Rampage

De Brad Peyton, 2018.

The Rock, un loup géant volant et un combat entre un alligator géant et le petit cousin de King Kong (albinos, pour pas les confondre)… Que demande le peuple ? Bienvenue dans l’univers régressif des blockbusters à l’ancienne, méchamment débile mais spectaculaire, dans le genre cookie-cheesecake-crème caramel, surmonté par une dame blanche, nappé de sirop d’érable et recouvert de barbe à papa rose fluo. Un poil écœurant, donc.

Le canadien Brad Peyton, qui se spécialise dans le film d’aventure/film catastrophe familial (Voyage au centre de la Terre 2, déjà avec The Rock, San Adreas) disposait d’un bon gros budget effets spéciaux (120 millions de dollars tout de même) pour nous proposer sa version « moderne » du Monde Perdu, avec des blagues cools, des méchants vraiment méchants et de l’action à revendre. Le synopsis tient en trois lignes : une méchante compagnie de bio-ingénierie perd des échantillons d’un mutagène sur Terre suite à la destruction de leur labo suborbital. Le mutagène transforme de sympathiques animaux sauvages en monstres géants super-agressifs (ici, un gorille, un alligator et un loup). Heureusement, The Rock, ex-militaire reconverti comme monsieur primate du Zoo de Chicago, est pote avec le gorille mutant et va sauver le monde, ramassant au passage une nouvelle copine, un agents fédéral rebelle/cowboy qui deviendra son best-buddy, et flinguant les méchants avec style.

Déjà vu/lu/entendu des millions de fois, vous allez me dire. En effet. Mais, on ne peut malgré tout s’empêcher d’avoir le sourire aux lèvres quand on entend Dwayne Johnson dire, dans le combat final: « Et le loup vole, évidemment« . Car au plus c’est gros, au mieux ça passe. Passer le défoulement pour petit garçon, je suis toujours fasciné à la fin de ce genre de film quand je me dit que des producteurs ont misé 120 millions de dollars sur ce genre de grosse machine. On dit toujours que Hollywood ne table que sur des suites et des remakes. Voilà pourtant un gros budget alloué à un script original (enfin, original, vous m’avez compris…), avec une prise de risque tout de même assez grande (le remake de Godzilla n’a pas spécialement marché, sans parler du second Pacific Rim). Et ça marche. Sans doute le public aime être rassuré de vivre une expérience déjà connue, avec un soupçon d’inédit et de nouveauté.

Bien sûr, Dwayne « The People’s Eyebrow » Johnson est très efficace dans le registre du paquet de muscles sympathique. Ses expressions exagérées, héritées de son passé de catcheur (où les sentiments doivent être tellement exagérés et excessifs qu’ils doivent pouvoir se lire sur les expressions faciales depuis l’autre côté d’une salle de 20.000 places), fonctionnent à merveille. Jeffrey Dean Morgan (l’inoubliable Comedian des Watchmen, avant d’enchaîner des rôles importants dans diverses séries télé) cabotine tout le film en jouant les vieux cowboy justicier et Malin Akerman (Silk Specter, là aussi, dans les Watchmen) s’amuse à fond dans son rôle de méchante très méchante. Même le gros gorille (qui n’est pour une fois pas joué par Andy Serkis) se taille sa place à l’écran avec son humour à deux balles et ses doigts d’honneur. Et les effets spéciaux sont honorables, mêmes s’ils sont très loin des prouesses faites sur la nouvelle trilogie de la Planète des Singes, par exemple.

Mais ces performances et la technique ne font pas un bon film. Rampage: Hors de contrôle fait partie de ces productions à la chaîne qui fleurent bon le nanar sympathique. A l’instar d’un tube de l’été, ce type de film est destiné à marcher pendant quelques semaines et à être oublié aussi vite. Le divertissement parfait pour une soirée pizza-coca devant TF1 le dimanche à 20h50. Bilan de l’opération : un film raté ? Non. Un film réussi ? Pas vraiment non plus. Mais qui a le mérite de distraire pendant 1h40 et qui n’a pas la prétention de faire autre chose. Du pop-corn un peu trop sucré, en somme. Les amateurs consommeront.

