Histoire de l’amour et de la haine

De Charles Dantzig, 2015, Grasset.Histoire-de-l-amour-et-de-la-haine

Écrit probablement pendant les manifestations anti-mariage gay à Paris en 2014, l’Histoire de l’amour et de la haine est un roman impressionniste. Le découpage non en chapitres linéaires, mais en moments correspondants à un sentiment particulier, en ce compris l’amour et la haine, provoque cette sensation de parcourir une mosaïque davantage qu’une histoire à proprement parler.

La multiplication des personnages –le vieil écrivain en pane d’inspiration, le jeune homosexuel en révolte, le couple gay établi, le député anti-gay hargneux, la femme trop belle pour être aimée–, dont les avis, les vues et les expériences se mélangent, renforcent encore la spirale narrative de cet objet romanesque non-identifié. Même le message de Dantzig est noyé au milieu de ce maelström : l’amour et la haine sont fort proches l’un de l’autre (notons au passage une goujaterie de la langue française : l’amour est masculin là où la haine est féminin) et ses personnages, toujours victimes d’une blessure plus ou moins sérieuse et plus ou moins secrète, ont du mal à faire le distinguo, tout comme l’humanité en général. Le cas le plus exemplaire est celui du jeune gay perdu dans sa situation familiale et amoureuse/amicale qui n’est jamais plus heureux que lorsqu’il laisse sa haine s’exprimer, quitte à basculer dans la violence.

Très intelligent et remarquablement maîtrisé dans le style, l’Histoire de l’amour et de la haine laisse cependant dans la bouche comme dans les yeux un goût de trop et de trop peu. Trop court pour être romanesque, trop long pour être pamphlétaire. Trop vulgaire, à l’occasion, pour être beau et en même temps trop réservé pour être honnête. Dantzig hésite, comme ses personnages, entre les mondes, les styles, les expériences et les constructions. Obéissant à certaines sirènes de l’auto-fiction sans l’avouer (le name droping discret mais présent, le recours à des formes aussi peu littéraires que la liste ou le tableau comparatif, façon Beigbeder, la description crue de la sexualité, etc.), on en fini par se poser quelques questions sur la vanité de l’entreprise.

Il n’en demeure pas moins que Dantzig est un écrivain érudit qui maîtrise la langue dans toute sa souplesse et sa richesse et qu’il réussi à signer un récit choral qui prend son sens, comme dans la peinture impressionniste, lorsque l’on s’éloigne un peu des pages et que les mots deviennent flous pour former un tout. Une lecture agréable et enrichissante, mais probablement trop superficielle pour laisser une marque indélébile, ce que son sujet aurait certainement mérité, la forfanterie réactionnaire d’une proportion non-négligeable du peuple français de 2014 étant trop rapidement passée sous silence pour être bien saisie.

Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines

Et les hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines

© Gallimard 2012

De Jack Kerouac et William S. Burroughs, 1944.

Reçu en cadeau, lu par hasard, ce court roman est ma première expérience littéraire avec la Beat Generation. J’avais échappé jusqu’à présent, par on ne sait quel mystère, au Festin nu ou au Sur la route, pourtant revenu sur le devant des étals des libraires à l’aune de la récente adaptation de Walter Salles. Bref, je n’y connaissais pas grand-chose, si ce n’est la réputation assez dépouillée de Kerouac en tant qu’auteur.

Maintenant cette prise de contact achevée, je reste sur une interrogation. La forme est en effet assez sèche, souvent argotique, comme je m’y attendais. J’imagine que la version anglaise sonne mieux à l’oreille, mais la traduction a tout de même l’air correcte. Ce qui m’a frappé, cependant, c’est que bien qu’écrit à quatre mains, le style est conservé de concert par les deux auteurs, malgré l’alternance imposée à chaque chapitre. Si j’ai bien saisi la postface de l’ancien compagnon de Burroughs, ils s’échangeaient les chapitres avant de poursuivre leur travail, ce qui aide, j’imagine à nouveau, à conserver une certaine continuité de forme (et de fond).

