Alita: Battle Angel

De Robert Rodrigez, 2019.

Après des années et des années de « development hell », l’annonce de la mise en chantier effective de l’adaptation en film live de Gunnm, le formidable manga de Yukito Kishiro, m’avait a l’époque filé des sueurs froides. Le spectre des adaptations internationales précédentes de manga/d’anime en films live, façon Dragon Ball Evolution, me revenaient alors en mémoire. Et ce n’étaient pas des bons souvenirs, bien sûr. Surtout qu’entretemps, nous avions eu le très moyen Ghost in the Shell. Cependant, le Nicky Larson de Lacheau a démontré qu’on pouvait ne pas être japonais et faire une bonne adaptation, donc l’espoir était permis.

Et qu’est-ce que ça donne au final ? Eh bien une demi-réussite. C’est nettement moins pire que je l’imaginais. Mais le film est malgré tout loin d’être épargné par les défauts classiques d’une adaptation hollywoodienne. Bon, commençons par vous raconter en deux mots de quoi ça parle. Je ne suis pas sûr que ce soit réellement nécessaire, vu que Gunnm est quand même un pilier de la culture manga, même en francophonie, depuis sa première parution il n’y a pas loin de 30 ans. Mais bon, pour ceux qui ne sont pas trop versés dans les japonaiseries, Gunnm (et donc Alita: Battle Angel) nous raconte l’histoire d’une jeune et jolie androïde (corps mécanique, cerveau humain) retrouvé sur une décharge par le Docteur Ido (Daisuke dans le manga, Dyson dans l’adaptation US). Ce dernier répare les gentils robots de « La Décharge« , l’une des dernières grandes villes de la Terre après une guerre cataclysmique entre la Terre et Mars quelques décennies plus tôt.

La Décharge porte ce charmant petit nom car elle est, assez littéralement, la décharge à ciel ouvert de la cité volante de Zalem, la dernière des mégacités du monde, refuge de la classe supérieure. Mais le Docteur Ido n’est pas qu’un gentil médecin. C’est également un chasseur de prime qui tue les criminels de La Décharge la nuit à grand coup de marteau mécanique. Ido baptisera assez vite la jeune androïde du nom d’Alita (dans la version US, Gally dans le manga) après l’avoir réparée. Et, à nouveau, on comprendra assez vite qu’Alita, jeune fille innocente et naïve au début du film, cache en fait une machine à tuer aussi rapide qu’efficace. Et j’invite ceux que ce court résumé intrigue de se jeter sur le manga, édité et réédité depuis des années chez Glénat. Et plus sur le manga que sur le film.

Commençons par ce qui marche dans le film : visuellement, Rodriguez ne s’est pas moqué de nous. Zalem et La Décharge sont bien rendues. Alita/Gally, personnage en motion capture, est super réaliste (malgré ses grands yeux qui ont fait débat lorsque la bande d’annonce est parue mais qui ne détonnent absolument pas dans le film). Le film contient même ce qu’il faut de fan-service : il adapte les deux-trois premiers tomes du manga (l’histoire de Hugo, qui avait déjà été adapté dans une version animée très moyenne dans les années 90), mais inclus par exemple des courses de MotorBall, qui apparaissent plus tard dans le manga, mais donnent des visuels spectaculaires. Et, oui, on a droit aux combats avec du Panzer Kunst, avec du plasma et on a droit aussi à un gros plan sur Alita/Gally lorsqu’elle peint les deux traits métalliques sous ses yeux qui rendent le personnage autant kawaï que badass. Et l’histoire ne fait pas totalement l’impasse sur le côté sombre du manga non plus, avec la présence de Vector, la vie assez trouble de Hugo (le beau gamin dont Alita/Gally ne peut évidemment s’empêcher de tomber amoureuse) ou encore la présence fantomatique du méchant de la série, le mystérieux Desty Nova.