The Shape of Water

De Guillermo Del Toro, 2017

Puisque tous les réalisateurs barbus à lunette sont destinés à avoir un Oscar à un moment ou un autre (sauf George Lucas, of course), 2017 était l’année de Del Toro. Après avoir livré de la commande en la marquant de sa patte (Mimic, Blade II), avoir imposé un style (Hellboy I et II), s’être révélé intimiste (Le Labyrinthe de Pan), anecdotique (Crimson Peak) ou simplement génial (Pacific Rim), Del Toro se frotte donc à l’exercice du film à prix. Malin comme il est, le bonhomme a rédigé le scénar lui-même (novellisé entretemps), dans l’univers qui est le sien, à mi-chemin entre le film de monstre et le film d’amour.

The Shape of Water tient assurément plus du Labyrinthe que de Pacific Rim ou d’Hellboy, même s’il partage avec ses aînés un univers artistique décalé. Le film nous conte (et, bien sûr, le verbe n’est pas anodin) l’histoire d’Elisa, femme muette dans la trentaine, qui vit seule dans un appartement déglingué au-dessus d’un cinéma de quartier. Ses seuls amis sont son voisin, un vieil artiste gay désargenté (interprété par l’excellent Richard Jenkins) et sa collègue directe, Zelda, une mama black qui passe son temps à râler sur son mal de pied et sur son mari (interprété par la non-moins excellente Octavia Spencer). Femme de ménage pour une agence gouvernementale obscure, sa vie est rythmée par le traditionnel métro-boulot-dodo, dont elle s’échappe en rêvassant et grâce aux facéties de son vieux voisin de palier. Mais son train-train est bousculé lorsqu’elle rencontre un étrange humanoïde amphibien, créature de laboratoire étudiée par des hommes en blouse de scientifique à son boulot.

Malmenée par l’effroyable colonel Richard Strickland, interprété par le non-moins inquiétant Michael Shannon, la pauvre créature se laisse doucement mais sûrement apprivoiser par la gentille Elisa. Tous deux muets, ce couple improbable va se progressivement se rapprocher jusqu’à ce que l’amour naisse entre eux. Bien sûr, les péripéties ne manqueront pas d’arriver (la fuite, la course-poursuite, etc.), mais ce n’est pas le cœur du film. Il s’agit avant tout, comme souvent chez le Del Toro intimiste, de s’intéresser à la vie de marginaux, de personnages sans importance, qui finissent par vivre un destin hors du commun. Comme l’Ofelia du Labyrinthe de Pan, Elisa se trouve au centre d’une histoire qui la dépasse, mais qu’elle choisit de vivre intensément, comme actrice de sa vie et non comme une spectatrice passive, rôle que l’on lui imagine aisément avoir endossé toute sa vie.

Tout cela est très joli et plein de bons sentiments. Mais est-ce que ça fonctionne ? Oui, et non. Le film est, fondamentalement, bancal. Il enchaîne les moments de brillance et les épisodes plus anecdotiques, les fulgurances et les lenteurs. Si l’ambiance est parfaitement dans le ton d’un Tel Toro et si le casting est vraiment impeccable, on a un peu de mal a accrocher réellement à cette belle amourette. C’est précisément cela la faiblesse du film, à mes yeux : l’histoire d’amour, le centre névralgique du scénar, est amenée avec peu de subtilité et développée de manière tellement succincte que l’on a du mal à croire au développement de sentiments véritables. Pour faire un parallèle peu flatteur, le côté sentimental est traité de la même manière que Lucas l’avait fait sur la prélogie Star Wars. On n’y croit pas, malheureusement.

Reste l’univers, le détail de la réalisation, le jeu d’acteur et quelques moments fantastiques (la scène de sexe dans la salle de bain immergée est extrêmement belle). Mais, comme souvent, difficile de réaliser un chef-d’œuvre si l’histoire ne fonctionne qu’à moitié. Dommage, vraiment, d’être passé à côté, comme il était passé à côté de Crimson Peak qui souffrait en définitive du même problème : la prévisibilité du développement n’est pas compensée par un traitement adulte et complexe des personnages qui vivent ces histoires. Difficile, en somme, de comprendre pourquoi l’Académie lui a décerné le prix. Guillermo était-il le seul réalisateur hollywoodien à ne pas harceler ses actrices ? 🙂

Solo

De Ron Howard, 2018

Solo a la particularité d’être le premier Star Wars dont personne n’attendait rien. Alors que la troisième trilogie est le sujet de polémique préféré de tous les geeks de la planète (après un épisode VII hommage et un épisode VIII qui casse -souvent maladroitement- les codes) et deux ans après Rogue One qui entamait de façon inattendue mais brillante les spin-offs, Disney/Lucasfilm nous propose donc une « origin story » de celui qui reste pour beaucoup le personnage préféré de la première trilogie.

