Magie noire à Soho

De Ben Aaronovitch, 2011.

Moyennement convaincu par le premier opus du Dernier apprenti sorcier, la série phare de Ben Aaronovitch, mais ne souhaitant pas passer à côté d’une grande série si j’en crois le nombre de fans dithyrambiques qui peuple le web du livre, j’ai tenté l’expérience du deuxième tome quelques semaines après le premier. Et il y a clairement un mieux, même si le tout n’est pas exempt de scories.

On retrouve donc l’agent Grant, l’apprenti idoine de la série, et son mentor, l’inspecteur Nightingale, bien mal au point après la conclusion de la dernière enquête. Plus question ici des diverses rivières de Londres, mais d’une plongée dans le quartier bohème (et interlope, ça dépend du point de vue) de Soho au cœur de la capitale anglaise. Alors que des cadavres émasculés apparaissent ci et là (exploitant intelligemment les dernières lignes/pages des Rivières de Londres, qui faisaient du foreshadowing sur cette enquête sans qu’on y prête trop attention), Grant est également confronté à plusieurs morts suspectes dans le milieu du jazz. Des jazzmen dans la force de l’âge semblent en effet mourir de manière impromptue après avoir joué en live le titre Body & Soul sur l’une ou l’autre scène des petits clubs de jazz londoniens. Il n’en faut pas plus à Grant, dont le père est une légende malheureuse du jazz, passée à côté de sa carrière en raison d’addictions un peu trop addictives, pour se sentir concerné et se lancer dans une enquête qui mêle considérations policières et supputations magiques diverses.

Si, en plus, Grant peut en profiter pour charmer une femme gironde et accueillante, ex-maîtresse de l’un des jazzmen récemment décédé, il en profitera certainement pour joindre l’utile à l’agréable (on se rappellera que son précédent « crush » a malheureusement eu le visage détruit par un hôte fantomatique psychotique dans le premier tome, ce qui ne facilite pas une vie amoureuse apaisée…) Les problèmes surgissent évidemment quand les enquêtes finissent par se croiser et que les cadavres s’accumulent…

L’avantage d’un deuxième tome par rapport à un premier est que l’on perd évidemment moins de temps à installer les protagonistes. Ce tome-ci s’intéresse donc, peut-être encore davantage que le précédent, à l’agent Grant. Il y a en effet peu de place pour les autres protagonistes, même si l’on en apprend davantage, et de manière parfois détournée, sur Nightingale, l’inspecteur Stephanopoulos, sur le docteur et médecin légiste Wallid, sur la collègue de Grant, Lesley (pourtant largement absente dans ce tome-ci) et sur Molly, la femme d’ouvrage/vampire résidente du QG de nos héroïques policiers du paranormal. C’est donc Grant qui sera le moteur du roman, naviguant entre ses erreurs et ses réactions parfois naïves sur ce monde nouveau qui l’entoure. Et c’est tant mieux, car l’identification est plus grande dans ce deuxième opus, amenant du coup avec lui un plus grand intérêt dans le récit.

L’enquête en elle-même, plus sombre, plus « policière » que la première, est également plus prenante. Elle obéit davantage aux codes du genre et l’ambiance jazzy et enfumée qui s’en dégage nous transporte presque davantage à la Nouvelle Orléans que dans les bas-fonds de Londres. L’important est cependant qu’elle nous transporte en effet ; on vit l’ambiance des rues de Soho, de pubs en boîtes de nuit, de planques enfumées en garçonnières fort à propos (ce tome est PG13, sans doute, puisque Grant vit ses pulsions, cette fois-ci). Sans dévoiler l’intrigue, on a donc un roman plus intéressant, davantage maîtrisé, qui dévoile ce qu’il faut de lore supplémentaire pour construire les épisodes qui suivront immanquablement. Qui plus est [SPOILER, même si mineur], ce second tome introduit assez logiquement le « grand méchant« , le sorcier noir qui sera le parangon de nos héros pour au minimum les quelques prochains tomes. C’est évidemment malin, pour tenir le lecteur en haleine [/SPOILER]. Le bouquin est également plus sinistre, par bien des aspects, ce qui renforce aussi le côté « hard-boil » polar que Aaronovitch semble vouloir mettre en place, sans pour autant oublier quelques touches d’humour, essentiellement noir, bien sûr, qui viennent alléger l’ensemble et conserve habillement l’humanité des protagonistes.

