Pirates of the Caribbean – Dead men tell no tales

De Joachim Ronning et Espen Sandberg, 2017.

Blockbusters régressifs par excellence, derniers véritables représentants d’un genre qui a tendance à se faire discret, le swashbuckling, j’ai une tendresse particulière pour la trilogie originale du Pirate des Caraïbes. D’aucun trouvaient que les deuxième et troisième opus, déjà, avaient tendance à tomber dans l’excès. Mais, au moins, pouvait-on y voir un arc narratif relativement cohérent, où les quelques scènes « over-the-top » avaient la naïveté de l’attraction mécanique des parcs à thème de Disney. Le sentiment de merveilleux et la présence de personnages importants aux côtés de l’omniprésent Jack Sparrow permettait de développer de véritables interactions, de véritables enjeux scénaristiques.

Puis, la machine à billets d’Hollywood n’a pu se résoudre à tuer la poule aux œufs d’or. Et cela donna le quatrième opus, bancal, poussif, inintéressant. Mais, comme les millions de dollars de recette étaient encore au rendez-vous, un cinquième opus était écrit dans les étoiles. Et c’est ce qui arriva. Tentant de tirer les leçons des erreurs du quatrième volet, le cinquième renoue avec les personnages de la famille Swann-Turner en introduisant le fils d’Orlando Bloom comme personnage principal. Il tentera, cela se tient, de trouver un moyen d’annuler la malédiction qui pèse sur son père, condamné à écumer les mers comme remplaçant de Davy Jones.

Mais les intérêts du jeune Turner ou de sa dulcinée tombent bien vite dans l’anecdotique lorsque l’inévitable Jack Sparrow fait son apparition à l’écran. Fut un temps où Johnny Depp était un acteur qui faisait des choix risqués, savait imposer une certaine candeur et une finesse de jeu qui rendait ses rôles intéressants. Aujourd’hui, et sans épiloguer sur ses problèmes de vie privé qui ne m’intéressent en fait pas mais qui ont bien parasité la sortie de Dead men tell no tales, il est devenu sa propre caricature. Il n’a même plus l’air de s’intéresser à ce qu’il fait. Il cabotine à outrance dans absolument toutes ses scènes, finissant par même gâcher des moments comme le caméo de Paul McCartney là où cela marchait il y a quelques années avec Keith Richards.

Et le pire est qu’il entraîne ses partenaires avec lui. Geoffrey Rush, qui campait un méchant jouissif dans le premier opus et un side-kick drolatique dans les deux suivants, est ici totalement effacé, inexploité. Son visage exprime la question que le spectateur se pose : « qu’est-ce que je fous là ? ». Orlando Bloom et Keira Knightley cachetonnent, Kaya Scodelario et Brenton Thwaites (les deux jeunes de l’épisode) essayent de s’en sortir, mais sans beaucoup de succès. Seul Javier Bardem tire son épingle du jeu, en jubilant dans son rôle de méchant excessif.

Mais peut-on uniquement blâmer les acteurs, au premier rang desquels Johnny Depp ? Soyons honnêtes deux minutes : les acteurs ne peuvent être performants que s’ils ont quelque chose à dire, que si le scénario tient la route et que le réalisateur dirige effectivement sa troupe. Dead men tell no tales ne raconte malheureusement pas grand-chose. Et ce n’est pas tant une question de vraisemblance (les scénars des trois premiers volets ne brillaient pas par leur cohérence ou leur réalisme !) qu’une question de mécanique. Les saynètes successives s’enchaînent sans qu’une progression effective ne transparaisse. Les deux ex machina invraisemblables s’enchaînent pour que l’intrigue avance tout de même, mais on n’y croit pas (plus ?) une seconde.

Visuellement, le tout est très joli : Ronning et Sandberg, dont c’est la première escapade hollywoodienne après leurs débuts suédois, ont tout à fait respecté le cahier des charges : beaucoup de fond vert, des très beaux effets spéciaux (l’équipage de Bardem montre bien l’évolution de la technologie quand on le compare à celui du Pirate original), un certain brio pour la chorégraphie de scènes spectaculaires. Et c’est tout. Ces braves artisans, auxquels je laisse volontiers le bénéfice du doute quant à leurs compétences de réalisateur, n’ont été que les bras armés d’un studio qui ne veut pas/plus prendre de risque et qui nous sert une soupe insipide, vague remake mou du premier. Le sommet émotionnel du film [SPOILER ALERT], à savoir la révélation que la gentille Kaya Scodelario est en fait la fille de Geoffrey Rush, qui bien évidemment se sacrifie pour sauver sa progéniture, sonne archi-faux. C’est mal exploité, mal joué et ne laisse que l’impression durable que c’est une porte de sortie plus ou moins exigée par les producteurs qui s’inquiètent sans doute de l’âge avançant du Capitaine Barbossa… A ce prix-là, ils auraient mieux fait de tuer Jack une bonne fois pour toute. Un reboot intelligent aurait pu en naître (ou pas de reboot du tout, d’ailleurs, la trilogie initiale se suffit à elle-même. [/SPOILER].

