Big Fan

De Fabrice Colin, 2010.

J’ai déjà commenté l’un ou l’autre livre de Fabrice Colin en ces colonnes. C’est un des auteurs du renouveau de la fantasy française des années 90 (comme son collègue proche Mathieu Gaborit) qui ont relancé une vague de publications dans la littérature de genre début des années 2000. Et, rien que pour cela, cette génération mérite nos remerciements. Colin, en particulier, est un auteur que j’aime bien. Il ne fait pas de concession : doté d’une vraie plume, il rédige des textes au scénario complexe qui se digèrent progressivement comme une mille-feuille très élaboré. Du coup, ses romans sont souvent bordéliques, leur construction narrative partant en vrille après un moment.

C’était le cas dans Winterheim, c’était le cas dans Arcadia et c’est encore le cas dans ce court opus, Big Fan, sorti il y a dix ans déjà mais republié en poche il y a quelques temps chez Folio SF (qui fait, soit dit en passant, toujours un travail éditorial admirable, tant pour mettre en valeur le back-catalogue de Fleuve Noir que pour laisser une place aux « jeunes » auteurs en devenir). Big Fan, du haut de ces courtes 200 pages, nous plonge dans la vie de Bill Madlock. Bill est un no-life anglais à la vie fort triste : abandonné par son père, élevé par sa mère qui a compensé son manque d’amour maternel par une surabondance de bouffe, Bill est un gros garçon asocial qui traverse son enfance et son adolescence dans un mode « repli sur soi/rejet de la société ».

Seule lumière dans son désert affectif (et social) : Radiohead. Pour Bill, seul Radiohead vaut quelque chose, question musique. Le reste du rock alternatif est au mieux médiocre, sans parler du R&B, du hip-hop ou de l’honnie pop commerciale. Bill trouve un sens à sa vie dans les paroles de The Bend ou de OK Computer. Mieux encore, il comprend que Thom Yorke, à travers ses textes torturés et ses prestations scéniques hallucinées, a accès à une vérité autre, plus élevée. Il sait, comme lui, que l’humanité vit son apocalypse, vit ses dernières années. Le monde est surveillé par la Police du Karma et il appartient à Bill de sauver Thom, de lui permettre de continuer à s’exprimer librement pour mettre en garde l’humanité entière contre sa propre destruction.

Vous aurez compris que Big Fan est un roman très dur, froid et déprimant. Fabrice Colin choisit d’alterner son récit entre des lettres-confessions de Bill au fond de sa prison/hôpital psychiatrique (marrant de retrouver ici le procédé du dernier Goncourt, Tout les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, dont la chute était aussi annoncée dès les premières pages, le récit ne constituant qu’une longue accumulation de malheurs vers ce point de non-retour) et les chapitres plus didactiques sur l’histoire du groupe de Oxford, de sa création à la sortie de l’album Kid A en 2001, quelques jours avant les évènements du 11 septembre. Ces chapitres didactiques, intéressant au demeurant pour qui s’intéresse au groupe, sont de manière assez amusante commenté, annoté par Bill lui-même qui n’hésite pas à se moquer du style journalistique et des clichés liés qui sont utilisés par Colin pour présenter le groupe et sa production musicale.

C’est d’ailleurs le défi du roman : comment écrire sur le sentiment que provoque, l’impression qui se dégage de l’écoute attentive d’une chanson, d’un album, de la musique d’un groupe ? Je n’ai pas résisté à la tentation et j’ai lu une grande partie de Big Fan avec Ok Computer dans les oreilles (ça faisait longtemps que je n’avais pas réécouter l’album, qui date de mon adolescence, il faut le savoir). Et je comprends très bien pourquoi Fabrice Colin a choisi ce groupe en particulier. Il se dégage quelque chose de la voix de Thom Yorke d’inquiétant. Son physique et sa présence sur scène ne font que renforcer ce sentiment. Je ne les ai vu qu’une fois en live, il y a des années, au Lotto Arena d’Anvers. C’était (malheureusement) déjà leur période électro/expérimentale. Mais même à distance, une forme de malaise se faisait ressentir.

C’est donc le groupe et, à plus forte partie encore, le chanteur idéal pour provoquer un trouble de la personnalité chez son protagoniste principal. Ce dernier se coupe petit à petit de la réalité et vire dans la paranoïa la plus totale quand un nouveau malheur (que je tairais pour vous préserver la surprise) s’abat encore injustement sur lui. Big Fan est une histoire navrante, triste et difficile. Les derniers chapitre, comme d’habitude chez Colin, partent en vrille au niveau de la construction littéraire et de de la logique du récit. Cela colle cependant parfaitement avec la descente aux enfers du pauvre Bill, le persécuté qui a choisi de faire un doigt d’honneur à son destin, qui a préféré la voie de la violence à celle de la compréhension et de l’apaisement. Un beau texte, à mi-chemin entre les références geek à D&D et à l’anarchie sans concession d’une certaine frange du punk des années 70.

PS : par contre, le pourquoi d’avoir publié le texte dans une collection SF m’échappe. Colin, depuis de nombreuses années maintenant, à quitter la SFFF pour se tourner vers le polar et le thriller. Big Fan appartient davantage à cette catégorie qu’à la SFFF. Mais, bon, finalement, cela n’a que peu d’importance au regard de la qualité du texte qui transcende son affiliation à un genre en particulier.

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