Cependant, comme je le disais, le bouquin n’est pas exempt de défauts. La conclusion est toujours un peu bordélique, comme dans le premier tome, et manque assez singulièrement de maîtrise. Si les diverses enquêtes se rejoignent, comme dans tous les bons policiers, les liens sont franchement ténus entre les fils du récit et les motivations du « grand méchant » franchement obscures. Du coup, on ne saisit pas bien en quoi l’intrigue des jazzmen et les créatures qu’elle contient a réellement comme intérêt pour l’intrigue des chimères et magicien sans-visage. Par ailleurs, pour sensible que l’on peut être vis-à-vis de l’idéalisme de Grant, on ne peut que rester dubitatif devant son raisonnement visant à protéger son « intérêt » (difficile d’être clair sans spoiler). Du coup, la fin, pourtant davantage maîtrisée que celle du premier tome notamment par quelques scènes d’exposition finales, reste le point faible du bouquin, ce qui est évidemment dommage.

L’un dans l’autre, ce deuxième tome est cependant une réussite. Aaronovitch y maîtrise mieux l’ambiance et le style nécessaire au type d’histoire qu’il compte écrire. Son récit est davantage construit et ses personnages ont davantage d’épaisseur, alors que le protagoniste principal occupe presque à lui seul le devant de la scène. Et c’est une bonne surprise, qui augure le meilleur pour la suite de la série et qui éclaire davantage à mes yeux la presse très positive dont le Dernier apprenti sorcier bénéficie depuis plus d’une décennie maintenant.

Le Paradoxe de Fermi

De Jean-Pierre Boudine, 2002 (révisé en 2015).

C’est probablement un trait distinctif de la collection Folio SF, mais force est de constater que je lis souvent chez eux des auteurs français modernes qui traitent du postapocalyptique. Et pas de manière joyeuse, façon massacre de zombies ou lumière d’espoir à la Children of Men. Non, façon pessimiste. Jean-Pierre Boudine, professeur de math, éditeur, journaliste scientifique, a peu écrit de fictions dans sa carrière. Seuls deux romans sont à compter dans sa bibliographie : Le Paradoxe de Fermi, édité en 2002 avant de connaître une seconde vie chez Lunes d’encre en 2015, et Sur la route des terres rares en 2012. Pour le reste, l’homme s’est surtout consacré aux mathématiques, dans des guides pratiques ou des essais, et à une certaine idée, politique, de ce que devrait être nos sociétés (Le Krach Educatif, en 2010 ou encore … Ni tribun (l’avenir de nos idées) en 2020).

Le Paradoxe de Fermi, court roman d’à peine 200 pages, est à la frontière entre la fiction et le message politique, justement. Partant du paradoxe idoine, théorisé par le physicien italien Enrico Fermi dans les années 50, Boudine imagine les derniers temps de l’humanité. Pas dans un futur lointain. Aujourd’hui. Demain. Le système économique s’effondre, victime d’un trop plein de croissance, d’une ultime bulle liée à des spéculations mal définies et, finalement, peu importantes à l’histoire. Robert Poinsot, notre narrateur, nous explique cet effondrement en peu de mots. Lui-même ne saisit qu’une partie de l’histoire, les (télé-)communications s’arrêtant bien vite face aux armes des nations. Ce qui commence par un crash boursier se transforme bien vite en lame de fond qui renverse les acquis de la société l’un après l’autre, avec une rapidité et une facilité désarmantes.

