Le protestantisme

De Laurent Gagnebin & Raphaël Picon, 2005.

Sous-titré : La foi insoumise

Je ne sais pas trop ce qui m’a pris en faisant remonter cet essai en particulier dans mon interminable PAL. Probablement une curiosité pour le fait religieux, car j’aime en effet l’histoire des religions et je suis toujours passionné par l’idée de comprendre le concept de foi, concept qui, je dois bien l’avouer, m’est assez étranger. Et, de fait, je ne connais(-sais ?) pas grand-chose au protestantisme, si ce n’est l’histoire du schisme et les quelques généralités qu’on lui associe volontiers. Du coup, 200 courtes pages d’introduction au protestantisme rédigées par deux professeurs émérites en la matière me semblait une bonne porte d’entrée pour en saisir les points essentiels, de son dogme particulier aux spécificités de sa pratique et à ces principales divergences avec les autres monothéismes et avec la religion catholique en particulier (qui, par mon éducation, est certainement celle que je connais le mieux).

Et l’essai publié en poche chez Champs – essais, la fameuse collection « jaune » de Flammarion (à ne pas confondre avec les romans policiers du Masque !) propose en effet cela : être une porte d’entrée. Cependant, et autant le dire dès maintenant, je n’en sais pas beaucoup plus sur le protestantisme aujourd’hui qu’hier. Ou, plus exactement, je n’en ai pas retenu beaucoup plus. Car si l’on trouve de manière assez logique une approche historique, une approche dogmatique et une approche sacerdotale dans cet essai, le tout est brossé tellement rapidement et, bizarrement, souvent de manière très hermétique, qu’il est très difficile d’en faire une porte d’entrée efficace.

Gagnebin et Picon, dont je découvre ici les écrits, sont probablement plus à leur aise quand ils se lancent dans des sommes de plusieurs centaines de pages ou quand ils débutent des séminaires universitaires qui s’étalent sur plusieurs dizaines d’heures. Dès lors, le livre rate selon moi son propos. Evidemment, il est question de la simplicité du rite, il est question de l’absence d’une Eglise à proprement parlé (comme organisation hiérarchisée organisant l’accès à la foi et au texte), il est question de la nécessaire interprétation du texte (rapprochant par là le protestantisme du judaïsme). On y croise également la pluralité des fois protestantes, la délivrance par la foi ou encore le rôle du pasteur.

Mais ces concepts sont abordés chacun d’entre eux en quelques pages, sans un réel récit, sans un narratif qui se dégage et qui permet au lecteur curieux de se raccrocher à un objet littéraire. Ce « best-of » du protestantisme aborde donc bien l’ensemble des spécificités d’une foi particulière, ce qui est un exploit considérant ses courants aussi divers que variés, et, paradoxalement, échoue dans son ambition. Par un langage parfois abscons, par le choix délibéré de considérer le lecteur comme déjà versé dans la matière et, par conséquent, par son absence de définition de certains concepts clés seulement survolés, l’essai n’est en rien une porte d’entrée vers le protestantisme. Je me demande même ce qu’il est. S’il s’adresse à des néophytes, alors il est clairement trop court et/ou trop exigeant. S’il s’adresse à des experts ou, à tout le moins, à des amateurs éclairés, alors il est sans doute inutile et frustrant car il n’apporte rien de particulièrement nouveau ou marquant sur un courant chrétien minoritaire, mais que l’on voit par exemple s’étaler partout dans les œuvres de fiction américaines que l’on consomme presque quotidiennement.

Dommage, oh combien dommage que cet essai manque donc sa cible, de toutes les manières dont je puis l’envisager. Je sens qu’il y a là matière à creuser pour bien saisir les différences entre la foi catholique romaine et les diverses fois protestantes, des orthodoxes aux mouvances évangéliques, mais je crains que cela ne sera pas avec Laurent Gagnebin ou avec Raphaël Picon, qui ont vraisemblablement du mal à faire œuvre de prosélytisme. Assez logique, finalement, puisque c’est là l’une des marques de fabrique du protestantisme, l’un des traits qui le distingue de ses principaux concurrents, si vous m’excusez cet abus de langage mercantille (oui, je sais, la ficelle un peu grosse, mais que voulez-vous, il est tard !)

Neuro-Science-Fiction

De Laurent Vercueil, 2022.

