La Forêt de cristal

De J.G. Ballard, 1966.

J.G. Ballard est l’un des grands noms du renouveau de la SF britannique des années 60, aux côtés de Brian Aldiss ou Christopher Priest. Je ne le connaissais jusqu’à présent que par les adaptations cinématographiques de ses œuvres : le Crash de Cronenberg, histoire de SF urbaine portant sur le sado-masochisme dans la relation de l’homme avec la mécanique et L’empire du soleil, l’un de mes Spielberg préféré, basé sur un récit partiellement autobiographique de l’auteur lorsqu’il fut contraint de fuir Shanghai suite à l’invasion du Japon lors de la seconde guerre mondiale. Ballard, joué par un très jeune Christian Bale dans l’adaptation ciné, passera plusieurs années années dans un camp de prisonniers avant de quitter la colonie et de revenir au Royaume-Uni où il sera confronté à une toute autre vie.

La Forêt de cristal, récit apocalyptique, doit sans doute beaucoup à l’expérience de vie de Ballard sous un régime colonial. Rédigé à la fin des années 60, qui vu indépendance d’une vingtaine de pays africains anciennement colonies des grandes nations d’Europe de l’Ouest, La Forêt de Cristal se déroule dans un Cameroun équatorial, en proie aux épidémies de lèpre et à la fin d’un régime. J’ai cherché comment résumer le bouquin avec un parallèle facilement compréhensible : je pense que le présenter comme un Apocalypse Now (lui-même adapté très librement de Heart of Darkness, un récit de Joseph Conrad se déroulant dans le Congo du début de la colonisation) sous acide. C’est sombre, désespéré et très bizarre.

En deux mots, nous y suivons l’histoire de Dr Edward Sanders, le patron d’une léproserie, qui se rend dans la ville de Mont-Royal pour y retrouver la trace d’un ancien collègue et de sa femme, qui fut un temps sa maîtresse. La ville, aux frontières de la jungle équatoriale, est aux premières loges pour assister à la naissance d’un phénomène étrange. Il semble que la jungle, la forêt profonde, se cristallise pour une raison inconnue. Dans les marchés de Mont-Royal apparaissent d’étranges objets en cristal, des sculptures de fleurs, de branches d’arbres, d’animaux. Le Dr Sanders n’a d’autres choix que de remonter clandestinement le fleuve qui le conduira à l’hôpital de brousse de son ancien collègue, alors que l’armée prends progressivement le contrôle sur les environs.

Et le récit de s’enfoncer dans un délire hallucinogène où le Dr Sanders croisera divers personnages hauts en couleurs qui auront tous une motivation particulière pour se rendre, littéralement, au cœur de la forêt de cristal. Le récit, qui ne souffre d’aucune explication, nous plonge donc dans une ambiance apocalyptique, renforcée par la moiteur insupportable des tropiques et la langueur d’un pays qui n’en peut plus de sortir de sa torpeur coloniale. Je ne sais s’il faut y lire une allégorie de la fin des dominions anglais sur le continent africain (sans doute?), mais si c’est le cas, Ballard est loin d’être optimiste sur l’avenir. Tant celui de la civilisation en général que du devenir des anciens colons en particulier.

Il réussit, en plus, à maîtriser son sujet à la perfection : il parvient à nous faire ressentir une forme d’attraction perverse, sensuelle, pour cet environnement mutique, cristallin, à la fois magnifique et horrible. La Forêt de cristal est un grand texte, écrit dans un style brillant et intransigeant. L’ambiance, poisseuse, m’a fait pensé au passage de Voyage au bout de la nuit où Bardamu est colon au fin fond de l’Afrique noir. Si le style n’a bien sûr rien à voir (Ballard est nettement plus classique que Céline), le désespoir général, la vacuité de toutes tentatives ou efforts y sont similaires.

La Forêt de cristal se prête mal aux résumés ou aux commentaires. L’œuvre est une véritable expérience sensorielle, une plongée dans l’inconnu, dans la tentation du vide. Un superbe roman d’aventure, malgré tout, que les quelques paragraphes de ce billet n’esquissent qu’assez mal. Une œuvre qui mériterait des commentaires sans doute plus longs que son propre texte, tant la matière y est riche et l’impact important. Un chef-d’œuvre, en somme.

Pontesprit

De Joe Haldeman, 1976.