Les réflexes grégaires de l’humanité n’amélioreront pas la situation générale, puisque les armes destructrices seront bien vite employées dans le but de se « protéger » réduisant ainsi à portion congrue les espaces de vie en Europe et partout ailleurs sur la planète. Nous suivrons alors, après les faits, racontées à la manière de mémoires griffonnés au coin du feu, les pérégrinations de Robert Poinsot. S’il débute la survie avec une bande d’amis, scientifiques comme lui pour la plupart, il traverse bien vite d’autres communautés de survivants, pour certaines belliqueuses et utopistes pour d’autres. Mais la réponse qu’il cherche n’est pas là. Ces micro-sociétés s’effondrent à leur tour, victimes de la méfiance intrinsèque de l’être humain vis-à-vis d’autrui, de l’étranger, de l’autre ou encore perdues dans des rêves qui, pour nobles qu’ils soient, n’en demeurent pas moins délétères.

N’attendez donc pas beaucoup d’espoir en ouvrant ce roman postapocalyptique. Le narrateur étant lui-même un scientifique ayant, de son propre aveu, peu de compétences sociales développées (pas de compagne, peu d’amis, liens familiaux ténus), c’est donc un voyage en solitaire à travers la fin du monde auquel nous sommes conviés. Pas de voyage hollywoodien non plus, avec forces et fracas et scènes apocalyptiques savamment orchestrées. Robert et ses compagnons d’infortune fuient les conflits. Ils voyagent à vélo ou à pied pour éviter autant que possible les scènes de destruction et de chaos. Ils quittent la région parisienne avant que celle-ci ne se transforme en zone de non-droit. Ils traversent alors la France rurale avant de piquer vers le Nord de l’Europe dans l’espoir de pouvoir y (sur-)vivre plus longtemps. Mais la civilisation, le besoin de contacts et de lien social s’imposeront toujours à eux, puis à lui,malgré tout. Il finira pourtant seul, quelque part dans le massif alpin, à fuir les derniers survivants qui refusent de laisser la planète à ses prochains hypothétiques occupants.

La postface de Boudine, signée en 2014, ne rassure en rien le lecteur. En quelques pages, le mathématicien dresse un bilan dramatique de la décennie écoulée entre la parution originale et l’édition révisée. Entre guerres larvées, nouveaux fronts (il y est question par exemple des revendications russes en Ukraine, comme quoi…), crises économiques à répétition et nouvel équilibre des puissances toujours plus fragile, Boudine n’a que peu de foi en l’avenir. Et la nouvelle décennie qui s’est écoulée depuis la réédition ne fait que malheureusement lui donner raison : pandémie, nouvelle guerre, crise économique et énergétique ou encore faillite de plus en plus large du modèle démocratique à l’européenne, le climat délétère dans lequel nous vivons depuis quelques années ne fait que s’empirer et laisse présager le pire.

Sommes-nous pour autant à la veille d’un effondrement global ? Difficile de le dire. La logique du paradoxe de Fermi (celui du théorème, pas le roman) est implacable : si nous n’avons pas rencontrer de civilisations extraterrestres avancée jusqu’à présent, c’est parce que les civilisations avancées sont vouées à disparaître. L’évolution technologique qu’elle suppose est l’épée de Damoclès qui finit par avoir raison d’elle. Et cela explique également pourquoi nous sommes sans doute seuls à l’heure actuelle : l’univers étant par définition infini (en taille et en temps), tout au plus pourrons-nous, dans la courte période de temps où la civilisation humaine peut et pourra prétendre aux contacts interstellaires, être confronté à l’archéologie de civilisations extraterrestres depuis longtemps disparues ou aux premières manifestations d’une vie pluricellulaire sur d’autres planètes. C’est évidemment une vision assez pessimiste et qui suppute que la disparition de notre civilisation (humaine, au sens large du terme) arrivera avant notre capacité à s’exporter sur d’autres astres stellaires.

