Magie noire à Soho

De Ben Aaronovitch, 2011.

Moyennement convaincu par le premier opus du Dernier apprenti sorcier, la série phare de Ben Aaronovitch, mais ne souhaitant pas passer à côté d’une grande série si j’en crois le nombre de fans dithyrambiques qui peuple le web du livre, j’ai tenté l’expérience du deuxième tome quelques semaines après le premier. Et il y a clairement un mieux, même si le tout n’est pas exempt de scories.

On retrouve donc l’agent Grant, l’apprenti idoine de la série, et son mentor, l’inspecteur Nightingale, bien mal au point après la conclusion de la dernière enquête. Plus question ici des diverses rivières de Londres, mais d’une plongée dans le quartier bohème (et interlope, ça dépend du point de vue) de Soho au cœur de la capitale anglaise. Alors que des cadavres émasculés apparaissent ci et là (exploitant intelligemment les dernières lignes/pages des Rivières de Londres, qui faisaient du foreshadowing sur cette enquête sans qu’on y prête trop attention), Grant est également confronté à plusieurs morts suspectes dans le milieu du jazz. Des jazzmen dans la force de l’âge semblent en effet mourir de manière impromptue après avoir joué en live le titre Body & Soul sur l’une ou l’autre scène des petits clubs de jazz londoniens. Il n’en faut pas plus à Grant, dont le père est une légende malheureuse du jazz, passée à côté de sa carrière en raison d’addictions un peu trop addictives, pour se sentir concerné et se lancer dans une enquête qui mêle considérations policières et supputations magiques diverses.

Si, en plus, Grant peut en profiter pour charmer une femme gironde et accueillante, ex-maîtresse de l’un des jazzmen récemment décédé, il en profitera certainement pour joindre l’utile à l’agréable (on se rappellera que son précédent « crush » a malheureusement eu le visage détruit par un hôte fantomatique psychotique dans le premier tome, ce qui ne facilite pas une vie amoureuse apaisée…) Les problèmes surgissent évidemment quand les enquêtes finissent par se croiser et que les cadavres s’accumulent…

L’avantage d’un deuxième tome par rapport à un premier est que l’on perd évidemment moins de temps à installer les protagonistes. Ce tome-ci s’intéresse donc, peut-être encore davantage que le précédent, à l’agent Grant. Il y a en effet peu de place pour les autres protagonistes, même si l’on en apprend davantage, et de manière parfois détournée, sur Nightingale, l’inspecteur Stephanopoulos, sur le docteur et médecin légiste Wallid, sur la collègue de Grant, Lesley (pourtant largement absente dans ce tome-ci) et sur Molly, la femme d’ouvrage/vampire résidente du QG de nos héroïques policiers du paranormal. C’est donc Grant qui sera le moteur du roman, naviguant entre ses erreurs et ses réactions parfois naïves sur ce monde nouveau qui l’entoure. Et c’est tant mieux, car l’identification est plus grande dans ce deuxième opus, amenant du coup avec lui un plus grand intérêt dans le récit.

L’enquête en elle-même, plus sombre, plus « policière » que la première, est également plus prenante. Elle obéit davantage aux codes du genre et l’ambiance jazzy et enfumée qui s’en dégage nous transporte presque davantage à la Nouvelle Orléans que dans les bas-fonds de Londres. L’important est cependant qu’elle nous transporte en effet ; on vit l’ambiance des rues de Soho, de pubs en boîtes de nuit, de planques enfumées en garçonnières fort à propos (ce tome est PG13, sans doute, puisque Grant vit ses pulsions, cette fois-ci). Sans dévoiler l’intrigue, on a donc un roman plus intéressant, davantage maîtrisé, qui dévoile ce qu’il faut de lore supplémentaire pour construire les épisodes qui suivront immanquablement. Qui plus est [SPOILER, même si mineur], ce second tome introduit assez logiquement le « grand méchant« , le sorcier noir qui sera le parangon de nos héros pour au minimum les quelques prochains tomes. C’est évidemment malin, pour tenir le lecteur en haleine [/SPOILER]. Le bouquin est également plus sinistre, par bien des aspects, ce qui renforce aussi le côté « hard-boil » polar que Aaronovitch semble vouloir mettre en place, sans pour autant oublier quelques touches d’humour, essentiellement noir, bien sûr, qui viennent alléger l’ensemble et conserve habillement l’humanité des protagonistes.