Et de Solo, il en est beaucoup question dans ce nouveau long métrage. Peut-être même un peu trop. De fait, le film tente tellement d’expliquer toutes les petites allusions à la vie passée d’Han Solo qui émaillaient la première trilogie qu’il ne laisse pratiquement plus aucune zone d’ombre. Sachant que Solo se termine sur un méchant cliffhanger qui ne peut qu’appeler une (ou des?) suite(s), l’on peut raisonnablement se poser la question de ce qu’il restera à développer comme « Star Wars lore » dans le ou les prochains.

Mais, au-delà de ce problème de fanboy, que peut-on retenir de cet opus particulier ? Et bien, en résumé, que c’est un bon divertissement. Bien sûr, ce n’est pas le film du siècle, ni dans la forme, ni dans le fond. Mais ça reste très agréable à regarder et les deux heures du long passent sans longueur aucune. Pourtant, la production du film fut plus que chaotique. Les deux réalisateurs engagés sur le projet, Phil Lord et Christopher Miller, ont gentiment été dégagé du film après 5 mois de tournage. On ne peut qu’imaginer les discussions enfiévrées au board de Buena Vista quand ils ont vu les premiers rushs et qu’ils ont découvert ce qui semblait être, dans son premier montage, une comédie loufoque.

Sans doute Lord et Miller ont-ils tenté le virage Marvel/MCU pris avec, par exemple, Les Gardiens de la Galaxie ou Thor:Ragnarok. Ils ont du se dire : « Hey! Y’a un public pour les comédies de SF loufoques à 180 millions de dollars la prod. Faisons de Solo un produit comique, puisque Han est quand même l’un de seuls personnages drôle/cynique de la série« . Sauf que non, visiblement, ça n’a pas marché. Chat échaudé craint l’eau froide, comme dirait feu ma grand-mère : après le viandage complet des tentatives d’humour de l’épisode VIII, grand-père Lucas veillait au grain et a probablement engueuler la petite Kathleen Kenedy au téléphone pour lui dire qu’elle déconnait plein tube. Du coup, basta les deux petits jeunes. Appelons une valeur sûre d’Hollywood (et, surtout, un très vieux pote de Lucas).

C’est donc le vétéran Ron Howard, que Lucas casta dans son second long, American Grafiti, qui pris les manettes du spin-off cinq mois après le début du « principal photography« , comme disent nos amis anglo-saxons. Sur un tournage probablement prévu en six mois. En dernière minute, donc. Et il ne s’est pas contenté d’adapter à gauche à droite ou de tenter de sauver le film en salle de montage (la bonne vieille technique de Lucas, le monteur qui se rêvait réalisateur mais qui déteste tourner). Howard a retourner entre 70 et 80% du film. Autant dire que c’est son film et qu’il ne reste que des bribes, par-ci par-là, du film initialement tourné (peut-être peut-on considérer le duo de réalisateurs originaux comme les réalisateurs de la seconde équipe ?)

Et, sans surprise, Ron Howard fait du classique. Comme il l’avait fait avec ses honnêtes adaptations du Code Da Vinci et ses suites, Howard ne prend que peu de risques et livre le film qu’on attend de lui : un film de SF avec du fan service, des scènes d’action, quelques blagues par-ci par-là et, bien sûr, de nouvelles planètes et autres extra-terrestres exotiques. La réalisation alterne le correct (la première scène de course-poursuite sur Corellia qui fait penser à du R-Type… sans la vitesse) et le spectaculaire (la scène du vol sur le train est sans doute le pic dramatique du film). Les acteurs ne détonnent pas, même Emilia Clarke, qui avait pourtant livrer une bien piètre interprétation dans son premier grand rôle post-Daenerys Targayen, à savoir Sarah Connor dans le très oubliable dernier opus de la franchise Terminator. Sont-ils pour autant bons ? Pas réellement, en fait. Ils font le boulot. Alden Ehrenreich, en particulier, qui reprend ici sur ses épaules méconnues la veste en cuir mythique d’Harrison Ford, est assez transparent. Même lorsqu’il mime les poses de Ford, on n’y croit qu’à moitié, car le personnage n’a pas encore l’ampleur qu’il aura dans la première trilogie. C’est juste, ici, une petite frappe qui a plein de rêves de noblesse en tête. Du coup, même s’il n’est pas mal joué, il n’a pas non plus l’impact que l’on espérait de lui.