A travers son court roman, donc la qualité littéraire n’est sans doute pas l’objet premier, Boudine parvient donc à nous faire réfléchir sur la société que nous constitunons ensemble et sur ce que nous voulons ou devrions être. Je ne sais pas s’il est naïf de croire que les alertes de la science-fiction aideront l’humanité à collectivement entreprendre quelque chose avant qu’il ne soit trop tard, mais je suis, comme Ian Malcom, persuadé que la vie trouve toujours un chemin. Je veux croire que le sursaut sociétal arriva dans les décennies qui viennent, de mon vivant. L’échec annoncée de la démocratie représentative européenne, accident de l’histoire propre à une idée utopique du XXème siècle, sera peut-être l’occasion de réinventer un vivre-ensemble plus respectueux de notre environnement et de nos vies respectives. Je ne l’appelle pas de mes vœux, mais on peut en voir les signes de tous côtés sur une base quotidienne, dans les urnes ou dans le comportement social de nos charmants concitoyens. Espérons que nous nous relèverons plus forts et collectivement plus intelligents de la période sombre qui nous attend. Et espérons que nous donnerons tort à ce fichu physicien italien des années 50…

Le protestantisme

De Laurent Gagnebin & Raphaël Picon, 2005.

Sous-titré : La foi insoumise

Je ne sais pas trop ce qui m’a pris en faisant remonter cet essai en particulier dans mon interminable PAL. Probablement une curiosité pour le fait religieux, car j’aime en effet l’histoire des religions et je suis toujours passionné par l’idée de comprendre le concept de foi, concept qui, je dois bien l’avouer, m’est assez étranger. Et, de fait, je ne connais(-sais ?) pas grand-chose au protestantisme, si ce n’est l’histoire du schisme et les quelques généralités qu’on lui associe volontiers. Du coup, 200 courtes pages d’introduction au protestantisme rédigées par deux professeurs émérites en la matière me semblait une bonne porte d’entrée pour en saisir les points essentiels, de son dogme particulier aux spécificités de sa pratique et à ces principales divergences avec les autres monothéismes et avec la religion catholique en particulier (qui, par mon éducation, est certainement celle que je connais le mieux).

Et l’essai publié en poche chez Champs – essais, la fameuse collection « jaune » de Flammarion (à ne pas confondre avec les romans policiers du Masque !) propose en effet cela : être une porte d’entrée. Cependant, et autant le dire dès maintenant, je n’en sais pas beaucoup plus sur le protestantisme aujourd’hui qu’hier. Ou, plus exactement, je n’en ai pas retenu beaucoup plus. Car si l’on trouve de manière assez logique une approche historique, une approche dogmatique et une approche sacerdotale dans cet essai, le tout est brossé tellement rapidement et, bizarrement, souvent de manière très hermétique, qu’il est très difficile d’en faire une porte d’entrée efficace.

Gagnebin et Picon, dont je découvre ici les écrits, sont probablement plus à leur aise quand ils se lancent dans des sommes de plusieurs centaines de pages ou quand ils débutent des séminaires universitaires qui s’étalent sur plusieurs dizaines d’heures. Dès lors, le livre rate selon moi son propos. Evidemment, il est question de la simplicité du rite, il est question de l’absence d’une Eglise à proprement parlé (comme organisation hiérarchisée organisant l’accès à la foi et au texte), il est question de la nécessaire interprétation du texte (rapprochant par là le protestantisme du judaïsme). On y croise également la pluralité des fois protestantes, la délivrance par la foi ou encore le rôle du pasteur.