Sous-titré : Les cerveaux d’ailleurs et de demain

Un nouveau Parallaxe ? Je prends ! La collection spécialisée dans la rencontre entre sciences et science-fiction du Bélial a déjà nourri cette tribune, avec du bon, du très bon et du moins bon. Difficile de prédire le bilan à la vue de la toujours très élégante couverture de ce septième opus, mais qu’importe. Qu’importe car au-delà du livre en lui-même, l’intention de la collection et des auteurs qui la nourrissent suffit à faire de chacun de ces livres une bulle inespérée d’intelligence, d’érudition et, il faut l’admettre, de fun, dans un monde où accorder une place à la science devient chaque jour plus compliqué.

Prenons donc quelques heures pour explorer ensemble ce grand inconnu qui loge dans notre crâne, tout en haut de notre corps. Le cerveau, lieu de l’âme pour les uns, lieux de tous les possibles pour d’autres. C’est donc avec un médecin, du CHU de Grenoble, apparent spécialiste de l’épilepsie et des autres malaises d’origine neurologique, que nous avec rendez-vous pour être un peu plus intelligent après un peu plus de 250 pages. Intelligent, dites-vous ? Encore faut-il que l’on se mette déjà d’accord sur le concept. Concept sur lequel le Dr. Laurent Vercueil, car c’est de lui qu’il s’agit, a déjà de nombreuses choses à nous enseigner.

Comme pour les autres titres de la collection Parallaxe, l’enjeux du livre est de vulgariser les neurosciences à travers de nombreux exemples issus de classiques de la science-fiction. Des blockbusters aux classiques américains en passant par des noms moins courus de la SF française des 50 dernières années, il est évident que l’auteur a, comme les autres auteurs de la collection, une passion pour la SF, un violon d’Ingres qu’il met ici au profit du lecteur curieux. Cela se ressent dans la construction de son ouvrage. Sa première partie, consacrée au cerveau extra-terrestre, doit sa structure même à la définition de l’intellect martien par H.G. Wells dans son grand classique, La guerre des mondes. Vaste, calme et impitoyable, voilà les trois adjectifs qui seront autant de sous-chapitre qui démontreront par A+B que si les extra-terrestres, martiens façon pulp ou Alien à la Ridley Scott, ont réellement un cerveau caractérisé uniquement par ces trois traits, alors ils seront presque immanquablement moins aptes que l’être humain. Et c’est là que l’on revient à la définition de l’intelligence. Si celle-ci n’est que le reflet d’une réussite technologique, alors nous sommes sans doute en retard. L’auteur de s’amuser du fait que le paradoxe de Fermi qui semble nous condamner à être seul dans l’univers est en fait dû à la longueur exceptionnelle de la domination des dinosaures sur notre petite planète bleue, règle qui nous aura en effet couter quelques millions d’années d’évolution perdue…

La seconde partie de l’essai, intitulée « Que faire de son cerveau ? » envisage diverses hypothèses fréquemment rencontrées dans des œuvres de SF et tente d’argumenter ou de contre-argumenter pour atteindre une sorte de vérité scientifique. Y passeront l’extension des capacités de notre cerveau, l’abolition ou l’exploitation du sommeil ou encore l’exploration des rêves et la télékinésie. Le Dr. Verceuil, en plus de placer justement ses hypothèses à partir de classiques de la SF, en profite pour jouer les hoax-busters et tue quelques légendes urbaines. Non, nous n’utilisons pas que 10% de notre cerveau : ce sont juste nos actions provoquées par le conscient (et mesurées par des IRM ou des PETscan) qui utilisent 10% de notre masse cérébrale. Les 90% restant sont également utilisés, mais de manière moins glorieuse : ils sont mobilisés pour faire tourner la machinerie, il est vrai assez complexe, de notre corps. Autre exemple : non, notre temps de rêve ne se limite pas aux dernières secondes qui précèdent notre réveil ou aux quelques secondes qui suivent notre endormissement. Nous rêvons bien toute la nuit, à des fréquences et des durées variables, cependant. De là à savoir précisément comment nos rêves fonctionnent et si l’on peut réellement les utiliser pour FAIRE quelque chose, c’est une autre paire de manches…