Autre bonne surprise : le casting. L’inconnue Rosa Salazar fait une très jolie Alita. Christoph Waltz, égal à lui-même, donne une version d’Ido vieillie et peu plus papy gâteau mais qui marche quand même. Et les seconds rôles de Mahershala Ali en tant que Vector ou encore de Ed Skrein comme Zappan marchent parfaitement. Seul petit regret, côté casting, Keean Jonhson fait un peu trop beau gosse de romcom pour adolescente pour être un Hugo crédible. Hugo, dans le manga, n’a rien d’un leader charismatique. C’est juste un gamin paumé à la vie tragique qui se berce d’illusion et qui provoque un sentiment presque maternel chez Gally/Alita. Ici, on a juste le quarterback lambda dont la back story tragique tombe du coup un peu comme un cheveu dans la soupe.

Ce qui m’amène à mon problème principal avec film. Gunnm n’est pas un shonen. Ce n’est pas un seinen non plus, mais c’est un manga segmenté pour un public intermédiaire (les grands ados, quoi). Et Alita: Battle Angel est un film tout public (enfin, PG-13, pour être exact). Du coup, on a en effet une adaptation du manga sous les yeux, mais une adaptation très très édulcorée. Gunnm est un manga sombre où l’espoir est peu présent. Tous les personnages (Alita/Gally comprise) cachent de sombres démons dans leur passé. Rodriguez nous livre, surtout au début du film, un film post-apocalyptique où les décors sont très colorés et presque… joyeux. La population locale a l’air en bonne santé et on assiste même, un peu gêné, à une sorte d’entraînement aux patins à roulettes (en prévision du MotorBall qui… se joue en effet sur des patins à roulettes, mais à 250 km/h) entre ados en bonne santé et tout droit sortis d’une pub Benetton.

Pourtant, le film n’est pas avare en scènes d’action. Mais elles semblent très … molles par rapport à ce que le manga propose. Même quand Alita fini par se rappeler qu’elle maîtrise le PanzerKunst, j’ai eu la méchante impression de voir des combats au ralentit. Les deux exemples les plus frappants de « mainstream-isation » du manga sont sans doute 1) le fait d’avoir affublé Ido d’une ex-femme et d’une raison très paternelle de s’occuper d’Alita et 2) d’avoir complètement modifier le personnage tragique de Makkaku (un orphelin brûlé à l’acide et jeter dans les égouts de la décharge, récupéré par Desty Nova pour en faire un vers géant qui se nourrit du cerveau de ses proies humaines) en le remplaçant par un gros robot lambda un peu bourrin. Dans le même ordre d’idée, cela m’a perturbé qu’ils ont mis des têtes humaines à tous les participants du MotorBall là où Kishiro avait justement choisi une approche biomécanique beaucoup plus extrême pour développer leurs particularités de combat.

Alita: Battle Angel n’est donc certes pas un ratage complet, mais il n’arrive pas à la cheville de son matériau d’origine. Le script de James Cameron et de Laeta Kalogridis est en même temps étonnamment fidèle à la trame du manga tout en s’en éloignant pour des raisons de malheureux politiquement correct. Si les producteurs n’avaient pas visé le PG-13 mais s’étaient lancé dans une adaptation rated-R, le film aurait sans doute connu un succès moindre (le film, sans être un hit, a fait un score honorable, puisqu’il a rassemblé pas moins de 400 millions de dollars au box-office mondial) mais nous auraient donné un film plus noir, punchy et fidèle à l’esprit du manga. En résumé, Alita: Battle Angel est sans doute un bon film de SF, rythmé, bien joué et bien réalisé pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre. Mais, à ceux-là, je dirais simplement : laissez tomber le film, plongez-vous dans le manga ! C’est d’un tout autre niveau.

PS : Et ce résultat en demi-teinte ne va pas arranger les projets, eux-aussi bloqués en development hell depuis des années, d’adaptation live US d’Akira et d’Evangelion. Tant mieux ? Et on souhaitera beaucoup de patience à Edward Norton, dont le caméo en Desty Nova tout à la fin d’Alita: Battle Angel laissait présager un deuxième volet qui… ne semble pas prêt de voir le jour.