[Encore SPOILET ALERT, en fait ! ?] Et le pire, bien sûr, c’est que l’inévitable scène post-générique pour promet un Pirate 6. Avec, là aussi, les restes de la veille accommodés aux produits frais du jour. Au prix, d’ailleurs, d’une invraisemblance scénaristique monstre. Si Davy Jones revient hanter la vie du brave Will Turner, comme tout le laisse présager, comment explique-t-on que Davy Jones soit encore un poulpe ? Le trident de Poséidon, manipulé par nos héros, n’a-t-il pas mis fin à toutes les malédictions en cours sur les mers et océans ? Si Javier Bardem et Orlando Bloom ont été sauvé, pourquoi pas le Davy Jones des épisodes 2 et 3 ? [/SPOILER]

Amis amateurs de pirates, n’hésitez pas à passer votre chemin, à vous re-mattez les trois premiers ou encore à vous plonger dans Black Sails, dont on me dit le plus grand bien mais que je n’ai pas encore pris la peine de découvrir. Dead men tell no tales est un spectacle coloré, pétaradant, divertissant par moment, mais creux et tout aussi vite oublié que son prédécesseur, POTC4. Passez votre chemin, il n’y a rien à voir.

Captain Fantastic

De Matt Ross, 2016.

A mi-chemin entre le feel-good movie et le film anti-système, Captain Fantastic reprend les codes du cinéma indépendant US intelligent, dans la droite descendance de Juno ou encore de Little Miss Sunshine. L’ironie douce qui se dégage de tous ces personnages, leur joie de vivre face à un évènement malheureux (qui, en plus de créer du pathos, crée un moteur scénaristique) met du baume au cœur.

Acteur habitué aux seconds rôles, Matt Ross a bien fait de passer à la réalisation et de choisir le toujours excellent Viggo Mortensen dans le rôle-titre. Formaté pour Sundance, le film a également été présenté à Canne et a remporté quelques titres à Deauville. Bref, beau parcours. Est-ce que le film est à la hauteur de sa réputation ? En un mot comme en cent : oui. Pour peu que l’on est un peu sensible aux thématiques de l’enseignement, de la contre-culture (ou, pour être plus précis, de la culture anti-système) ou des habitudes idiotes de la société de consommation, cette comédie douce-amère offre un super moment.

Sans se montrer moralisateur ou sentencieux, le film pose une série de (bonnes) questions. Au-delà des questions évidentes (peut-on vivre en dehors du système ? peut-on éduquer soi-même ses enfants sans leur permettre de se confronter à des pairs ? etc.), il y a là quelques débats sous-jacents intéressants. Une des questions essentielles soulevées par le film, pour moi, est de connaître la juste mesure dans laquelle on accepte une certaine dose de malheur, de tristesse, mais aussi de déviance sociale, au profit d’une intelligence, d’une réflexion, d’une culture plus grande.

Ben (Viggo) élève en effet ses six enfants dans les bois, leur imposant un régime strict d’exercices physiques et mentaux qui en font des enfants-philosophes-rois (ou des singes pensants, diront les mauvaises langues). Et le suicide de leur mère, atteinte de problèmes psychiatriques graves, oblige la petite famille à se confronter au monde réel.

Film à thèse ? Cela aurait pu. Mais, intelligemment, le film reste une comédie. Chomsky y remplace le père Noël, la religion chrétienne sert de repoussoir aux forces de l’ordre, etc. Et si certaines positions sont parfois antinomique (éduqués comme des enfants sauvages, aucun des enfants ne semble s’offusquer d’utiliser un vieux bus qui consomme des énergies fossiles sans doute avec excès pour un road-trip qui leur fait traverser les USA du Nord au Sud), le scénar a l’intelligence de mettre en avant les doutes du père sur les choix qui sont faits, doutes lourdement martelés par la belle-famille de Ben et par sa propre famille. Et l’intelligence, toujours, de ne pas répondre à ces doutes. La fin est d’ailleurs un compromis entre les valeurs prônées et la nécessaire adéquation au monde qui les entoure.

Le personnage de Bodevan (joué par le bon George MacKay) l’aîné de la fratrie, est révélateur de cet équilibre. Manifestement mal préparé à la gent féminine, on ne peut que s’étonner de constater qu’il n’a pas en lui une révolte plus grande, comme celle que son petit frère exprime. Partagé entre la fascination de son père et le compromis de sa mère (qui l’inscrit aux concours d’entrée des grandes unifs américaines), il est un bon soldat et le reste jusqu’au bout de son propre chemin. Quoi de plus logique, en effet, que d’aller devenir un « véritable adulte » avec un sac à dos sur le dos en partant à l’aventure seul en Namibie. Hipsters, you’re welcome.