Sur le fond, justement, on est en plein dans l’Amérique libertaire des années de guerre. Ce ne sont plus les années folles et ce n’est pas encore le nouveau conformisme des années 50. Dans le New York de 1944, on vivote de petits boulots, on se bourre la gueule, on sort avec des filles, on passe la nuit dans des bars à écouter du jazz (le rock-&-roll et la drogue, c’est pour plus tard). En deux mots, une bande de copains vie aux crochets d’un barman compatissant. Ils sont plus ou moins menés par le plus jeune d’entre eux, Philippe Tourian, un turc de 17 ans. Ce dernier tente de fuir les avances d’un vieil ami homosexuel, tendances qu’il provoque en usant des largesses du prétendant. Il veut fuir, embarquer sur un bateau à destination de l’Europe pour assister à la libération de Paris, laisser derrière lui sa petite amie et son quotidien à la fois pauvre et festif.

La suite fait partie de l’Histoire. Kerouac et Burroughs ont en fait signé une autobiographie romancée, en modifiant les noms et les métiers de leur entourage. Tourian est Lucien Carr. Le vieil ami homosexuel est David E. Kammerrer. Et cela se terminer dans un meurtre prévisible, prévu et un peu imbécile. Le meurtre qui donna naissance à la Beat Generation et qui fut le sujet de nombreux autres livres et documentaires.

Cette histoire, écrite en 44 alors que les deux auteurs étaient relativement méconnus, est restée dans les placards des intéressés pendant près de soixante ans pour être finalement publiée aux Etats-Unis après la mort de Carr, par respect pour son souhait de ne pas à nouveau braquer les projecteurs sur ce fait divers malheureux. Tout ceci fait-il des Hippopotames […] un bon livre ?

Difficile à dire. Comme je l’avais ressenti à la lecture de l’Attrape-cœurs, on peut deviner à la lecture du texte que quelque chose de spécial se dégage. Une forme de souffle épique, même s’il ne s’agit que d’une épopée moderne. Pourtant, je dois l’avouer, la mayonnaise n’a pas pris sur moi. C’est intéressant, c’est drôle par moment, c’est parfois énervant. Mais ça me laisse froid. Je ne sais pas si c’est de l’européocentrisme ou du milénocentrisme, mais j’ai énormément de mal à être touché par cette bande de bras-cassés qui vivote aux crochets de leurs copines respectives et de quelques âmes envieuses de la vie de bohème   Ce meurtre final, annoncé à de nombreuses reprises, me parait finalement aussi inutile que dépourvu de sens. La bonhomie avec laquelle Kerouac et Burroughs l’accueille ne trahit que la fascination qu’ils éprouvaient, eux-aussi, pour le jeune Lucien Carr.

Si les références, les réactions et les thématiques abordées étaient probablement scandaleusement libertaires en 44, elles n’ont finalement fait que m’ennuyer doucement au fil de la lecture. Est-ce un mauvais livre pour autant ? Non. Pas réellement. On y découvre une façon de vivre, une époque, toute une clique bohème qui ne figure pas forcément en tête de pont de l’imagerie 50’s des USA, mais qui l’a clairement forgée en partie. La postface, en particulier, est très intéressante et éclaire le récit en le raccrochant à la réalité d’une époque. D’autres critiques professionnels disent qu’il s’agit d’un roman mineur, d’une œuvre de jeunesse des deux auteurs. Pourtant, je comprends à travers les lignes que c’est l’expérience qu’ils ont décrite dans cette œuvre de jeunesse, justement, qui forgea leur carrière et le mouvement littéraire dont ils furent les moteurs. Du coup, peut-on si facilement parler du contexte et non du contenu ? Peut-on dissocier le texte de son impact ? J’imagine que l’Histoire de la Littérature peut se le permettre. Moi, en tant que lecteur, je peux uniquement dire que c’est intéressant, mais aussi un peu décevant. Au moins, cela m’a forcé à m’intéresser davantage à la littérature US, ce qui n’est déjà pas si mal.