In Search of Darkness

De David A. Weiner, 2019

Un peu plus de quatre heures de frissons intenses ! Frissons de peur et de plaisir. Voilà ce que nous offre David A. Weiner avec son documentaire In Search of Darkness. Né d’un projet comme seul l’ère Internet a su rendre possible, cet essai érudit sur le cinéma d’horreur des années 80 est le résultat d’une campagne de financement participative initialement lancée sur Kickstarter. Financé en deux jours, ce projet d’amoureux du cinéma de genre a récolté 100 K$ sur la plateforme initiale et 250 K$ supplémentaires sur Indiegogo par la suite (cette seconde plateforme servant souvent de relais à des campagnes financées sur la première, afin d’augmenter la cagnotte et offrir donc un peu plus de marge aux créateurs).

Et c’est là qu’on voit qu’une fanbase de geek existe bel et bien sur les plateformes de financement participatif. Et que le geek est effectivement devenu roi au tournant des années 2000. On –car je m’inclus dans la catégorie, bien sûr- est devenu la middle-class qui a les moyens de financer ses passions. Et là où nos parents rêvaient d’un coupé-sport ou d’une villa à la mer, nous sommes plus enclins à financer ce genre de projet qui surfent à fond sur la nostalgie et la culture « alternative« . Enfin, la culture qui était alternative, puisqu’elle est aujourd’hui dominante. Et c’est tant mieux si cela permet à ce genre d’œuvre de voir le jour.

Il est sans doute impossible de citer dans ces critiques l’ensemble des films dont il est question dans In Search of Darkness. Ils y sont sans doute tous (ou, en tous les cas, tous ceux qui nous ont marqué dans notre jeunesse). Le documentaire est intelligemment construit en années et en thématique. Après un chapitre consacré aux films sortis en 1980, on aura donc droit à un chapitre plus court sur l’art du makeup dans les films de monstres, ou encore sur le lien entre sexe et films d’horreur, avant de revenir à un chapitre plus systématique sur les films sortis en 1981. Et ainsi de suite. Et, comme je le disais, l’approche permet de vraiment faire un tour complet du cinéma d’horreur des années 80, en évoquant tant Les Griffes de la Nuit, Vendredi 13 et The Thing que les improbables suites de Psychose, The Blob ou bien sûr Chuky.

La décennie est encore aujourd’hui considérée comme un âge d’or pour le film d’horreur, puisqu’elle s’ouvre en puissance, auréolée du récent succès du premier Halloween, le premier véritable slasher de l’histoire du cinéma. Fort de ce succès, des cinéastes comme John Carpenter, Joe Dante ou encore Sam Raimi vont égrené leurs films de génie tout au long de la décennie pour véritablement construire un « genre », une recette, qui allie le gore, les blagues potaches et une inventivité et une débrouillardise à toute épreuve. La décennie donnera également des perles baroques comme le premier Hellraiser de Clive Barker ou encore La Mouche de Cronenberg, où l’horrible est finalement plus l’homme que le monstre.

David A. Weiner, journaliste spécialisé dans le cinéma depuis des années, signe ici un documentaire classique dans sa forme (les extraits des films cités s’enchaînent avec des interviews de différents acteurs, réalisateurs ou producteurs de l’époque), mais passionnant dans son propos. Il offre, à travers des interviews bien préparées et pensées intelligemment, une vraie trame narrative à son documentaire, où l’on voit progressivement se dessiner l’évolution d’un genre jusqu’à la création de canons qui seront tournés en ridicule dans les années 90 avant de prendre un virage plus sobre et moins gore dans les années 2000 (à l’exception des tortures-porn façon Hostel ou Saw). Et force est de constater, comme Weiner le fait, que les années 80 contiennent parfois en embryon tout ce que deviendra le genre dans les 30 années suivantes, avant malheureusement moins de brio ou d’éclat.