Cependant, comme je le disais, le bouquin n’est pas exempt de défauts. La conclusion est toujours un peu bordélique, comme dans le premier tome, et manque assez singulièrement de maîtrise. Si les diverses enquêtes se rejoignent, comme dans tous les bons policiers, les liens sont franchement ténus entre les fils du récit et les motivations du « grand méchant » franchement obscures. Du coup, on ne saisit pas bien en quoi l’intrigue des jazzmen et les créatures qu’elle contient a réellement comme intérêt pour l’intrigue des chimères et magicien sans-visage. Par ailleurs, pour sensible que l’on peut être vis-à-vis de l’idéalisme de Grant, on ne peut que rester dubitatif devant son raisonnement visant à protéger son « intérêt » (difficile d’être clair sans spoiler). Du coup, la fin, pourtant davantage maîtrisée que celle du premier tome notamment par quelques scènes d’exposition finales, reste le point faible du bouquin, ce qui est évidemment dommage.

L’un dans l’autre, ce deuxième tome est cependant une réussite. Aaronovitch y maîtrise mieux l’ambiance et le style nécessaire au type d’histoire qu’il compte écrire. Son récit est davantage construit et ses personnages ont davantage d’épaisseur, alors que le protagoniste principal occupe presque à lui seul le devant de la scène. Et c’est une bonne surprise, qui augure le meilleur pour la suite de la série et qui éclaire davantage à mes yeux la presse très positive dont le Dernier apprenti sorcier bénéficie depuis plus d’une décennie maintenant.

Les rivières de Londres

De Ben Aaronovitch, 2010

Le dernier apprenti sorcier, tome 1

Comme je suis un incorrigible optimiste, je me lance dans une nouvelle saga fantastique alors que j’en ai au minimum trois ou quatre en court sur ma PAL nocturne. Mais soit, il arrive un moment dans la vie où il est trop tard pour se corriger. Au tour de la saga du dernier apprenti sorcier, savant mélange entre un whodunit traditionnel et de la fantasy à l’humour désopilant pur jus (assez justement décrit par la presse comme la rencontre d’X-Files et Doctor Who, même un Harry Potter vs. Sherlock Holmes marche aussi), à son tour donc de me tomber dans les mains.

Précédé d’une bonne fanbase sur le net qui attend chaque nouvel opus comme le saint-graal, j’anticipais donc une lecture fun et accrochant. De fait, c’est plutôt un succès pour le côté fun. On ne s’ennuie pas une minute en suivant Peter Grant, flic métisse un peu distrait de la capitale londonienne, lorsqu’il se retrouve propulsé dans le domaine de l’étrange en devenant le nouvel assistant de l’Inspecteur Nightingale. Ce dernier lui explique bien vite que chez lui les nouveaux ne sont pas des assistants, mais bien des apprentis. Car Nightingale n’est pas un flic comme les autres : il a la charge de faire respecter la Loi (ou les vieux équilibres et autres pactes ?) dans le monde interlope du surnaturel.

Et, pas de bol, le livre s’ouvre sur un meurtre étrange. Il faudra donc pas mal de tact, de patience et de chance à Peter Grant et son mentor pour démêler le vrai du faux et mettre la main sur le fantomatique coupable de ce qui ressemble chaque jour de plus en plus à une affaire de meurtre en série de l’au-delà. Pour le côté fun, roller-coaster d’émotion, Les rivières de Londres remplissent donc parfaitement leurs promesses. Cependant, pour être honnête, j’ai encore un peu de mal à accrocher aux personnages. Si Grant est l’exemple type de l’ingénu confronté à un monde qu’il ne connait pas et dont il doit assimiler les règles à grande vitesse et Nightingale est l’exemple type du mentor mystérieux qui lâche son savoir au compte-goutte, l’alchimie entre les deux fait encore largement défaut dans ce premier tome.

Je suis également gêné par le fait que même si la magie nous est décrite comme anormale dans le contexte de l’histoire, le secret de son existence semble quand même franchement mis à mal sans que cela ne pose plus de problème que cela. Le nombre de personnages croisés qui acceptent pratiquement sans broncher l’irruption du surnaturel dans leur vie me semble quand même franchement élevé si l’on pense nous faire croire que la magie est un art caché et inconnu du grand public. Et les protagonistes eux-mêmes de ne pas faire beaucoup d’efforts pour cacher leurs pouvoirs et leurs opérations spéciales. Peter lui-même, bien qu’assez cartésien, n’éprouve qu’une demi-surprise lorsqu’il rencontre un fantôme la première fois et ne semble pas plus bouleversé que cela lorsqu’il devient progressivement l’apprenti magicien éponyme de la saga.