Mais ces concepts sont abordés chacun d’entre eux en quelques pages, sans un réel récit, sans un narratif qui se dégage et qui permet au lecteur curieux de se raccrocher à un objet littéraire. Ce « best-of » du protestantisme aborde donc bien l’ensemble des spécificités d’une foi particulière, ce qui est un exploit considérant ses courants aussi divers que variés, et, paradoxalement, échoue dans son ambition. Par un langage parfois abscons, par le choix délibéré de considérer le lecteur comme déjà versé dans la matière et, par conséquent, par son absence de définition de certains concepts clés seulement survolés, l’essai n’est en rien une porte d’entrée vers le protestantisme. Je me demande même ce qu’il est. S’il s’adresse à des néophytes, alors il est clairement trop court et/ou trop exigeant. S’il s’adresse à des experts ou, à tout le moins, à des amateurs éclairés, alors il est sans doute inutile et frustrant car il n’apporte rien de particulièrement nouveau ou marquant sur un courant chrétien minoritaire, mais que l’on voit par exemple s’étaler partout dans les œuvres de fiction américaines que l’on consomme presque quotidiennement.

Dommage, oh combien dommage que cet essai manque donc sa cible, de toutes les manières dont je puis l’envisager. Je sens qu’il y a là matière à creuser pour bien saisir les différences entre la foi catholique romaine et les diverses fois protestantes, des orthodoxes aux mouvances évangéliques, mais je crains que cela ne sera pas avec Laurent Gagnebin ou avec Raphaël Picon, qui ont vraisemblablement du mal à faire œuvre de prosélytisme. Assez logique, finalement, puisque c’est là l’une des marques de fabrique du protestantisme, l’un des traits qui le distingue de ses principaux concurrents, si vous m’excusez cet abus de langage mercantille (oui, je sais, la ficelle un peu grosse, mais que voulez-vous, il est tard !)

Neuro-Science-Fiction

De Laurent Vercueil, 2022.

Sous-titré : Les cerveaux d’ailleurs et de demain

Un nouveau Parallaxe ? Je prends ! La collection spécialisée dans la rencontre entre sciences et science-fiction du Bélial a déjà nourri cette tribune, avec du bon, du très bon et du moins bon. Difficile de prédire le bilan à la vue de la toujours très élégante couverture de ce septième opus, mais qu’importe. Qu’importe car au-delà du livre en lui-même, l’intention de la collection et des auteurs qui la nourrissent suffit à faire de chacun de ces livres une bulle inespérée d’intelligence, d’érudition et, il faut l’admettre, de fun, dans un monde où accorder une place à la science devient chaque jour plus compliqué.

Prenons donc quelques heures pour explorer ensemble ce grand inconnu qui loge dans notre crâne, tout en haut de notre corps. Le cerveau, lieu de l’âme pour les uns, lieux de tous les possibles pour d’autres. C’est donc avec un médecin, du CHU de Grenoble, apparent spécialiste de l’épilepsie et des autres malaises d’origine neurologique, que nous avec rendez-vous pour être un peu plus intelligent après un peu plus de 250 pages. Intelligent, dites-vous ? Encore faut-il que l’on se mette déjà d’accord sur le concept. Concept sur lequel le Dr. Laurent Vercueil, car c’est de lui qu’il s’agit, a déjà de nombreuses choses à nous enseigner.

Comme pour les autres titres de la collection Parallaxe, l’enjeux du livre est de vulgariser les neurosciences à travers de nombreux exemples issus de classiques de la science-fiction. Des blockbusters aux classiques américains en passant par des noms moins courus de la SF française des 50 dernières années, il est évident que l’auteur a, comme les autres auteurs de la collection, une passion pour la SF, un violon d’Ingres qu’il met ici au profit du lecteur curieux. Cela se ressent dans la construction de son ouvrage. Sa première partie, consacrée au cerveau extra-terrestre, doit sa structure même à la définition de l’intellect martien par H.G. Wells dans son grand classique, La guerre des mondes. Vaste, calme et impitoyable, voilà les trois adjectifs qui seront autant de sous-chapitre qui démontreront par A+B que si les extra-terrestres, martiens façon pulp ou Alien à la Ridley Scott, ont réellement un cerveau caractérisé uniquement par ces trois traits, alors ils seront presque immanquablement moins aptes que l’être humain. Et c’est là que l’on revient à la définition de l’intelligence. Si celle-ci n’est que le reflet d’une réussite technologique, alors nous sommes sans doute en retard. L’auteur de s’amuser du fait que le paradoxe de Fermi qui semble nous condamner à être seul dans l’univers est en fait dû à la longueur exceptionnelle de la domination des dinosaures sur notre petite planète bleue, règle qui nous aura en effet couter quelques millions d’années d’évolution perdue…