Car au-delà de la fameuse madeleine de Proust, il faut tout de même se demander si la décennie des années 80 n’était pas réellement un âge d’or pour le cinéma américain (j’ai oublié de préciser que Weiner ne s’intéresse qu’au cinéma d’horreur américain dans son reportage, sans ce que cela soit vraiment dérangeant par ailleurs). Au-delà du genre de l’horreur, c’est aussi la décennie des films d’actions qui ont établis les codes du genre, des films de comédie dont les tropes sont encore d’actualité (les buddy movies) ou même des films de SF. Les nouveaux « classiques » sont tous issus de cette décennie qui brisait le classicisme du cinéma des années 50 et 60 et faisaient preuve de beaucoup plus d’audace que les blockbusters des 20 dernières années qui ne sont qu’adaptations de franchise ou suites. Les revivals des classiques de cet époque sont d’ailleurs une valeur sûre pour le box-office actuel et les projets dans cette lignée se multiplient encore.

Il y avait donc quelque chose dans la manière dont les jeunes cinéastes de l’époque envisageaient le cinéma et osaient autre chose. Inspiré par les réalisateurs iconoclastes des années 70 (la bande des barbus : Scorcese, De Palma, Lucas, Spielberg, mais aussi Kubrick, bien sûr), qui ont su casser les codes et faire évoluer le cinéma classique, cette nouvelle génération de cinéaste a carrément laisser tomber les codes pour faire uniquement ce qui les faisait marrer. Les interviews de Carpenter, de Dante ou encore de Larry Cohen démontre cet esprit iconoclaste si besoin est. Et épicurien, dans le genre salle gamin qui ricane dans son coin.

Weiner signe donc, au risque de me répéter, une véritable déclaration d’amour au cinéma, tout simplement, avec In Search of Darkness. Bien sûr, nous avons tous été marqué dans notre jeunesse par ses monstres sanguinolents, par ces mondes bizarres et angoissants que ces artistes nous proposaient (en renvoyant des extrait du Blob dans le reportage, j’ai compris pourquoi le film m’avait traumatisé à l’époque de mes 7-8 ans). Dans le tas, il y a au moins là un film qui vous a filer des cauchemars ou autres phobies inexplicables au regard de vos parents à l’époque (si je dis trois fois Candyman devant le miroir des toilettes au bureau, j’ai un collègue qui s’enfuie encore aujourd’hui en courant à cause de sa peur phobique des hyménoptères en tout genre… :-). Mais ces frayeurs nocturnes n’étaient pas que des facilités destinés à vous faire manger du pop-corn dans des multiplexes. Non, ces films découverts pour la plupart sur VHS étaient pour tout une génération de cinéphiles un vrai premier contact marquant avec le Cinéma. Avec un grand C. Chapeau bas à In Search of Darkness pour nous faire revivre ça, tout en étant fun et intéressant à la fois.

PS: Et la « suite » intitulée In Search of Tomorrow, consacrée quand à elle aux films de SF de la même décennie, vient d’être financée avec succès sur Kickstarter également. J’attends de pied ferme 2021 pour me jeter dessus !

Knives Out

De Rian Johnson, 2019.

Avant d’être universellement détesté par la communauté mondiale des geeks en tout genre pour l’épisode 8 de la saga Star Wars, Rian Johnson fut adulé par la même communauté pour son très malin petit film d’anticipation Looper (2012). Et, dans les deux cas de figure, Johnson a réalisé le film, mais en a aussi signé seul le scénario. Et c’est encore le cas avec Knives Out (sorti sous le nom de A couteaux tirés sous nos latitudes). Inutile donc de dire que les attentes étaient mitigées sur ce qui nous était vendu comme un whodunit à l’ancienne, façon Agatha Christie ou Simenon. Le bande d’annonce et le casting mirent en émoi une partie des cinéphiles qui voyaient d’un bon œil le retour de Rian Jonhson sur un film moins ambitieux où les personnages et l’histoire pouvaient être exploité sans la pression d’un gigantesque studio et d’une franchise où l’erreur (et la créativité ?) n’est pas autorisée sur le dos. L’autre partie des cinéphiles ne lui avait pas pardonné, et ne lui ont toujours pas pardonné d’ailleurs, cet énorme pied-de-nez (certains iraient même jusqu’à dire doigt d’honneur) que fut The Last Jedi.