Un autre aspect qui m’a fait un peu sortir du bouquin par moment est le fait que les « règles » de ce monde magiques semblent évoluer au fur et à mesure des besoins de l’enquête (et de l’auteur, par ailleurs). Si la pièce débute par quelques règles de magie simple et quelques sorts qui, par cette simplicité directement reconnaissable, donnent la mesure du pouvoir des protagonistes et si l’on reconnait aisément quelques figures du fantastiques (fantômes, vampires, extra lucidité), j’avoue que l’irruption de dieux ou demi-dieux à la manière des American Gods de Gaiman dans le récit noie un peu le poisson. Ceci sans mauvais jeu de mots, considérant que les Dieux en question sont les incarnations des rivières de Londres, qui donnent leur nom à ce premier opus.

Je pinaille probablement sur des détails, mais je suis un peu chagriné de constater qu’après les 400 pages de ce premier tome, la relation des personnages entre eux n’a que peu évolué et que le voile n’a finalement été que très partiellement levé sur un monde qui semble intéressant, mais que l’on découvre réellement par la petite porte. C’est probablement dû au choix du style de récit : l’angle policier nous fait découvrir un univers par sa lie et par ses anecdotes parfois triviales, mais d’autres s’en sortent mieux avec le même postulat de base. Ainsi, Pierre Pevel avec ses Enchantements d’Ambremer parvient à mes yeux à embarquer le lecteur beaucoup plus rapidement dans son monde de fiction.

Les rivières de Londres n’en demeure pas moins un bouquin fort agréable à lire. S’il y a quelques longueurs ici et là (notamment vers la fin, qui piétine un peu), le bouquin est réellement amusant, émaillé ci et là de références geeks judicieusement dispensées et trouve un bon équilibre entre les phases d’apprentissage et les phases plus noires et violentes consacrées à l’affaire qui nous occupe dans ce tome. Si les motivations finales du criminel me laissent un peu dubitatif, la mécanique de l’enquête est assez efficace et la progression de sa résolution assez bien dosée. Reste qu’il s’agit sans doute d’un exercice ingrat de débuter par un premier tome qui a pour difficile tâche de décrire un monde et des personnages nouveaux tout en faisant avancer l’intrigue : cela peut donner de brillantes réussites ou un bouquin un peu bancal où aucune des deux pistes n’est réellement creusée jusqu’au bout. Je situerai ce premier tome dans la deuxième catégorie, malheureusement. Espérons que le second souffre moins d’un placement de décors un peu décevant pour se pencher à fond dans son enquête en étoffant ci et là ses personnages et son lore interne.

Knives Out

De Rian Johnson, 2019.

Avant d’être universellement détesté par la communauté mondiale des geeks en tout genre pour l’épisode 8 de la saga Star Wars, Rian Johnson fut adulé par la même communauté pour son très malin petit film d’anticipation Looper (2012). Et, dans les deux cas de figure, Johnson a réalisé le film, mais en a aussi signé seul le scénario. Et c’est encore le cas avec Knives Out (sorti sous le nom de A couteaux tirés sous nos latitudes). Inutile donc de dire que les attentes étaient mitigées sur ce qui nous était vendu comme un whodunit à l’ancienne, façon Agatha Christie ou Simenon. Le bande d’annonce et le casting mirent en émoi une partie des cinéphiles qui voyaient d’un bon œil le retour de Rian Jonhson sur un film moins ambitieux où les personnages et l’histoire pouvaient être exploité sans la pression d’un gigantesque studio et d’une franchise où l’erreur (et la créativité ?) n’est pas autorisée sur le dos. L’autre partie des cinéphiles ne lui avait pas pardonné, et ne lui ont toujours pas pardonné d’ailleurs, cet énorme pied-de-nez (certains iraient même jusqu’à dire doigt d’honneur) que fut The Last Jedi.

Personnellement, je me fiche un peu de ces débats d’église. Et si je considère en effet que The Last Jedi est un film bourré de défauts et qu’il n’a fait que confirmer le déclin de la saga Star Wars déjà enclenché avec le précédent opus de J.J. Abrams, cela ne m’empêche pas de lui reconnaître une certaine faconde technique et plus d’ambition scénaristiques que The Force Awakens. Du coup, j’étais curieux de voir ce que pouvait réaliser et raconter son nouveau long métrage, maintenant que la bashing/hate propre à la culture internet était un peu passé au second plan. Et puis, j’aime bien les films de détective.