Abordons maintenant le fond (et, donc, alerte SPOILER) : comme je le disais plus haut, Solo remplit le cahier des charges d’un Star Wars. Le jeune Han est un pauvre gamin exploité par un syndicat du crime relativement anonyme sur Corellia. Mais il voit une opportunité de se barrer avec sa copine lorsqu’il double ses propres chefs pour piquer un ressource naturelle rare à son propre compte (le McGuffin du film). Après moult courses poursuites, Solo parvient à s’envoler vers des cieux meilleurs alors que sa copine est bloquée sur Corellia. Il n’aura donc de cesse de réaliser un gros coup pour retourner sur Corellia chercher sa copine. Mais… On le retrouve quelques années plus tard alors qu’il a fait ses classes à l’Académie de l’Empire (si-si, mais, ça, on le savait grâce à l’univers étendu de Star Wars). Bon pilote, il s’est fait réaffecter à la piétaille en raison de son insubordination. Du coup, quand il voit l’occasion de se barrer avec une équipe de voleurs locaux (menée par Woody Harrelson, égal à lui-même), il n’hésite pas. Embarquant au passage un gentil Wookie qui se trouvait là (sans blague!), le voilà intégré dans une petite équipe de pirates de l’espace (le premier qui siffle le générique de Cobra prend un claque sur le pif) avec son side-kick éternel, le poilu Chewie.

Dans cette équipe, il flaire le gros coup : ils vont piquer un wagon complet de ressource naturelle (la même qu’au début, oui, ça fait répétition) et se faire un max de thunes. Mais, pas de bol, ça ne se passe pas comme prévu et les voilà rendus responsables du fiasco. L’équipe de voleurs travaillait en fait pour l’un des trois/quatre grands syndicats du crimes interstellaires, l’Aube Dorée (à ne pas confondre avec le parti d’extrême-droite grec). Comment se racheter devant le potentat local ? Simple, en allant voler une autre quantité de ressources naturelles (toujours la même, ça commence à faire gimmick), non-raffinée, directement dans les mines. Et, par hasard, il se trouve que la copine initiale de Corellia travaille pour le même patron local du crime. Amazing !

Et la joyeuse équipe d’aller piquer le Millenium Falcon à Lando, de faire le Kessel Run en 12 parsec (c’est toujours une unité de distance, pas de vitesse… ^_^;;) et de tirer en premier (car, oui, Han Solo tire en premier). La seule réelle surprise pour moi est d’avoir exploité officiellement dans un film l’univers étendu de Star Wars. De fait, le nouveau méchant, le patron du syndicat du crime, n’est autre que le brave Darth Maul (on insiste d’ailleurs bien sur son double sabre-laser, plan totalement inutile autrement que pour signaler à l’audience inattentive que c’est bien Darth Maul, oui-oui). Les séries TV/animés de Star Wars avaient déjà exploité cet arc, avec Darth Maul, son frère Savage Opress et le chasseur Aura Sing (dont on apprend ici qu’elle a été tué par le mentor de Solo, Woody Harrelson). Mais tout de même, c’est amusant de retrouver un pont avec la prélogie de Lucas, maintenant assumée.

Que retenir de tout ça, me direz vous ? Et bien, un divertissement honnête et sympathique. On rigole, on fait les casse-cous, on se bat au pistolaser (et non au sabre, laser). Le film du siècle ? Certainement pas. Un ajout essentiel à la mythologie Star Wars ? Non plus, malgré que l’équipe ai fait appel au vétéran Lawrence Kasdan, secondé par son propre fils au scénar. Mais un divertissement honnête. Comme je n’en attendais rien de particulier, je n’ai pas été non plus déçu d’une manière ou d’une autre. Au contraire, dans sa simplicité, Solo est finalement assez humble, quand on le compare aux grosses machines du MCU (Marvel Cinematic Universe, pour les inattentifs). Si le film ne se plante pas totalement au box-office (ce qui semble le cas), j’irai certainement voir le second avec plaisir. Ou pas, donc.