Fidèle à ma parole, je n’ai pas mis longtemps à mettre la main sur un autre ouvrage de Joe Haldeman, quelques temps après avoir terminé En mémoire de mes pêchés. Soyons honnête ; je n’ai pas été le chercher bien loin, puisqu’il s’agissait d’un des innombrables titres dans ma PAL. Retour, donc, sur la plume très marquée années 70 d’Haldeman.

Oublions le caractère épisodique d’En mémoire de mes pêchés ; Pontesprit est un réel roman de SF qui mélange pour le meilleur et pour le pire des thématiques aussi vastes et complexes que les voyages interplanétaires, la transmission de pensées, le premier contact avec une intelligence extraterrestre et des réflexions sur l’armée, la sexualité (et la construction familiale) et la rédemption. Et, pour être honnête, cela fait un peu beaucoup pour un court roman de 250 pages.

Du coup, on a peu l’impression d’être devant un patchwork foutraque qui se cherche la plupart du temps un fil conducteur cohérent. Rédigé comme les mémoires enregistrées de Jacque, sans le « s » final, un explorateur interstellaire pour le compte de la planète Terre, le livre s’ouvre sur une description du métier de Jacque, une nouvelle forme de colon dont le rôle est de s’assurer la viabilité à terme de planètes et amas stellaires lointains grâce à une nouvelle technologie qui permet à un petit groupe de personne de se déplacer instantanément à de grandes distances sidérales (avec, cependant, un effet de retour qui les renvoie vers leur lieu de départ quelques minutes/heures/jours ou semaines après leur arrivée en ces nouveaux lieux, avec ce que cela peut provoquer comme dangers et accidents). Sur un satellite lambda, ils découvrent une sorte de méduse qui permet aux êtres vivants qui la tiennent de lire dans les pensées l’un de l’autre. Avec l’effet malencontreux que le premier être vivant qui touche la méduse meurt dans un temps proportionnel à ses ces capacités psychokinétiques (ou quelque chose comme ça). Et comme seconde limitation que la qualité de l’effet, de la transmission, diminue progressivement chaque fois qu’un être vivant touche la bestiole, jusqu’à n’être plus qu’une retransmission inintelligible.

Heureusement, Jacque touche le « pontesprit« , qui donne son nom au bouquin, en second. Après ce premier temps fort, Haldeman dilue son récit dans diverses pistes explorées parallèlement l’un à l’autre. Il abandonne au passage le côté « confession » des mémoires de Jacque et alterne les chapitres avec le point de vue d’autres acteurs (des scientifiques, la copine de Jacque), voir avec des rapports administratifs, statistiques ou militaires relatifs aux pontesprits et leur impact. Puis vient, passé la moitié du bouquin, le contact avec une civilisation extraterrestre apparemment belliqueuse qui d’une part massacrent les colons avec lesquels ils ont établis un contact et, d’autre part, semblent se rapprocher dangereusement des dominions humains dans la galaxie. Je vous laisse le plaisir de découvrir la suite de l’histoire si le bouquin vous tente, mais vous aurez déjà compris que Jacque et le pontesprit jouerons un rôle important dans l’établissement d’un dialogue, indépendamment de la qualité ou du contenu de celui-ci.

La quatrième de couverture dithyrambique exagère certainement la qualité et l’importance de ce roman qui est, il faut bien se l’avouer, assez anecdotique de par sa construction bancale. S’il est bourré de bonnes idées, il fait partie de ses œuvres frustrantes qui n’exploitent pas les pistes et réflexions qu’elles amènent. Le côté violent et colérique de Jacque, fort détaillé au début du roman, est réutilisé de manière tout à fait artificielle pour justifier la « connexion » avec l’entité extraterrestre. Et si, comme le dit la quatrième de couverture, les extraterrestres en question font en effet penser aux insectes de la version ciné de Starship Troopers (Etoiles, garde à vous! est le roman de Robert Heinlein qui lui servit de matériau de base), leurs motivations restent très floues. La fin du bouquin, en particulier, affiche une rupture de ton et de propos qu’on a du mal à saisir, tant il semble contradictoire avec le contenu.

Bon. En somme, le bouquin est intéressant à lire car, comme le disais, il regorge de bonnes idées et de pistes de réflexion intéressantes qui pourraient être le terreau de nouvelles ou de romans de SF à elles-seules. Mais, imbriquées l’une dans l’autre de façon parfois un peu artificielles, ces bonnes idées se noient dans un roman mal construit qui laisse un méchant goût d’inachevé dans la bouche. Assez anecdotique, donc, les amis.

The Fall of Gondolin

De J.R.R. Tolkien, 2018.