Mais, pour revenir à l’expérience d’ensemble, Captain Fantastic reste une très sympathique comédie indépendante, nettement plus intelligente que la majorité des comédies américaines traditionnelles. On rit, on est accroché et, avec un peu de chance, on en ressort un peu plus intelligent nous-même. Que demandez de plus ? Simple, une reprise qui tue sur la BO. Et vous l’avez, avec toute la gentille famille anti-système qui entame a capella avec une guitare sèche la chanson préférée de feu leur mère. Un gentil petit titre indépendant… Sweet Child O Mine. 🙂

The Hateful Eight

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De Quentin Tarantino, 2015.

Avant d’aborder le film lui-même, il faut que l’on se mette d’accord sur un élément essentiel : les films de Tarantino sont très très cons, mais très très jouissifs. Vous trouverez un peu partout sur le net et dans les revues bien-pensantes des analyses poussées sur le double-discours de ses films. Ainsi, j’ai lu il y a peu (mais je ne sais plus où et ne pourrais donc vous filer l’url) un article assez bien construit qui explique que The Hateful Eight est un film extrêmement contemporain qui met en lumière les jeux politiques américains actuels tout en étant une critique acerbe du ségrégationnisme qui continue à parasiter la société américaine WASP.

Ceci peut sembler fort intéressant comme lecture dudit film.

Mais je n’en crois rien.

Tarantino ne fait pas d’allégorie. Il tourne simplement des histoires qui le font marrer, où tous les personnages sont des salopards et où, généralement, il y en a assez peu qui survivent au générique de fin. Et The Hateful Eight ne déroge pas à la règle. Je ne suis pas un inconditionnel de Tarantino, mais ses films m’ont toujours fait rire. Ce dernier opus, à nouveau, également. Qu’on ne me comprenne cependant pas mal : c’est une forme de rire de dérision, le rire de réaction devant l’exagération. De fait, il m’a fait penser assez vite à son premier long, Reservoir Dogs : la violence outrancière gratuite, les tirades alambiquées et amorales, la galerie de crapules sans foi ni loi, le jeu de massacre sans queue ni tête.

Et c’est réussi, bien sûr. Tarantino a toujours revendiqué faire du film de genre. Et ce deuxième western le confirme : il vise à créer la forme parfaite de l’entertainment régressif et jubilatoire. S’il n’était pas tellement respectueux des codes  et d’une certaine « méthode » classique héritée de ses pairs (on oublie parfois qu’il est cinéphile avant d’être cinéaste), il aurait probablement versé dans l’exagération extrémiste d’un Zack Snyder sur Sucker Punch.

L’histoire, comme toujours, se résume en quelques mots. Un chasseur de prime, Kurt Russel, escorte l’une de ses proies, méconnaissable Jennifer Jason Leigh, vers un village paumé du Wyoming pour qu’elle y soit pendue par le nouveau shérif. En chemin, forcé par une tempête de neige malencontreuse, il ramasse un autre chasseur de prime, ancien gradé de l’Union, Samuel L, et le nouveau shérif en question, un redneck ex-confédéré, joué par l’excellent second rôle Walton Goggins. Forcés par la tempête de neige, ils se réfugient à la cabine de Minnie. Sauf qu’en lieu et place de Minnie, les accueille à la cabine une série de bonhommes à la mine plus patibulaire l’un que l’autre (Michael Madsen, Tim Roth, Demián Bichir).

Et l’escalade débute assez vite. Pas un d’entre eux ne relève le niveau moyen : comme le dit le titre, ce sont bien tous des salopards. Ce qui m’amène à parler de la plus grande réussite du film. Samuel L. Jackson, qui a fait dans le très bon et dans le très mauvais, trouve ici un rôle à sa mesure. Alors qu’on peut le considérer comme le plus sympathique de la bande, on comprend que c’est un menteur chronique, criminel égoïste qui se plaît à torturer les gens. Mais il le fait avec brio. Et plaisir visible.

Bilan de l’opération : bien tourné, bien joué, bonnes musiques mais… très con et un poil vain. Est-ce que c’est un grand film ? Non. Mais ce n’est pas ça qu’on lui demande. Du pur Tarantino. Les amateurs aimeront, les autres passeront, j’imagine, leur chemin.

Dark Crystal

De Jim Hanson & Frank Oz, 1982.

Il y a peu de temps, je suis tombé sur un « top 10 » des meilleurs films de fantasy sur le web. Quelques-uns que je connaissais de nom m’avaient toujours échappé, pour une raison ou un autre. Je me suis dit, du coup, qu’il était temps de combler mes lacunes. En commençant par l’un des plus célèbres films de marionnettes : Dark Crystal.