Et au milieu coule une rivière

De Robert Redford, 1992

Il est amusant de constater que le « formatage » de la course aux oscars évolue avec le temps. Il y a maintenant 25 ans, les critères n’étaient pas les mêmes. Bien sûr, la nécessité d’émouvoir la ménagère de moins de 40 ans était déjà bien présente. Mais le rythme et le contenu étaient bien différents. En lieu et place des drames historiques actuels, l’heure était aux récits intimistes, si possible tournés vers l’Amérique de papa (ou de grand-père). Cela a donné, au fil des années, Légende d’automne, Danse avec les loups ou même, dans une certaine mesure, Le Dernier des Mohicans.

Et au milieu coule une rivière fait partie de cette grande famille. Impeccablement filmé par Robert Redford, véritable hommage aux rivières poissonneuses du Nord-Ouest des États-Unis (et du Montana en particulier), ce drame familial a un rythme lent qui magnifie les fantastiques décors naturels dans lequel il a été tourné. Le film prend également le temps d’installer ses personnages principaux, de l’enfance à l’âge adulte, par des touches successives qui dépeignent en finesse leur choix de vie, leurs faiblesses, leur richesse intérieure.

L’histoire des frères Maclean, fils de pasteur d’une petite communauté du Montana, est une histoire universelle : le citadin contre le campagnard, l’impulsif contre le réfléchi, l’épicurien contre le réservé. On y suit le parcours de Norman, le grand frère, qui deviendra prof de littérature anglaise, alors qu’il revient après ses études dans sa ville natale et sa cellule familiale, stricte, mais ouverte. Et de son petit frère, Paul, la tête brûlée devenu journaliste, qui se plaît à contrevenir à la bienséance et qui noie son alcoolisme dans le jeu. Résumé comme ça, cela semble cousu de fils blancs. Mais Et au milieu coule une rivière a l’intelligence de ne pas se résumer à ces clichés, justement. Norman, pour cultivé qu’il soit, n’est pas non plus maître de ses sentiments. Et s’il est davantage réfléchi que son petit frère, l’appel de nature n’est jamais bien loin. Paul, de son côté, est loin d’être un imbécile. Bonimenteur de première classe, malgré ses faiblesses, il a un sens moral à toute épreuve et on ne peut que lui donner raison quand il prend faits et causes pour son amie indienne (native-américaine ?), même lorsque cela finit en bagarre généralement copieusement arrosée.

Très bien interprété par un Brad Pitt dans sa première jeunesse, le personnage de Paul est certainement le plus intéressant des deux. Norman, joué par Craig Sheffer (dont le seul autre fait d’arme notable est d’avoir joué dans les Frères Scott… !), est plus introverti. Leur père, joué par l’excellent Tom Skerritt, est un pasteur rigoriste, mais doté d’une finesse qui rompt avec le monolithisme que l’on pouvait attendre d’un tel personnage.

Bref, Redford adapte la nouvelle autobiographique de Norman Maclean avec un brio certain au niveau de la mise en scène et de la direction d’acteur. La seule faiblesse, mais elle est importante, du film est pour moi la prévisibilité et la lenteur du développement scénaristique. La fin, longtemps annoncée, n’est certes pas une surprise. Mais elle aurait pu être amenée différemment. De même, certaines pistes qui auraient pu donner du relief aux évènements et une profondeur supplémentaire aux personnages, sont à peine exploitées (comme l’amie amérindienne ou encore le frère imbécile de Jessie, la future épouse de Norman).

Reste un drame intimiste, prévisible mais poétique malgré tout. Certains plans, lorsque les frères Maclean sont occupés à pêcher à la mouche, l’art véritable de ce film, sont très beaux. Mais tout ceci sonne un peu creux si l’on ne se laisse pas emporter par la poésie du moment. A choisir, dans un registre pas si lointain, Stand by me est nettement plus poignant et marquant. Et, si l’on cherche une version moderne de ce drame familial de l’Amérique profonde, je ne peux que conseiller de revoir le magnifique Brokeback Mountain, plus courageux dans son propos et dans sa forme.