45 ans après sa mort, Tolkien parvient encore à nous sortir un inédit ! Enfin, un inédit, tout est relatif. La Chute de Gondolin, le conte original écrit dans sa première version vers 1916-1917, fut déjà publiée dans le Second Livre des Contes perdus, édité lui aussi à titre posthume par le troisième fils de J.R.R., Christopher Tolkien. Et c’est ce même Christopher, âgé tout de même de 94 ans cette année, qui édite à nouveau ce même conte dans un écrin qui lui est entièrement consacré.

En fait, Christopher conclut avec ce livre la longue série des publications posthumes de son père, débutée avec le Silmarillion dans les années 70 (*) et terminée, donc, cette année, avec The Fall of Gondolin. Car, si Christopher avait déjà annoncé en 2017 que son Beren & Lúthien était son dernier ouvrage, il n’a pu résister à compléter sa trilogie des grands récits du premier âge, débuté en 2007 avec The Children of Hurin. Et ce Fall of Gondolin suit exactement la même logique : au-delà de l’histoire proprement dite de la chute du royaume elfique enclavé et secret de Gondolin, c’est bien un livre sur l’évolution des écrits de son père que l’on a entre le mains. Chritopher, exécuteur testamentaire littéraire des œuvres de son père, regroupe ici plusieurs versions successives du la Chute, qu’il commente ensuite quand à leur différences de construction, de contenu et de style.

La première version contenue dans ce recueil, la version originale pensée et rédigée dans les tranchées de Passchendaele par Tolkien père, est la seule version réellement complète de l’histoire et fait un petit 80 pages. C’est également la seule version qui conte en effet la chute de la cité de Gondolin et qui détaille, par le menu, les différents affrontements qui émaillèrent sa prise. Les troupes de Morgoth/Melkor, constituées de Balrog, d’orcs et de dragons mécaniques (étrange !), malgré les lourdes pertes qu’elles essuient, finiront dans cette version par défaire les habitants de cette cité légendaire. C’est également la version la plus archaïque dans son style, proche parfois de la chanson de geste, alors que Tolkien rédigeait à cette époque nombre d’épopées versifiées inspirées par les légendes nordiques et anglo-saxonnes.

La seconde version, nettement plus courte, est une forme de résumé destiné à être intégrée dans le Silmarillion. Si elle est factuelle et complète, elle manque évidemment, par sa forme, de corps pour être réellement agréable. La troisième et dernière version, la plus romanesque et littéraire, est également la plus ancienne. Elle fut rédigée dans les années 50, alors que Tolkien (J.R.R., pour le coup) peinait à trouver un éditeur pour son Seigneur des Anneaux. Elle retrace par le menu les origines de Tuor, l’humain qui fut chargé par le Vala Ulmo, de prévenir le Roi Turgon de la menace qui pèse sur sa cité-état de Gondolin. Cette version, la plus travaillée et la plus agréable à lire (et aussi celle dont je me souvenais le mieux pour l’avoir lu dans le Silmarillion ou dans Le Livre des Contes perdus) a cependant l’énorme désavantage d’avoir été abandonné par son auteur à mi-chemin.

En effet, le texte s’arrête alors que Tuor a passé les portes successives du Royaume caché et découvre pour la première fois les tours blanches de Gondolin au loin dans cette vallée enclavée. On ne peut donc qu’imaginer ce que le texte final aurait donné, si J.R.R. Tolkien avait eu le loisir de terminer cette version avant sa mort. Le lecteur actuel, maintenant que The Fall of Gondolin est publié, pourra se faire une idée sur l’évolution du texte et devra se reporter sur le Livre des Contes perdus pour y lire une version complète, « bricolée » par Christopher Tolkien plusieurs années après le décès de son père à partir de ces diverses versions, ici publiée avec très peu de modifications (si ce n’est l’inévitable uniformisation des noms propres utilisés au sein d’une même version du récit, que Tolkien père avait la fâcheuse tendance de modifier plusieurs fois au sein d’une même épreuve, au gré de ses inspirations linguistiques).