Personnellement, je me fiche un peu de ces débats d’église. Et si je considère en effet que The Last Jedi est un film bourré de défauts et qu’il n’a fait que confirmer le déclin de la saga Star Wars déjà enclenché avec le précédent opus de J.J. Abrams, cela ne m’empêche pas de lui reconnaître une certaine faconde technique et plus d’ambition scénaristiques que The Force Awakens. Du coup, j’étais curieux de voir ce que pouvait réaliser et raconter son nouveau long métrage, maintenant que la bashing/hate propre à la culture internet était un peu passé au second plan. Et puis, j’aime bien les films de détective.

Car Knives Out est réellement un hommage au genre du policier. Pas le thriller moderne ou au film de flic, mais bien au film de détective, comme au bon vieux temps. Et Knives Out tient presque toutes ses promesses quand on tient cela en compte. Servi par un casting excellent, sur lequel je reviendrais, le film nous narre l’histoire d’une succession qui dérape. Au lendemain de son 85e anniversaire, le romancier à succès Harlan Thrombey, grand spécialiste du roman policier et joué par un excellent Christopher Plummer, toujours bon pied bon œil, est retrouvé mort dans sa mansarde. Un suicide. Un suicide, réellement ? Car il apparaît bien vite que les enfants, beaux-enfants et petits-enfants du romancier ont tous des choses à cacher. Il ne faudra pas longtemps au détective Benoit Blanc pour jeter la lumière sur ces secrets de famille, sans pour autant trouver le coupable de ce qu’il pense être un meurtre.

Et pour Blanc, joué par un Daniel Craig qui s’amuse visiblement à l’écran en exagérant le côté un peu crétin de son personnage à l’accent aussi improbable qu’indéfinissable, seule la brave infirmière personnelle de l’écrivain décédé peut l’aider à démêler ce sac de nœuds, en raison de son incapacité physique à mentir. Cette dernière se met effectivement à vomir dès qu’elle est amenée à travestir la réalité ! Ce qui est évidemment bien pratique pour déceler la vérité dans ce carnaval de mensonges et de mesquineries.

Servi par un casting d’enfer, comme je le disais, Knives out offre des rôles et des performances amusantes à nombre d’acteurs chevronnés. Dans les héritiers potentiels, on ne croise nuls autres que Jamie Lee Curtis, Michael Shanon, Toni Colette ou encore Chris Evans. Et Rian Johnson, comme le genre extrêmement codé dans lequel il opère ici l’exige, de les présenter tour à tour comme des suspects potentiels. Bien sûr, ils sont parfois réduits à des traits de caractères ou à un « rôle » limité (l’emphase étant nécessaire, puisque le film joue aussi sur ce côté mise en abime : il sait que le spectateur sait qu’il regarde un film de détective et s’attend donc à certaines conventions liées au canon du genre). Forcément. L’idée n’est pas ici de signé un drame ou une comédie. Encore moins une étude de personnage. Seule l’infirmière, jouée par Ana de Armas, a réellement droit à un développement de personnage. Et c’est assez normal, puisqu’elle est finalement l’unique héroïne du film (si l’on écarte le Détective Benoît Blanc, lui aussi limité par l’archétype qu’il incarne).

Et, eu égard à tout ceci, il nous reste en fait un bon petit film de détective, de huis-clos à énigme. Le rythme est bon, la directrice artistique excessive et parodique, mais très efficace, le montage moderne et tenant ses promesses. Knives out est donc une partie de Cluedo tournée avec entrain par un Rian Johnson qui fait ce qu’il sait faire de mieux : servir une idée, un genre avec un talent certain pour la mise en scène. Servi par des performances d’acteurs irréprochables (Toni Colette et Daniel Craig sortent réellement du lot), il évite le piège d’un développement trop long ou d’un exposé un peu statique comme on peut les rencontrer trop souvent dans le roman policier. Pourtant il y a malgré tout un bémol, et de taille : le film est finalement trop simple. Bien sûr qu’il y a un twist final pour révéler qui est le coupable. L’ennui c’est qu’en tant que bon spectateur post-moderne que nous sommes, un seul twist ne nous suffit plus. Johnson ayant fait le choix d’un scénario original (contrairement à Kenneth Branagh, par exemple, avec l’excellente adaptation du Crime de l’Orient Express qu’il avait signé il y a quelques années dans un genre très similaire), il n’aurait pas du se restreindre à un retournement de situation finalement aussi simple.