The BFG

De Steven Spielberg, 2016

Premier grand flop de la carrière de Steven Spielberg. Rentré tout juste dans ses frais de production (140 millions de budget, hors marketing, pour 175 millions de recettes en salle), il fallait remonter loin dans la filmo du roi des entertainers pour observer pareille déconfiture. Seul le très sérieux Munich, il y a quelques années, et le très oublié (mais pas oubliable) Empire of the Sun, il y a quelques décennies, n’ont pas réussi à au minimum doubler leur mise de départ. Et le BFG (BGG dans les contrées francophiles) fait moins bien que ces deux ainés.

Mais ceci est-il justifié ? Spielberg, après War Horse, Lincoln et The Bridge of Spies, voulait retourner à quelque chose de plus léger, de plus enfantin. Et quoi de plus logique, sur le papier, que de ressortir le vieux dossier de l’adaptation cinématographique du Bon Gros Géant, classique de la littérature pour enfant anglo-saxonne, signée par Roald Dahl en 1982, et qui taraudait Hollywood depuis le début des années 90. Surtout après les multiples adaptations, en live ou en animation, de James et la grosse pêche, de Charlie et la Chocolaterie ou encore de Fantastique Maître Renard.

Spielberg n’ayant pas pour habitude de s’approprier une œuvre de manière aussi marquée que Tim Burton ou Wes Anderson, on pouvait donc s’attendre à un spectacle bon enfant, dans la droite lignée de Hook ou d’E.T. Malheureusement, comme Hook, The BFG suscite davantage les ricanements que les applaudissements. Accusé d’être assez faible, trop simple et daté, The BFG n’a pas été épargné par la critique et n’a certes pas bénéficié d’un bouche-à-oreille positif.

Et pourtant. Moi qui suit un défenseur de Hook devant l’éternel et qui fut un lecteur assidu des romans de Roald Dhal, je trouve le procès injuste. Bien sûr, The BFG n’est pas une œuvre à la manière d’un Shindler’s List ou Saving Private Ryan. Et, bien sûr, il ne marquera pas l’histoire de l’entertainement comme a pu le faire Jurassic Park premier du nom. C’est un film gentil, honnête, beau, poétique et simple. Et qui contient suffisamment de blagues sur l’aérophagie pour dérider le plus sérieux des enfants. Car, oui, ne l’oublions pas : c’est un film pour enfant. Il n’y a pas ici de sous-texte parodique ou de double-sens comme dans nombre de dessins animés de ces deux dernières décennies.

C’est un conte, un conte merveilleux où une petite orpheline devient l’amie d’un gentil géant dont la passion est de faire « faire de beaux rêves » aux enfants du monde. Un géant qui souffre des coups et humiliations des autres géants du pays des géants, beaucoup plus grands que lui et beaucoup plus fidèles à l’image que l’on peut se faire de l’ogre dans les contes traditionnels. L’histoire de deux rejetés, de deux marginaux, qui s’allieront pour transformer leurs vies.

Et quel meilleur réalisateur que Spielberg pour tourner cela ? Bercé par une musique symphonique du fidèle John Williams, photographié par le non-moins fidèle Janusz Kamiminski, Spielberg se plaît à filmer une histoire d’enfance contrariée (comme dans à peu près tout ses films), de lutte du faible contre le fort, d’héroïsme quotidien. Et ça fonctionne : tout cela est très beau, très bien monté et rythmé, et très bien joué. Mark Rylance, malgré la performance en motion capture, interprète à la perfection le bon gros géant, développant entre autre une formidable syntaxe approximative où les mots se mélangent les uns aux autres de manière toujours ludique, comme dans le roman d’origine. Ruby Barnhill, la petit Sophie, est très à l’aise devant la caméra et campe très bien l’orpheline débrouillarde et grande gueule. Tous les autres géants, malgré un temps d’écran fort réduit, ont une personnalité propre, eux-aussi.

Mais qu’est-ce qui ne marche pas, dans ce cas, me direz-vous ? Et bien je l’ignore. Peut-être le film est-il « trop » simple ? Ne correspond-t-il plus aux canons de l’époque ? Je mettrais ma main à couper que si le film était sorti au début des années 80, il occuperait une place de choix dans notre dvd-thèque, entre les Goonies, Retour vers le futur et autre Indiana Jones. C’est probablement le signe que Spielberg a vieilli. Et que j’ai vieilli également. Dommage pour ce film, qui n’est certes pas un chef d’œuvre intemporel, mais un divertissement de très bonne facture qui émerveillera à coup sûr les plus jeunes d’entre nous. En bonne et due forme. 🙂