La seconde partie de l’essai, intitulée « Que faire de son cerveau ? » envisage diverses hypothèses fréquemment rencontrées dans des œuvres de SF et tente d’argumenter ou de contre-argumenter pour atteindre une sorte de vérité scientifique. Y passeront l’extension des capacités de notre cerveau, l’abolition ou l’exploitation du sommeil ou encore l’exploration des rêves et la télékinésie. Le Dr. Verceuil, en plus de placer justement ses hypothèses à partir de classiques de la SF, en profite pour jouer les hoax-busters et tue quelques légendes urbaines. Non, nous n’utilisons pas que 10% de notre cerveau : ce sont juste nos actions provoquées par le conscient (et mesurées par des IRM ou des PETscan) qui utilisent 10% de notre masse cérébrale. Les 90% restant sont également utilisés, mais de manière moins glorieuse : ils sont mobilisés pour faire tourner la machinerie, il est vrai assez complexe, de notre corps. Autre exemple : non, notre temps de rêve ne se limite pas aux dernières secondes qui précèdent notre réveil ou aux quelques secondes qui suivent notre endormissement. Nous rêvons bien toute la nuit, à des fréquences et des durées variables, cependant. De là à savoir précisément comment nos rêves fonctionnent et si l’on peut réellement les utiliser pour FAIRE quelque chose, c’est une autre paire de manches…

Bref, Neuro-Science-Fiction est une pierre de plus dans l’édifice d’une collection brillante de la part du Bélial. Sans tomber dans les excès un peu pesant de Landragin dans son Comment parle un robot ? il y a cependant quelques passages plus ardus dans cet opus-ci également. Passage obligé dans ce type d’essai, l’auteur nous donne en accéléré un bagage théorique et techniques qui nous permet de deviner l’assise scientifique de son propos. Ces passages, forcément moins illustrés par des exemples de fiction, peuvent faire sortir le lecteur peu attentif de sa lecture. Pourtant, même si les concepts sont parfois complexes et le vocabulaire hermétique, le Dr. Vercueil s’évertue à rendre sa démonstration compréhensible. Même si le principe biologique reste incompris dans son détail, il est assez aisé de saisir la démonstration et on ne perd donc pas le fil du chapitre en question. Bien sûr, je ne garantis pas que je retiendrais 100% de ce qui est démontrer dans le bouquin, mais il est clair que c’est une porte d’entrée ludique, intelligemment référencée, dans le domaine assez obscur des neurosciences. Un grand bravo pour cet ouvrage qui m’aura tant donné l’envie de découvrir davantage le fonctionnement de notre cerveau que de me replonger dans certaines références de la SF avec un regard neuf.

Shining in the dark

Edité par Hans-Ake Lilja, 2017.

Quelques années après sa sortie originale, ce recueil de nouvelles éditée à l’occasion des 20 ans du site web Lilja’s Library, site de référence internationale sur l’œuvre de Stephen King, sort finalement en poche en français chez ActuSF/Hélios. Bonne idée de la part d’ActuSF de s’intéresser à la superstar du Maine pour mettre en valeur la collection poche qu’ils partagent avec d’autres maisons d’édition du fantastique français et encore meilleure idée de proposer un recueil de nouvelles, format dont, vous le savez entretemps, je suis un grand amateur.