C’est ce point précis qui fait pour moi de Knives out un film qui passe légèrement à côté de son propos et qui en réduit un peu la portée de l’hommage. Je ne me suis nullement ennuyé lors de sa vision. Au contraire, j’ai même ris aux quelques exagérations que Johnson insère çà et là pour rappeler au spectateur qu’il est bien dans un jeu où le propos n’est jamais dramatique. Mais je n’ai pu m’empêcher de conclure l’expérience par un « Ah oui, d’accord, c’est cela le twist. Bon. Ok. Qu’est-ce que j’ai d’autre à rattraper comme film en stock ? » En d’autres termes, même si c’est formellement réussi et agréable à regarder, cela ne marquera en aucun cas l’histoire du cinéma. Ni même du genre. Dommage.

Equilibrium

De Kurt Wimmer, 2002.

Souvent classé dans les très bons films oubliés, Equilibrium a, depuis son four en salle, gagné de nombreux aficionados dans sa carrière DVD/BluRay/On-Demand. Lorsqu’il l’a réalisé, Kurt Wimmer n’était alors qu’un relatif inconnu. Il n’avait dirigé que le très méconnu One Tough Bastard (tout un programme), dont il avait cependant été viré à la moitié de la production. C’était donc un pari assez invraisemblable, début 2000, pour Dimension Film, d’accepter de produire, il est vrai pour un budget relativement modeste (20 millions de dollars), un dystopie SF assez sombre et violente portée par un homme qui n’avait jusque-là pas fait ses preuves (Wimmer réalise, mais c’est également lui l’unique scénariste du film). Comment ce fait-ce (et non cette fesse), me direz-vous ? Et bien tout simplement parce que les studios étaient à la recherche du nouveau Matrix et d’un hold-up sur le box-office similaire à celui que les frères (alors)/sœurs (maintenant) Wachowski avaient réalisés en 1999. Mouais.

De quoi ça parle, en gros ? Eh bien, pour les fans de SF que je vous soupçonne d’être, ce n’est pas bien compliqué. Equilibrium est un hommage très appuyé au THX 1138 de Georges Lucas, lui-même hommage très inspiré du Meilleur des Mondes de Huxley (et de 1984 d’Orwell – ou encore de Nous autres de Zamiatine – et je suis sûr que la dernière référence est plus obscure, hein, hein ? 🙂 ). Bref, une dystopie futuriste classique. John Preston (Christian Bale) est un ecclésiaste du Tetra-Grammaton, un ordre religieux/milice privée du dictateur qui règne sans partage sur cette Terre post-apocalyptique. Depuis la troisième guerre (nucléaire) mondiale, l’humanité a compris que son salut viendrait de la suppression des émotions. Pour ce faire, nous sommes tous obligés de prendre nos doses quotidiennes de Prozium, qui inhibent nos sentiments et nous transforme en gentils zombis inoffensifs. Et les ecclésiastes sont là pour veiller au grain. Surentrainé à l’art du Gun-Kata, une forme d’art martial où le combattant virevolte avec une économie de mouvements pour éviter les trajectoires des ripostes, ce sont de véritables machines à tuer.

Et tout va bien jusqu’à ce que le partenaire de Preston (joué par un Sean Bean qui meurt évidemment au bout de quelques minutes, puisque Sean Bean meurt toujours dans les films !), qui a décidé d’arrêter de prendre ses médocs, sème le doute dans l’esprit de son coéquipier alors que celui-ci l’abat de sang-froid. S’en suit l’histoire classique de la prise de conscience et de la rébellion contre le système en place, trame extrêmement classique pour tout amateur de SF un peu éveillé.