Mais que penser de ce The Fall of Gondolin, allez-vous me dire ? Et bien, du bon, bien sûr. Mais pas de l’exceptionnel non plus. Je m’explique : si la verve de Tolkien est toujours agréable à lire (à titre accessoire, je ne la lis qu’en Anglais dans le texte, ne supportant pas le ton très compassé de la traduction française de chez Christian Bourgeois -et je sais bien que la version originale est aussi très archaïque, mais, allez savoir pourquoi, ça passe mieux en anglais!-), j’ai un peu de mal avec la démarche de son fils Christopher. Beren & Lúthien, annoncé comme un opus majeur en 2017, m’avait par exemple fort lassé au-delà de la première itération du texte (où Melkor était … un chat maléfique !) Si j’ai dans ma bibliothèque l’intégrale de The History of Middle-Earth qui attends que j’ai quelques mois devant moi pour m’y plonger, je ne peux ôter de mon esprit qu’il y a là une vilaine démarche commerciale de la part du fils prodigue et de Harper & Collins, l’éditeur historique de Tolkien, de vouloir continuer à faire du profit avec des versions de travail de contes et textes déjà publiés par ailleurs.

Sur l’histoire en elle-même maintenant, là aussi, je suis un poil réservé. Tuor, comme Beren, d’ailleurs, a le défaut d’être assez lisse. Il est invariablement bel et bon, comme les chevaliers des chansons de geste (voir encore davantage, les chevaliers arthuriens commettant des erreurs et des trahisons, ce qui ne serait pas envisageable pour Tuor ou Beren). Et… cela manque du coup un peu d’aspérités. A titre de comparaison, j’ai toujours préféré Túrin Turambar, le personnage principal des Children of Hurin. Lui commet des erreurs. Et agit sous le coup de la colère. Et connait un destin tragique. Il en est d’autant plus intéressant et humain. Enfin, je pinaille : The Fall of Gondolin reste de la très bonne fantasy et détaille par le menu l’un des épisodes essentiels du premier âge et la dernière défaite importante des efles noldori face à Melko/Morgoth.

Il me reste à toucher un mot sur le livre en tant qu’objet : j’ai pris la version hardback de chez Harper & Collins, illustrée par l’inévitable Alan Lee. Le livre est bien sûr de très bonne facture, bien qu’un peu rigide en raison d’un grammage très élevé de son papier. Les illustrations sont formidables, comme de bien entendu. Alan Lee, après toutes ces années, est l’un des quelques illustrateurs qui ont forgé l’image que l’on a tous de la Terre du Milieu. Même si l’image que j’ai en tête de la Chute de Gondolin restera toujours l’image qui orne la couverture de mon exemplaire poche du Silmarillion qui est signée, si mes souvenirs sont bons, par nul autre que John Howe. Comme quoi.

Résumons mon avis en quelques mots si d’aventure le texte qui précédait n’était pas clair : The Fall of Gondolin est bien sûr un immanquable pour tous les fans de Tolkien (ce que je suis). Pour le lecteur épisodique qui n’aurait lu que le Hobbit et/ou le Seigneur des Anneaux, l’ouvrage est probablement plus accessoire.

(*) Ce qui n’est pas tout à fait juste : en effet, sortait en 1975, soit deux ans avant le Silmarillion, Sir Gawain and the Green Knight, réécriture versifiée d’une partie des légendes arthurienne par Tolkien seulement deux ans après sa mort et, déjà, édité par fils Christopher. Mais j’ai choisi de l’ignorer, sachant que ce texte ne porte pas sur les Terres du Milieu et les légendes y afférentes.

Le Vent dans les Saules

De Kenneth Grahame, 1908.

Profitant d’une réédition poche chez Libretto à seulement 10 €, avec une agréable couverture en simili-cuir vert clair, je rattrape un manque flagrant à ma culture littéraire fantasy. Grand classique de la littérature enfantine anglaise, Le Vent dans les Saules a été adapté des dizaines de fois en BD, films d’animation, série animée ou même encore film live depuis ses 110 ans d’existence. L’occasion de revenir au texte d’origine était donc trop belle pour passer à côté.

Et grand bien m’a pris ! L’écriture de Grahame n’a pas pris une ride malgré son âge. La rive du petit cour d’eau bucolique qui sert de cadre à la plupart des histoires du recueil est instantanément familière à tout ceux qui eurent la chance de se balader en forêt dans leur jeunesse. Cette campagne anglaise, universellement reconnaissable, est le décors parfait aux aventures de M. Taupe, M. Rat, M. Blaireau et, bien sûr, l’inénarrable M. Crapaud. La douceur de vivre, la langueur même, qui sourdre de ces tranches de vie nous font retourner dans le passé : à travers ces pages, nous sommes à nouveau les jeunes enfants insouciants que nous fûmes, préoccupés par un bon repas, un bon sommeil et des aventures amusantes à raconter le lendemain aux copains.

