Sept secondes pour devenir un aigle

De Thomas Day, 2013.

Cela faisait un petit moment déjà que je ne m’étais pas plongé dans du Thomas Day. Et certainement dans ses nouvelles. L’homme a pourtant eu les honneurs de la superbe collection Une Heure Lumière dont il signait le premier volume (ok, davantage avec une novella qu’avec une nouvelle à proprement parler, mais quand même un texte court). Et ça faisait déjà quelques mois que l’édition poche du recueil Sept secondes pour devenir un aigle me faisait de l’œil dans ma PAL. Publié il y a déjà sept ans maintenant, et auréolé à l’époque du Grand Prix de l’Imaginaire, le recueil publié chez Folio SF ne nous réserve que du bon.

Mariposa, le premier texte, nous conte l’histoire d’une île étrange du pacifique, qui hébergerait la tombe de Magellan et qui aurait servi de décors à des batailles de la seconde guerre mondiale, entre des japonais enterrés et des américains conquérants. L’île héberge aussi des arbres à papillons aussi mystérieux que merveilleux. La nouvelle enchaîne les personnages et les styles littéraires (journal de navigation, échanges épistolaires entre un soldat japonais et sa femme resté au pays, minutes d’un interrogatoire musclé d’un vétéran américain récalcitrant, etc.) et développe, contre toutes attentes considérant l’auteur, une véritable poésie presque zen. En cela, bien sûr, la nouvelle touche l’une des obsessions de Day : son amour du Japon et de sa culture.

La seconde nouvelle, l’éponyme du recueil, navigue sur d’autres terres : on y suit un amérindien un peu paumé qui, au milieu du séance d’onanisme, est interrompu par l’arrivée de son vrai père, dont il ne soupçonnait même pas l’existence, qui débarque en assassinant sa belle-mère (la copine de son « père« , qui était en fait son oncle). Et son vrai père de l’entraîner dans un road trip existentiel, à la recherche des origines de son peuple. On retrouve ici davantage le Day que l’on connait par ailleurs : rapide, violent, sentant volontairement le stupre et le sang. Un superbe texte à la morale aussi abrupte que sans merci.

Ethologie du Tigre, le troisième texte, avait déjà été publié dans un recueil inédit de la collection Folio SF pour ses dix ans (en 2010, donc). Je l’avais lu à l’époque mais l’avait un peu perdu de vue. Une fois encore, on change radicalement de contexte : on retourne en Asie, dans l’Asie moderne où un occidental défiguré par un tigre quelques années auparavant est appelé au Cambodge par un homme d’affaire local pour mener l’enquête sur trois têtes de bébé tigre découverts sur le chantier de son plus récent complexe hôtelier. Sans concession, à nouveau, la nouvelle est particulièrement bien construite et sa fin est extrêmement bien amenée. La nouvelle se construit en partie autours du concept fort intéressant de la « barrière Gaïa« , le point de rupture où les catastrophes écologiques feront plus de morts sur base annuelle qu’il n’y a de naissance la même année. Un concept très intéressant à creuser pour de la SF écologique.

Shikata ga nai, « on ne peut rien y changer« , est le plus court texte du recueil. On y suit trois jeunes gens qui vivent dans la zone interdite de Fukushima pour y récupérer ce qui est récupérable et avoir une « vie facile » au mépris d’un danger en grande partie invisible. Intéressant sur le concept, c’est sans doute cependant la nouvelle la moins prenante de l’ensemble. Tjukurpa, le cinquième texte, nous emmène rencontrer les populations aborigènes d’Australie. Comme Sept seconde pour devenir un aigle, cette plongée à contre-courant chez un peuple brimé fait mal par où elle passe. Le personnage principal, une ado moche, se lance dans un nouveau culte de la réalité virtuelle permettant un retour aux sources qui efface « l’homme blanc » et tout le mal qu’il a apporté sur l’île-continent. Puissant.

Le dernier texte, Lumière noire, est davantage une novella qu’une nouvelle. C’est un récit post-apocalyptique plutôt classique où une IA a pris le contrôle des technologies mondiales pour réguler la population humaine. Une sorte de Skynet avec une conscience écologique. La nouvelle est très agréable à lire et est sans doute la plus cinématographique et la plus classique dans son développement de l’ensemble du bouquin. Intéressant de voir Day s’essayer à l’exercice de singer Terminator en y ajoutant une moralité différente et, logique pour l’auteur, très ambigüe. Le recueil se termine sur une essai signé Yannick Rumpala, intitulé « Et la science-fiction entra elle aussi dans l’anthropocène… » Le court essai, érudit, brasse assez largement dans les grands textes de SF (et dans les nouvelles du présent recueil) pour nous expliquer que la SF continue à être un véhicule privilégier de la réalité de demain, même lorsque les paradigmes sociétaux changent. Éducatif, bien que je ne voie pas réellement le lien avec le recueil qu’on a dans les mains. Enfin, si, le lien, je le vois. Mais je trouve étrange de l’intégrer de la sorte, comme une postface qui peut passer inaperçue.

Sept secondes pour devenir un aigle est donc une collection de nouvelles qui confirme si besoin est que Thomas Day est et reste une voix importante de la SFFF francophone. Si certains des textes présentés ici ne font finalement que flirter avec l’imaginaire, ils démontrent dans leur ensemble, en effet, que la SF est toujours un médium formidable pour mettre le doigt où ça fait mal dans la société humaine. Et Day n’hésite pas à jeter du sel sur les plaies ouvertes, bien que je l’aie trouvé ici plus modéré que dans d’autres romans plus anciens. Je ne sais s’il s’assagit avec le temps, mais il rappelle ici à tous qu’il est un nouvelliste hors pair. Avis aux amateurs.

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