Du coup, son statut de film « culte« , de classique ignoré, m’échappe un peu… Ok le film est relativement maitrisé. Wimmer, malgré des moyens limités, parvient à reconstruire un monde de demain froid et monochrome qui tient la route. L’esthétisme est bien maîtrisé, tout comme les costumes des différents protagonistes, à mi-chemin entre THX1138 et Matrix (pour le côté cuir). Les performances d’acteurs sont remarquables. Bale, comme a son habitude, développe un charisme incroyable malgré l’extrême froideur de son personnage. Les seconds rôles jouent également très juste : Taye Diggs joue un ecclésiaste souriant, ce qui le rend encore plus inquiétant que Preston/Bale; Emily Watson, en victime sacrificielle, est parfaite pour le rôle ; Angus Macfadyen campe un dictateur tout à fait crédible et William Fichtner promène sa tête de chien battu avec brio. Rien à redire niveau casting, donc.

Le film accuse un peu son âge côté technique, avec de incrustations qui ont mal vieillies (notamment et bizarrement dans les transitions entre décors réels et mate paintings). De même, les scènes de fusillade, qui furent visiblement appréciées à la sortie du film pour « leur chorégraphie audacieuse » frisent le ridicule aujourd’hui. Le film est quand même sorti trois ans après Matrix et il n’y a clairement pas photo entre les deux. Dans le montage, le film ose de belles choses, avec quelques montages qui accélèrent intelligemment des parties d’exposition plus longue et certainement inutiles. Cela permet de garder un rythme dans le film et de ce centrer sur son esthétisme et sur son histoire.

Et c’est là que les romains s’empoignèrent. Je n’ai rien contre une histoire balisée, de temps à autre, mais je ne saisis pas en quoi le scénar vaut vraiment le coup. Les développements scénaristiques sont tellement clichés pour l’amateur de SF lambda que l’on n’est littéralement jamais surpris. Equilibrium ne fait d’ailleurs pas l’épargne de quelques facilités qui me laisse perplexe : le passage où Preston sauve un chiot des mains de ses anciens collègues, par exemple, me semble verser dans le pathos facile de manière tellement éhontée que je me demande bien quel scénariste oserait encore faire ce genre de scène dans un film respectable… Les rebondissements n’en sont donc pas et le film avance gentiment vers une fin attendue et convenue.

Comprenez-moi : Equilibrium n’est pas un mauvais film. Loin de là. On sent que Wimmer y a mis ses tripes, parfois naïvement, et qu’il a essayé de faire du mieux qu’il pouvait dans les limites de son budget. En soit, c’est déjà remarquable. Mais son statut de « classique ignoré » me semble totalement usurpé. Son histoire est tellement convenue (nettement plus que celle de son modèle, THX 1138, au passage) qu’on peut au plus le considérer comme une série B très classe et particulièrement bien servie par des acteurs talentueux. Mais pas au-delà de ça. D’où mon incompréhension et mon jugement peut-être un peu sévère.

Big Trouble in Little China

De John Carpenter, 1986.

Il est des films culte à côté desquels on passe pour des raisons qui nous échappent. Big Trouble in Little China était, pour moi, de ceux-là. John Carpenter est pourtant le genre de cinéaste dont la filmographie laisse peu de place au doute : bien qu’inégale, elle compte au moins deux films de genre devenus des classiques, donnant à l’horreur une étiquette de respectabilité cinématographique. Qui, en effet, peut encore aujourd’hui dénigrer ou nier l’influence d’Halloween (1978), premier du nom, ou du remake de The Thing qu’il signa en 1982 ? Il est et restera l’un des grands noms du cinéma de genre des années 80, avant de disparaitre des radars au fil des années 90.

Et Big Trouble in Little China est sans doute son dernier grand film, époque Kurt Russell. L’acteur, qui avait déjà incarné les rôles principaux dans The Thing et dans New York 1997 (sorti en 1981), trouve ici un personnage qui lui va comme un gant. L’interminable titre français de Big Trouble in Little China, Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin, ne s’y trompe pas : c’est un film sur Jack Burton. Le type en question est un conducteur de camion un poil redneck qui vient livrer des surgeler à Chinatown, en plein cœur de Manhattan. À la suite d’un concours de circonstances un peu idiot, il se retrouve à accompagner son ami Wang Chi (joué par le méconnu Dennis Dun) à l’aéroport pour y récupérer sa fiancée. Pas de bol, cette dernière, une chinoise aux yeux verts, cas visiblement extrêmement rare, est enlevée pour être apporté au patron local de Triade. Ce dernier, cependant, se révèle bien vite être plus qu’un simple criminel : c’est un ancien magicien immortel qui a besoin de « consommer » des jeunes femmes aux yeux verts pour assurer la continuité du pacte qui le lie avec les forces obscures.