Mais Kenneth Grahame n’est pas Béatrix Potter : même s’il s’adresse avant tout aux enfants, il ne peut s’empêcher de livrer aussi à travers ses douces histoires une certaine vision de l’Angleterre du début du XXème siècle. Une Angleterre bucolique, rurale, où il est bon de prendre le temps de vivre. Une Angleterre qui n’existait en fait déjà plus à cette date, victime de l’industrialisation massive qui en fit la première puissance mondiale quelques années avant. Car, pour faire un parallèle qui n’étonnera guère le lecteur de fantasy, il y a quelque chose de la Comté le long de cette rivière tranquille qui sert de foyer à nos héros. Et quelque chose d’hobbit-esque chez messieurs Rat, Taupe et Blaireau. Il fait bon vivre à retrouver son foyer, à partager de multiples repas conséquents, à simplement flâner et profiter d’une nature généreuse et belle.

M. Crapaud est là pour semer le trouble dans cet équilibre tranquille. Par ses idées fantasques, sa passion pour les ennuis et sa très haute idée de lui-même, il est le grain de sel qui vient gripper les rouages et forcer nos héros à sortir de leur torpeur bienveillante et à entrer en action. Tout ceci dans le respect des convenances d’un Angleterre victorienne où le vouvoiement est de rigueur et où l’on ne fraie pas avec les Lapins, ces idiots qui ne pensent qu’à se reproduire ou avec les Fouines et Belettes, les racailles du coin.

D’aucun pourrait penser que tout ceci sent bon le suranné. Et s’il est vrai que certains chapitres sont évidemment d’un intérêt moindre pour un lecteur adulte, il n’en demeure pas moins que le livre recèle quelques bijoux fantaisiste qui parleront au cœur même des plus insensibles d’entre nous. Je pense en particulier au chapitre où messieurs Rat et Taupe récupère le fils de M. Loutre chez le joueur de pipeau aux portes de l’aube, l’esprit de a nature. Ou encore au chapitre où M. Rat est tenté de suivre l’un des siens dans un voyage à travers le monde avant d’être rappelé à l’ordre par son ami M. Taupe. Et les plus jeunes, eux, riront sans doute aux mésaventures de M. Crapaud, qui passe chauffard à repenti en passant par la case prison et par une évasion rocambolesque.

On peut d’ailleurs se demander si Le Vent dans les Saules est réellement un livre de fantasy. Bien que classé comme tel, dans le sous-domaine particulier de la fantasy animalière, les personnages du Vent dans les Saules pourraient tout aussi bien être des gentilshommes anglais victoriens tout ce qu’il y a de plus classique. Mais Grahame n’en fait pas des caricatures d’être humains. Même s’ils sont anthropomorphes par bien des aspects, les protagonistes du roman sont bien des animaux parlant. S’ils ont des épiceries, des relations de bon voisinage, s’ils mangent du saucissons en l’accompagnant de vins italiens, ils n’en demeurent pas moins des rats, des taupes et des blaireaux. Grahame parvient donc à croquer certains comportements de ses contemporains, une certaine nostalgie d’un âge d’or (le titre d’un autre de ses romans, d’ailleurs) perdu, un amour de la nature et des éléments fantastiques légers car, rappelons-le nous : les animaux ne parlent pas, dans la vraie vie. Et ils ne conduisent pas non plus d’automobile.

Personnellement, je ne me suis pas embêté une minute à la lecture de ces quelques deux cents pages que j’ai avalé en quelques heures. Je suis particulièrement enchanté par le niveau d’écriture, exigeant, qui n’a pas le défaut de prendre les enfants pour les idiots et qui, comme c’était l’usage à l’époque, s’adresse à eux avec un vocabulaire soutenu et des évocations qui frisent de temps à autre avec la poésie. Le texte prends en plus une couleur particulière lorsque l’on sait que Kenneth Grahame créa cet univers et ces personnages pour son fils, un entêté qui partageait beaucoup de son caractère avec M. Crapaud, malheureusement décédé quelques années plus tard. La garçon, surnommé la souris, était né aveugle d’un œil et en proie à de nombreux problème de santé. Il s’est suicidé à 20 à peine et Grahame, décédé en 1932, du donc vivre pendant plus d’une dizaine d’année avec une œuvre au succès mondial qui lui rappelait chaque jour son fils disparu.