Bref, Neuro-Science-Fiction est une pierre de plus dans l’édifice d’une collection brillante de la part du Bélial. Sans tomber dans les excès un peu pesant de Landragin dans son Comment parle un robot ? il y a cependant quelques passages plus ardus dans cet opus-ci également. Passage obligé dans ce type d’essai, l’auteur nous donne en accéléré un bagage théorique et techniques qui nous permet de deviner l’assise scientifique de son propos. Ces passages, forcément moins illustrés par des exemples de fiction, peuvent faire sortir le lecteur peu attentif de sa lecture. Pourtant, même si les concepts sont parfois complexes et le vocabulaire hermétique, le Dr. Vercueil s’évertue à rendre sa démonstration compréhensible. Même si le principe biologique reste incompris dans son détail, il est assez aisé de saisir la démonstration et on ne perd donc pas le fil du chapitre en question. Bien sûr, je ne garantis pas que je retiendrais 100% de ce qui est démontrer dans le bouquin, mais il est clair que c’est une porte d’entrée ludique, intelligemment référencée, dans le domaine assez obscur des neurosciences. Un grand bravo pour cet ouvrage qui m’aura tant donné l’envie de découvrir davantage le fonctionnement de notre cerveau que de me replonger dans certaines références de la SF avec un regard neuf.

Shining in the dark

Edité par Hans-Ake Lilja, 2017.

Quelques années après sa sortie originale, ce recueil de nouvelles éditée à l’occasion des 20 ans du site web Lilja’s Library, site de référence internationale sur l’œuvre de Stephen King, sort finalement en poche en français chez ActuSF/Hélios. Bonne idée de la part d’ActuSF de s’intéresser à la superstar du Maine pour mettre en valeur la collection poche qu’ils partagent avec d’autres maisons d’édition du fantastique français et encore meilleure idée de proposer un recueil de nouvelles, format dont, vous le savez entretemps, je suis un grand amateur.

Assez peu de grands noms de la fantasy, du fantastique ou de l’horreur moderne au sommaire de ce recueil et une programmation qui ne laisse que peu de place à des inédits, mais néanmoins une construction d’anthologie assez intéressante, mélangeant les époques et les styles pour finalement ressembler à l’œuvre de l’auteur qu’elle entend honorer : l’éclectisme King-ien, qui peut passer du Dr. Sleep à Cujo en passant par la Tour Sombre et aux nouvelles touchantes de Quatre saisons. N’étant pas un grand lecteur de King, je ne me prétends pas spécialiste de son œuvre, mais j’ai comme tout un chacun été confronté à son imaginaire multiple ces 40 dernières années, à travers les nombreuses adaptations ciné et télé de ses œuvres (avec plus ou moins de bonheur) ou à travers la grande influence qu’il a eu sur la culture populaire en général (Stranger Things, on pense à toi).

C’est donc avec un certain plaisir que je me lance dans l’exercice habituel de toucher un mot sur chacun des textes présents dans l’anthologie avant de tenter de conclure par un avis général. Le recueil d’ouvre donc sur une courte nouvelle oublié du maître de l’horreur, à savoir Le compresseur bleu, que King en 1971 (donc assez tôt dans sa carrière). Relativement anecdotique, on retiendra surtout que King se lance assez hardiment à l’attaque du quatrième mur s’adressant « face caméra » (comment étendre ce concept à la littérature sans prendre trois paragraphes pour l’expliquer ?) au lecteur.

Le second texte, le seul écrit à quatre mains du recueil et signé par Jack Ketchum et P.D. Cacek, fait directement plus froid dans le dos. Moins farce que le texte de King, les deux auteurs imaginent ici une conversation digitale entre deux amants potentiels sur un forum de rencontre. Le réseau, c’est le titre de la nouvelle, cependant, se passe mal. L’homme n’est pas le gentleman qu’il prétend être et la (très, trop) jeune fille qui lui répond a bien mal caché son ingénuité. Texte intéressant, mais finalement plus sinistre qu’effrayant. Au moins m’a-t-il permis de connaître Jack Ketchum, décédé il y a quelques années, qui semble assez prolifique dans le genre de l’horreur. Sa co-autrice, P.D. Cacek, est quant à elle plus discrète.