Presque aussi vieux que moi, Dark Crystal est devenu au fil des ans une madeleine de Proust pour nombre de ses spectateurs. L’histoire, extrêmement classique, place l’habituel underdog dans la position de sauver l’univers de la domination de despotes fort peu éclairés. Le dernier représentant d’une race exterminée, les Geflings, est élevé par les Mystics, une race sage qui lutte contre la domination des Skeksis, créatures à mi-chemin entre le rat et le dragon. Ce Gefling, Jen, est l’objet d’une prophétie : il sera celui qui réunira le cristal corrompu, le Dark Crystal qui donne son nom au film, qui donne le pouvoir aux Skeksis, mettant par la même fin à leur règne.

Sans dévoiler la couronne, le lecteur un peu éveillé imagine déjà la fin de cette charmante histoire qui hésite entre le conte macabre et la fable pour enfant. Sombre, cruelle, parfois explicite dans la représentation de la violence et de la souffrance, l’histoire de Dark Crystal souffre sans doute d’un léger problème de positionnement. Les enfants seront effrayés là où les adultes auront parfois du mal à étouffer un bâillement.

Pourtant, le film fourmille de bonnes idées. Réalisé de main de maître par les deux plus grands marionnettistes du 7ème art , Jim Henson (Sesame Street – le Muppet Show !) et Frank Oz (vous savez ? un certain … Yoda ?), le parti pris du film factice, du théâtre à fils, s’efface rapidement devant l’efficacité visuelle. Les Skeksis sont affreux, le personnage d’Augrah, la pythie immortelle, batârde étrange entre Yoda et Whoopi Goldberg, est très efficace. Même les faire-valoir comiques, comme Fizzgig, la boule de poil-chien, et le Chambellan, le Skeksis banni, sont plutôt réussis.

Kira et Jen, le couple inexpressif !

Kira et Jen, le couple inexpressif !

Malheureusement, le film souffre d’une faiblesse intrinsèque. Le héro, Jen, a autant de charisme qu’une moule apathique. C’est également la marionnette la moins expressive, car la plus proche de l’être humain. A mi-chemin du film, lorsque Jen se rends compte qu’il n’est pas le seul Gefling vivant lorsqu’il rencontre Kira au milieu de la forêt (Kira est une Gefling qui a survécu aux pogroms contre sa race, fomentés par les Skeksis alors qu’elle était encore enfant et qui a été élevé par les Podlings, une race d’esclaves nains), une lueur d’espoir naît chez le spectateur. De l’interaction naitra peut-être quelques aspérités qui rendront le personnage principal moins monolithique ? Mais non, Kira est tout autant plate, sans mauvais jeux de mots, que son partenaire masculin. Il est, dès lors, assez difficile de s’intéresser au développement de l’histoire, malgré un univers et une ambiance particulière qui sauve en partie le film.

La madeleine, indeed...

La madeleine, indeed…

Je suis probablement un peu sévère et tous ceux qui ont été biberonné à Dark Crystal dans leur jeunesse m’en voudront pour les lignes qui précèdent. Mais objectivement, bien que fanatique absolu de Highlander, j’ai assez de bon sens pour ne pas être aveugle à ses nombreuses faiblesses. C’est un peu le principe de la madeleine de Proust dont je parlais plus haut : la madeleine n’est pas la meilleure friandise du monde. Elle est même assez quelconque, quand elle n’est pas trop sèche. Proust la vénère cependant non pour son goût, mais pour le souvenir qu’elle provoque chez son consommateur nostalgique. Elle lui rappelle son enfance, les sons, les couleurs, les odeurs qu’il ressentait lors sa découverte. Elle lui rappelle une habitude, un certain confort, un cocon protecteur, parfois ; elle provoque un sentiment de bien être.

Dark Crystal est certainement une madeleine pour ses milliers de fans qui le considèrent comme un film culte et qui le classe, en effet, dans les dix meilleurs films de fantasy. Si, par contre, comme moi, vous la mangez pour la première fois avec un earl grey peu sucré vers 35 ans, il ne vous reste sans doute qu’un intérêt poli vers cet objet cinématographique, il est vrai, assez unique en son genre. C’est sans doute l’un des films de marionnettes les plus réussis d’un point de vue technique qui n’ai jamais été tourné –une mauvaise langue dirait qu’il y en a peu… le dernier à ma connaissance étant Team America : World Police qui date déjà de 2004. Dommage qu’il souffre d’un héro a-charismatique et d’une histoire, pour finir, trop prévisible pour être intéressante au-delà de 15 ans. Au moins ne souffre-t-il pas du cynisme et/ou du trop plein d’ironie qui marque toutes les productions animées grand public des dix dernières années.