Passé cette anecdote sinistre, je ne peux que vous encourager de découvrir ce classique qui mérite amplement sa réputation et son succès. Le récent poche à l’avantage d’être économique et pratique à lire, mais il est probablement assez simple de se procurer une des nombreuses versions illustrées qui existent qui seront sans doute plus évocatrices si vous partager la lecture avec des enfants. Le mien est encore un peu petit pour suivre ces aventures, mais le bouquin est certainement sur la pile des œuvres à lui faire découvrir, pas bien loin du Hobbit et de Narnia.

Mondocane

De Jacques Barbéri, 2016.

La période des fêtes de fin d’année est tout à fait propice pour une bonne tranche de post-apocalyptique ! Passé les premières pages un poil ésotérique, on entre dans le cœur du roman avec l’histoire de Jack, un informaticien récemment enrôlé dans l’armée en perspective d’un conflit mondial entre les deux grands blocs qui se disputent la Terre (sans doute, ce n’est pas précisé). Le bonhomme n’est pas réellement à l’aise dans la troupe, qui fait furieusement pensée à la bande de jeunes de Starship troopers. Lorsqu’une nouvelle recrue arrive, Jack tombe instantanément amoureux.

Il profite d’une dernière permission pour sortir avec la fille en question dans son quartier d’enfance. Mais, dès le lendemain, la guerre l’appelle : Jack est une ressource essentielle ; il est l’un des maîtres à penser de l’I.A. Guerres et Paix, l’I.A. qui détermine les réponses armées et les tactiques militaires à adopter pour son côté du conflit en devenir. Seulement voilà : l’autre côté aussi à développer une I.A. omnisciente. Et, comme souvent dans la S-F, les I.A. s’entendent pour se liguer contre leur ennemi commun, l’Homme.

Et c’est là qu’on entre réellement dans la partie magistrale de Mondocane : les I.A. provoquent une catastrophe mondiale qui déforme la réalité et altère l’humanité. Jack, par une succession de hasards, s’en sort comme seul survivant de son unité et se réveille après sept ans, d’une hibernation/congélation d’urgence, dans le monde de demain. Monde de demain qui n’est pas spécialement beau à voir, ni sympathique à vivre. Les rares survivant de la catastrophe survivent bon gré mal gré en petites communautés qui se méfient l’une de l’autre. Jack est récupéré à son réveil par deux frères (l’un a un corps à moitié métallique, l’autre n’a plus que la moitié de son visage), la femme de l’aîné (une énorme femme qui compense son malheur avec des barres céréalières), leur fille (née après la catastrophe, elle est l’une des post-humaines, on l’imagine simiesque à souhait) et leur père (le masque à gaz du vieil homme à fusionné avec sa bouche lors de la catastrophe et il se nourrit via un ténia géant qui le parasite -à moins qu’il ne soit devenu le ténia et que son corps ne soit plus qu’une enveloppe ?-).

Et ce ne sont que les premiers survivants que Jack croisera. Et encore, je passe sur la sœur de la famille, corps assimilé à une pyramide humaine de plusieurs centaines de corps fusionnés qui partagent, semble-t-il une seule conscience. Bref, du Mad Max sous acide. Et Jack, dans cette réalité désolante, de se mettre en quête de l’unique amour de sa vie, la fille avec laquelle il a passé sa dernière nuit avant l’attaque des I.A.

Mondocane ne laisse pas son lecteur respirer et l’entraîne dans une sorte de montagne russe de apocalyptique qui se situe quelque part entre Ken le Survivant et l‘Île du Docteur Moreau. Jacques Barbéri, que je ne connaissais absolument pas malgré les nombreux romans qu’il a publié depuis les années 70 chez Fleuve Noir/Anticipation et chez Denoël/Présence du futur, sert admirablement le propos avec une style évocateur et imagé. Plus d’une fois, on pense être devant l’un de ces tableaux de la Renaissance représentant l’enfer : une mélange de répulsion et d’attirance envers cet inconnu glauque et bizarre.

Et c’est effectivement ce que je retiens du bouquin : un vrai trip dans le pays de l’étrange. La S-F sert pour finir d’excuse, de cadre, à la vision que Barbéri a sans doute eu d’une monde où les règles de la physique sont bouleversée par des entités aux motifs inexpliqués. Et s’il y a une tentative d’explication technologique, elle s’oublie bien vite face aux images fortes de ce monde nouveau, laid et beau tout à la fois. Une vraie découverte, qui se lit vite et aisément. Encore un auteur dont j’essaierai sans doute d’autres œuvres à l’avenir, si j’ai le loisir de tomber dessus (histoire d’encore alourdir mal PAL).