Le roman de l’Holocauste, troisième texte, est signé par Stewart O’Nan, auteur prolifique mais surtout connu pour avoir été co-auteur d’un bouquin avec Stephen King par chez nous. Nombre de ses livres ont été publié en français, mais chez L’Olivier, qui n’a pas forcément pignon sur rue. Pourtant, la nouvelle est réellement très intéressante. Elle imagine, de manière assez maligne, qu’un livre de substitue à son auteur, qu’une œuvre vie une vie de people bien malgré elle, avec les questions que cela suscite sur sa légitimité et son appropriation par d’autres. Ecrire sur les écrivains étant l’un des grands dadas de King, le lien est bien trouvé, la nouvelle faisant cependant davantage réfléchir que frémir.

Aeliana de Bev Vincent est la nouvelle suivante. Restée dans les cartons de l’auteur pendant des années, il semble avoir profité de l’occasion pour la ressortir et la publier dans le cadre de cette anthologie. Choix étrange, car on est ici davantage proche de la dark fantasy ou de l’urban fantasy, mais l’histoire mettant en scène une lycanthrope opportuniste est assez bonne pour soutenir l’intérêt du lecteur, même si la fin est probablement un poil (arf arf arf) convenue. Charabia et Theresa, le texte suivant, est d’un style très différent. Clive Barker, que l’on ne présente plus, s’en prend ici une nouvelle fois à l’imaginaire chrétien pour nous présenter les effets secondaires d’une descente angélique sur Terre. Avec le cynisme que l’on sait familier à l’auteur d’Hellraiser, les apparences sont cependant trompeuses et les canonisés peuvent rapidement s’avérer être des ordures et les anges des sanguins qui ne réfléchissent pas aux conséquences de leurs actes. Court texte très malin dont les protagonistes principaux, il faut le noter, sont une tortue et un perroquet.

La fin de toute chose, de Brian Keene, est certainement la nouvelle la plus triste de l’anthologie. Si la situation est horrible, l’horreur en tant que telle n’est pas ici l’objet du texte. On est face à un homme dont la vie est détruite et qui n’a pas d’autres échappatoires que de tendre les bras à la fin de toute chose. Emotion garantie. Richard Chizmar, à travers la nouvelle suivante, La danse du cimetière, en est l’exact contrepied. Reposant sur sa chute (que l’on peut malheureusement deviner assez vite), la très courte nouvelle n’est pas spécialement marquante même si elle fonctionne assez bien en lecture rapide.

Le gros morceau de l’anthologie est cependant la nouvelle suivante, L’attraction des flammes, de Kevin Quigley. Auteur relativement méconnu, il signe ici un texte à mi-chemin du Pays d’octobre de Bradbury et du Ca de King. Le décor de la fête foraine automnal, toujours très évocateur, sert à un récit nettement plus long que les autres mettant en scène trois gamins aux mains d’un tortionnaire imaginatif et appréciant particulièrement les papillons de nuit. Haletant, très marqué hommage à King, mais aussi très efficace.

Le compagnon, de Ramsey Campbell, poursuit dans la voie de la fête foraine, mais malgré son auteur phare, accouche littéralement d’une souri. Le texte, pas mauvais en soi, ne laisse cependant aucune trace tangible après quelques heures. Dommage, car le cadre était là. Choix d’anthologiste étrange, l’antépénultième nouvelle est la réédition d’une nouvelle mineure d’Edgar Allan Poe. S’il est amusant de publier un texte d’une inspiration de King dans un recueil en hommage à ce dernier, on regrettera cependant que Le cœur révélateur est finalement assez mineur et ne dit pas grand-chose sur la qualité exceptionnelle de l’œuvre de Poe.

L’amour d’une mère, de Brian Jones Freeman, est quant à lui assez amusant, mais a le défaut de reposer, comme le genre l’oblige souvent, uniquement sur sa chute. A l’instar de La danse du cimetière, évoqué plus haut, le problème réside dans le fait que lorsque cette chute est prévisible, l’impact du texte en prend directement un coup. Reste une démonstration maligne, mais un peu veine. Enfin, l’anthologie se conclut sur ce qui est le deuxième texte majeur du recueil et, à nouveau, un véritable hommage aux écrits de King. Le manuel du gardien, du suédois John Ajvide Linqvist est la seule nouvelle inédite spécifiquement rédigée pour l’anthologie. Le texte, nous comptant l’histoire d’un nerd qui se découvre une influence sur les autres à travers ses capacités de conteur/maître du jeu à D&D et autres JDR, est aussi horrible que bien menée. Flirtant volontiers avec Lovecraft, King et la cuture geek, Linqvist, que je ne connaissais absolument pas, parvient à dresser une galerie d’adolescents mesquins, médiocres, naïfs et revanchards, bref une galerie d’adolescents réalistes en quelques dizaines de pages. Sans oublier de faire progresser son récit et de surprendre son lecteur. Une superbe découverte.