Mais Jack Burton ne va pas se laisser faire. Même s’il n’y capte pas grand-chose à toute cette histoire de magie et d’immortel, il ne va pas laisser son pote dans la mouise. Il sort son gros camion, ses santiags, ses poings et ça va bastonner sec dans les ruelles de Chinatown ! Vous l’aurez saisi, Big Trouble in Little China est un petit plaisir totalement régressif. Echec commercial retentissant à sa sortie en salle, le film est devenu culte à l’époque bénie des VHS. C’était la comédie d’action un peu grasse qu’il fallait avoir vu. Surfant maladroitement sur la vague des films d’aventure lancée par Indiana Jones (je dis bien maladroitement, car si j’aime bien Carpenter, ce n’est quand même pas Spielberg non plus, hein ! ni dans l’intention, ni dans le résultat) et sur le succès alors encore récent des films d’art-martiaux qui commençaient à franchir le pacifique, Carpenter s’est lancé dans cette blague de potaches avec tout son cœur et toute son inventivité visuelle.

Car on ne s’ennuie pas, en regardant le film. Cela va même tellement vite qu’une partie des scènes d’exposition, nécessaires à l’intrigue, sont rushées en quelques minutes à peine pour laisser plus de place aux bagarres et aux effets spéciaux. Difficile de juger si c’était bien l’intention du réalisateur ou si c’est le résultat d’un compromis avec les producteurs, mais ce qui est sûr, c’est que cela ne laisse que peu de temps pour respirer au spectateur. Le film enchaîne donc les moments de bravoure et les effets spéciaux très années 80. On se croirait, par moment, dans un Goonies pour grands ados, avec des scènes qui appartiennent clairement au genre du fantastique dans un film qui se passe pourtant en plein Manhattan. Les effets spéciaux ont bien sûr vieilli, mais on y retrouve la patte très caractéristique de Carpenter et de toute une série de films d’horreur à moitié désargenté des années 80. Ce qu’ils manquaient en budget, ils l’ont compensé par un véritable artisanat du maquillage et de l’animatronique.

Pour le reste, le film, bien que très divertissant, est quand même franchement bancal. A force d’hésiter entre la fable fantastique et le film de kung-fu, il échoue finalement sur les deux tableaux. Et Kurt Russell, qui s’en donne à cœur joie dans l’ensemble de sa prestation, joue quand même un gros abruti. Ok, Indiana Jones peut être un gros lourdaud quand il le veut (sexiste, hautain, colérique, etc.), mais il n’est jamais ridicule. Jack Burton, lui, est pour finir un gros débile qui s’en sort plus à l’esbroufe qu’en raison de quelconques compétences.

Pourtant, le personnage comme le film en entier son éminemment sympathiques. On y croise les seconds rôles asiatiques qui ont fait le bonheur des comédies d’action US des années 80 : James Hong (trop de films pour les citer) ou encore Victor Wong (L’Année du Dragon, L’Enfant Sacré du Tibet, Tremors, etc.) On y revit également une certaine insouciance, dénuée de cynisme, qui nous emmenait avec plaisir dans des univers et des histories improbables lorsque nous étions encore capables d’apprécier le premier degré. Oui, Big Trouble in Little China n’est pas bien malin. Oui, il a plein de défaut, au premier rang desquels son protagoniste principal tête à claque. Mais c’est aussi une comédie d’aventure et d’action foutrement efficace. Du pur entertainment « à papa« . A consommer sans modération, avec chips et coca (et si possible, potes de la même génération avec lesquels vous pourrez continuer à la soirée en évoquant vos souvenirs de Bloodsport, L’Enfant Sacré du Tibet, Le Diamant du Nil, etc.) Une belle tranche de nostalgie, même si, comme moi, on le découvre sur le tard.