Car Knives Out est réellement un hommage au genre du policier. Pas le thriller moderne ou au film de flic, mais bien au film de détective, comme au bon vieux temps. Et Knives Out tient presque toutes ses promesses quand on tient cela en compte. Servi par un casting excellent, sur lequel je reviendrais, le film nous narre l’histoire d’une succession qui dérape. Au lendemain de son 85e anniversaire, le romancier à succès Harlan Thrombey, grand spécialiste du roman policier et joué par un excellent Christopher Plummer, toujours bon pied bon œil, est retrouvé mort dans sa mansarde. Un suicide. Un suicide, réellement ? Car il apparaît bien vite que les enfants, beaux-enfants et petits-enfants du romancier ont tous des choses à cacher. Il ne faudra pas longtemps au détective Benoit Blanc pour jeter la lumière sur ces secrets de famille, sans pour autant trouver le coupable de ce qu’il pense être un meurtre.

Et pour Blanc, joué par un Daniel Craig qui s’amuse visiblement à l’écran en exagérant le côté un peu crétin de son personnage à l’accent aussi improbable qu’indéfinissable, seule la brave infirmière personnelle de l’écrivain décédé peut l’aider à démêler ce sac de nœuds, en raison de son incapacité physique à mentir. Cette dernière se met effectivement à vomir dès qu’elle est amenée à travestir la réalité ! Ce qui est évidemment bien pratique pour déceler la vérité dans ce carnaval de mensonges et de mesquineries.

Servi par un casting d’enfer, comme je le disais, Knives out offre des rôles et des performances amusantes à nombre d’acteurs chevronnés. Dans les héritiers potentiels, on ne croise nuls autres que Jamie Lee Curtis, Michael Shanon, Toni Colette ou encore Chris Evans. Et Rian Johnson, comme le genre extrêmement codé dans lequel il opère ici l’exige, de les présenter tour à tour comme des suspects potentiels. Bien sûr, ils sont parfois réduits à des traits de caractères ou à un « rôle » limité (l’emphase étant nécessaire, puisque le film joue aussi sur ce côté mise en abime : il sait que le spectateur sait qu’il regarde un film de détective et s’attend donc à certaines conventions liées au canon du genre). Forcément. L’idée n’est pas ici de signé un drame ou une comédie. Encore moins une étude de personnage. Seule l’infirmière, jouée par Ana de Armas, a réellement droit à un développement de personnage. Et c’est assez normal, puisqu’elle est finalement l’unique héroïne du film (si l’on écarte le Détective Benoît Blanc, lui aussi limité par l’archétype qu’il incarne).

Et, eu égard à tout ceci, il nous reste en fait un bon petit film de détective, de huis-clos à énigme. Le rythme est bon, la directrice artistique excessive et parodique, mais très efficace, le montage moderne et tenant ses promesses. Knives out est donc une partie de Cluedo tournée avec entrain par un Rian Johnson qui fait ce qu’il sait faire de mieux : servir une idée, un genre avec un talent certain pour la mise en scène. Servi par des performances d’acteurs irréprochables (Toni Colette et Daniel Craig sortent réellement du lot), il évite le piège d’un développement trop long ou d’un exposé un peu statique comme on peut les rencontrer trop souvent dans le roman policier. Pourtant il y a malgré tout un bémol, et de taille : le film est finalement trop simple. Bien sûr qu’il y a un twist final pour révéler qui est le coupable. L’ennui c’est qu’en tant que bon spectateur post-moderne que nous sommes, un seul twist ne nous suffit plus. Johnson ayant fait le choix d’un scénario original (contrairement à Kenneth Branagh, par exemple, avec l’excellente adaptation du Crime de l’Orient Express qu’il avait signé il y a quelques années dans un genre très similaire), il n’aurait pas du se restreindre à un retournement de situation finalement aussi simple.

C’est ce point précis qui fait pour moi de Knives out un film qui passe légèrement à côté de son propos et qui en réduit un peu la portée de l’hommage. Je ne me suis nullement ennuyé lors de sa vision. Au contraire, j’ai même ris aux quelques exagérations que Johnson insère çà et là pour rappeler au spectateur qu’il est bien dans un jeu où le propos n’est jamais dramatique. Mais je n’ai pu m’empêcher de conclure l’expérience par un « Ah oui, d’accord, c’est cela le twist. Bon. Ok. Qu’est-ce que j’ai d’autre à rattraper comme film en stock ? » En d’autres termes, même si c’est formellement réussi et agréable à regarder, cela ne marquera en aucun cas l’histoire du cinéma. Ni même du genre. Dommage.