Assez peu de grands noms de la fantasy, du fantastique ou de l’horreur moderne au sommaire de ce recueil et une programmation qui ne laisse que peu de place à des inédits, mais néanmoins une construction d’anthologie assez intéressante, mélangeant les époques et les styles pour finalement ressembler à l’œuvre de l’auteur qu’elle entend honorer : l’éclectisme King-ien, qui peut passer du Dr. Sleep à Cujo en passant par la Tour Sombre et aux nouvelles touchantes de Quatre saisons. N’étant pas un grand lecteur de King, je ne me prétends pas spécialiste de son œuvre, mais j’ai comme tout un chacun été confronté à son imaginaire multiple ces 40 dernières années, à travers les nombreuses adaptations ciné et télé de ses œuvres (avec plus ou moins de bonheur) ou à travers la grande influence qu’il a eu sur la culture populaire en général (Stranger Things, on pense à toi).

C’est donc avec un certain plaisir que je me lance dans l’exercice habituel de toucher un mot sur chacun des textes présents dans l’anthologie avant de tenter de conclure par un avis général. Le recueil d’ouvre donc sur une courte nouvelle oublié du maître de l’horreur, à savoir Le compresseur bleu, que King en 1971 (donc assez tôt dans sa carrière). Relativement anecdotique, on retiendra surtout que King se lance assez hardiment à l’attaque du quatrième mur s’adressant « face caméra » (comment étendre ce concept à la littérature sans prendre trois paragraphes pour l’expliquer ?) au lecteur.

Le second texte, le seul écrit à quatre mains du recueil et signé par Jack Ketchum et P.D. Cacek, fait directement plus froid dans le dos. Moins farce que le texte de King, les deux auteurs imaginent ici une conversation digitale entre deux amants potentiels sur un forum de rencontre. Le réseau, c’est le titre de la nouvelle, cependant, se passe mal. L’homme n’est pas le gentleman qu’il prétend être et la (très, trop) jeune fille qui lui répond a bien mal caché son ingénuité. Texte intéressant, mais finalement plus sinistre qu’effrayant. Au moins m’a-t-il permis de connaître Jack Ketchum, décédé il y a quelques années, qui semble assez prolifique dans le genre de l’horreur. Sa co-autrice, P.D. Cacek, est quant à elle plus discrète.

Le roman de l’Holocauste, troisième texte, est signé par Stewart O’Nan, auteur prolifique mais surtout connu pour avoir été co-auteur d’un bouquin avec Stephen King par chez nous. Nombre de ses livres ont été publié en français, mais chez L’Olivier, qui n’a pas forcément pignon sur rue. Pourtant, la nouvelle est réellement très intéressante. Elle imagine, de manière assez maligne, qu’un livre de substitue à son auteur, qu’une œuvre vie une vie de people bien malgré elle, avec les questions que cela suscite sur sa légitimité et son appropriation par d’autres. Ecrire sur les écrivains étant l’un des grands dadas de King, le lien est bien trouvé, la nouvelle faisant cependant davantage réfléchir que frémir.

Aeliana de Bev Vincent est la nouvelle suivante. Restée dans les cartons de l’auteur pendant des années, il semble avoir profité de l’occasion pour la ressortir et la publier dans le cadre de cette anthologie. Choix étrange, car on est ici davantage proche de la dark fantasy ou de l’urban fantasy, mais l’histoire mettant en scène une lycanthrope opportuniste est assez bonne pour soutenir l’intérêt du lecteur, même si la fin est probablement un poil (arf arf arf) convenue. Charabia et Theresa, le texte suivant, est d’un style très différent. Clive Barker, que l’on ne présente plus, s’en prend ici une nouvelle fois à l’imaginaire chrétien pour nous présenter les effets secondaires d’une descente angélique sur Terre. Avec le cynisme que l’on sait familier à l’auteur d’Hellraiser, les apparences sont cependant trompeuses et les canonisés peuvent rapidement s’avérer être des ordures et les anges des sanguins qui ne réfléchissent pas aux conséquences de leurs actes. Court texte très malin dont les protagonistes principaux, il faut le noter, sont une tortue et un perroquet.

