006, ce n’était pas un inconnu au bataillon : c’était déjà l’homme derrière Before Sunrise, Before Sunset, Fast Food Nation ou encore Rock Academy. Un réalisateur qui aime bien les concepts, donc. Et qui poursuivra dans la veine, en signant Boyhood en 2014, le fameux film dont tout le monde se souvient car le tournage s’est étalé sur douze années successives, pour suivre la croissance du gamin qui tient le rôle-titre (le film en lui-même comme objet cinématographique n’étant pas spécialement resté dans les mémoires). En plus, Linklater, pour son deuxième film d’animation en rotoscopie (il maîtrisait donc bien la technique/le concept) a pu compter sur un casting de ouf sur A Scanner Darkly : le rôle principal échouant à Keanu Reeves, déjà un superstar à l’époque qui nous livre ici une performance égale à ce qu’il sait faire, et les rôles secondaire dévolus à Robert Downey Jr. (alors au tout début de sa deuxième carrière, tout juste auréolé du succès de Kiss Kiss Bang Bang), Woody Harrelson, Rory Cochrane ou encore Winona Ryder. Que du bon, donc.

Mais qu’est-ce qui n’a pas marché alors ? La rotoscopie en elle-même, qui depuis les essais de Ralph Bakshi sur le Seigneur des Anneaux dans les années 70 n’a jamais réellement trouvé sa place dans l’imaginaire collectif ? Un récit finalement très intimiste, plus proche du huis-clos angoissant que du grand spectacle auquel les adaptations de SF US nous a habité au fil des ans ? Ou encore la thématique du film, qui le rend plus proche d’un Las Vegas Parano que d’un blockbuster ? Ou son rythme très particulier et son développement assez lent ? Sans doute un peu de tout à la fois.

Keanu Reeves y interprète en effet avec brio le personnage de Bob Arctor, un flic infiltré chargé … de se surveiller lui-même ! Infiltré dans une bande de losers drogués jusqu’aux yeux pour comprendre la filière d’approvisionnement d’une nouvelle drogue qui fait des ravages, Bob héberge dans sa maison de banlieue lambda le fantasque James Barris (Robert Downey Jr.) et le perché Ernie Luckman (Woody Harrelson), squatteurs paranos et grands consommateurs. Viennent s’y ajouter Freck (Rory Cochrane), constamment en bad trip, et sa petite amie Donna (Winona Ryder), instable psychologiquement qui refuse pour une raison non-explicitée les contacts physiques.

Bob, afin de jouer son rôle d’infiltré au mieux, commence lui-aussi à consommer cette nouvelle drogue, la Substance D (Substance Mort dans la VF du roman), ajoutant à son mal-être et à son insatisfaction sexuelle les méfaits d’une substance destructrice. Et quand James vient le dénoncer chez les stups comme étant le baron local dudit trafic, le film vire carrément à l’absurde, où les réalités se mélangent dans un grand pot-pourri de camé qui s’enfonce dans les méandres de sa propre psyché malade. On est donc en plein dans du K. Dick, à n’en pas douter. Lui-même, comme ses innombrables bio le confirment, était assez versé dans les psychotropes divers et variés qui, s’ils peuvent étendre l’imagination, ont quand même quelques légers effets secondaires dommageables pour le cerveau humain… D’aucun n’hésitent pas à affirmer, du coup, que ce Scanner Darkly est l’un des récits les plus personnels de K. Dick, prétextant quelques fulgurances anticipatives (le « costume » changeant aux multiples visages changeant en permanence est devenu une réalité entre temps, avec les fameux masques taïwanais qui trompent les caméras de surveillance chinoises en rendant impossible la reconnaissance faciale utilisé lors des grandes manifestations contre le pouvoir), travestit sous la forme d’une histoire assez simple et courte ses propres penchants pour l’autodestruction et la paranoïa aiguë (rappelons que K. Dick était en effet persuadé d’avoir été surveillé par le gouvernement américain, sans que l’on ait jamais su démontré si cela était vrai ou non).

Linklater livre quant à lui sa version du roman de Dick. Aussi colorée que pessimiste, servie par des acteurs au mieux de leur forme, ce long métrage d’animation peut aussi se vivre comme un trip sous acide. La litanie continue délirante de James, dans laquelle on peut repérer les prémices du Holmes interprété par Dwoney Jr. quelques années plus tard, endors littéralement le spectateur dans des fausses pistes et dans une complexité artificielle. La conclusion du récit, aussi expéditive et déprimante que bizarrement porteuse d’espoir, ne font que confirmer le message du film : il FAUT se méfier des autres, des apparences, des paradis artificiels qui ne font que toujours davantage vous isoler. Un film qui se prétend compliqué pour mieux camoufler sa morale simple. Alternativement, une descente aux enfers qui laisse peu d’espoir dans l’humanité. Ou encore une comédie over-the-top où quelques comédiens en roue libre s’amuse à forcer le trait car ils se savent filmés pour mieux ensuite être dessinés. A vous de déterminer quelle version vous voulez voir.