La fin de toute chose, de Brian Keene, est certainement la nouvelle la plus triste de l’anthologie. Si la situation est horrible, l’horreur en tant que telle n’est pas ici l’objet du texte. On est face à un homme dont la vie est détruite et qui n’a pas d’autres échappatoires que de tendre les bras à la fin de toute chose. Emotion garantie. Richard Chizmar, à travers la nouvelle suivante, La danse du cimetière, en est l’exact contrepied. Reposant sur sa chute (que l’on peut malheureusement deviner assez vite), la très courte nouvelle n’est pas spécialement marquante même si elle fonctionne assez bien en lecture rapide.

Le gros morceau de l’anthologie est cependant la nouvelle suivante, L’attraction des flammes, de Kevin Quigley. Auteur relativement méconnu, il signe ici un texte à mi-chemin du Pays d’octobre de Bradbury et du Ca de King. Le décor de la fête foraine automnal, toujours très évocateur, sert à un récit nettement plus long que les autres mettant en scène trois gamins aux mains d’un tortionnaire imaginatif et appréciant particulièrement les papillons de nuit. Haletant, très marqué hommage à King, mais aussi très efficace.

Le compagnon, de Ramsey Campbell, poursuit dans la voie de la fête foraine, mais malgré son auteur phare, accouche littéralement d’une souri. Le texte, pas mauvais en soi, ne laisse cependant aucune trace tangible après quelques heures. Dommage, car le cadre était là. Choix d’anthologiste étrange, l’antépénultième nouvelle est la réédition d’une nouvelle mineure d’Edgar Allan Poe. S’il est amusant de publier un texte d’une inspiration de King dans un recueil en hommage à ce dernier, on regrettera cependant que Le cœur révélateur est finalement assez mineur et ne dit pas grand-chose sur la qualité exceptionnelle de l’œuvre de Poe.

L’amour d’une mère, de Brian Jones Freeman, est quant à lui assez amusant, mais a le défaut de reposer, comme le genre l’oblige souvent, uniquement sur sa chute. A l’instar de La danse du cimetière, évoqué plus haut, le problème réside dans le fait que lorsque cette chute est prévisible, l’impact du texte en prend directement un coup. Reste une démonstration maligne, mais un peu veine. Enfin, l’anthologie se conclut sur ce qui est le deuxième texte majeur du recueil et, à nouveau, un véritable hommage aux écrits de King. Le manuel du gardien, du suédois John Ajvide Linqvist est la seule nouvelle inédite spécifiquement rédigée pour l’anthologie. Le texte, nous comptant l’histoire d’un nerd qui se découvre une influence sur les autres à travers ses capacités de conteur/maître du jeu à D&D et autres JDR, est aussi horrible que bien menée. Flirtant volontiers avec Lovecraft, King et la cuture geek, Linqvist, que je ne connaissais absolument pas, parvient à dresser une galerie d’adolescents mesquins, médiocres, naïfs et revanchards, bref une galerie d’adolescents réalistes en quelques dizaines de pages. Sans oublier de faire progresser son récit et de surprendre son lecteur. Une superbe découverte.

Et il aurait sans doute mieux valu que Hans-Ake Lilja, qui éditait ici sa première anthologie, se tourne davantage vers la jeune scène de l’horreur européenne pour rédiger des inédits sanglants et menés tambour battant. Le propre d’une anthologie est toujours de mélanger le bon et le moins bon, mais le choix fait ici de prendre des textes mineurs des uns et des autres pour avoir quelques grands noms sur la quatrième de couverture ne donne pas à l’ensemble une qualité fantastique. Rapidement lue, l’anthologie ne restera donc pas dans les annales et on ne peut qu’espérer que son éditeur, si l’envie lui en reprend, se tournera davantage vers l’inédit que vers le recyclage sans grands liens avec l’objet même de l’hommage au cœur du projet : l’œuvre du grand Stephen King. Dommage, il y avait matière à exceller.