Et il aurait sans doute mieux valu que Hans-Ake Lilja, qui éditait ici sa première anthologie, se tourne davantage vers la jeune scène de l’horreur européenne pour rédiger des inédits sanglants et menés tambour battant. Le propre d’une anthologie est toujours de mélanger le bon et le moins bon, mais le choix fait ici de prendre des textes mineurs des uns et des autres pour avoir quelques grands noms sur la quatrième de couverture ne donne pas à l’ensemble une qualité fantastique. Rapidement lue, l’anthologie ne restera donc pas dans les annales et on ne peut qu’espérer que son éditeur, si l’envie lui en reprend, se tournera davantage vers l’inédit que vers le recyclage sans grands liens avec l’objet même de l’hommage au cœur du projet : l’œuvre du grand Stephen King. Dommage, il y avait matière à exceller.

Les rivières de Londres

De Ben Aaronovitch, 2010

Le dernier apprenti sorcier, tome 1

Comme je suis un incorrigible optimiste, je me lance dans une nouvelle saga fantastique alors que j’en ai au minimum trois ou quatre en court sur ma PAL nocturne. Mais soit, il arrive un moment dans la vie où il est trop tard pour se corriger. Au tour de la saga du dernier apprenti sorcier, savant mélange entre un whodunit traditionnel et de la fantasy à l’humour désopilant pur jus (assez justement décrit par la presse comme la rencontre d’X-Files et Doctor Who, même un Harry Potter vs. Sherlock Holmes marche aussi), à son tour donc de me tomber dans les mains.

Précédé d’une bonne fanbase sur le net qui attend chaque nouvel opus comme le saint-graal, j’anticipais donc une lecture fun et accrochant. De fait, c’est plutôt un succès pour le côté fun. On ne s’ennuie pas une minute en suivant Peter Grant, flic métisse un peu distrait de la capitale londonienne, lorsqu’il se retrouve propulsé dans le domaine de l’étrange en devenant le nouvel assistant de l’Inspecteur Nightingale. Ce dernier lui explique bien vite que chez lui les nouveaux ne sont pas des assistants, mais bien des apprentis. Car Nightingale n’est pas un flic comme les autres : il a la charge de faire respecter la Loi (ou les vieux équilibres et autres pactes ?) dans le monde interlope du surnaturel.

Et, pas de bol, le livre s’ouvre sur un meurtre étrange. Il faudra donc pas mal de tact, de patience et de chance à Peter Grant et son mentor pour démêler le vrai du faux et mettre la main sur le fantomatique coupable de ce qui ressemble chaque jour de plus en plus à une affaire de meurtre en série de l’au-delà. Pour le côté fun, roller-coaster d’émotion, Les rivières de Londres remplissent donc parfaitement leurs promesses. Cependant, pour être honnête, j’ai encore un peu de mal à accrocher aux personnages. Si Grant est l’exemple type de l’ingénu confronté à un monde qu’il ne connait pas et dont il doit assimiler les règles à grande vitesse et Nightingale est l’exemple type du mentor mystérieux qui lâche son savoir au compte-goutte, l’alchimie entre les deux fait encore largement défaut dans ce premier tome.

Je suis également gêné par le fait que même si la magie nous est décrite comme anormale dans le contexte de l’histoire, le secret de son existence semble quand même franchement mis à mal sans que cela ne pose plus de problème que cela. Le nombre de personnages croisés qui acceptent pratiquement sans broncher l’irruption du surnaturel dans leur vie me semble quand même franchement élevé si l’on pense nous faire croire que la magie est un art caché et inconnu du grand public. Et les protagonistes eux-mêmes de ne pas faire beaucoup d’efforts pour cacher leurs pouvoirs et leurs opérations spéciales. Peter lui-même, bien qu’assez cartésien, n’éprouve qu’une demi-surprise lorsqu’il rencontre un fantôme la première fois et ne semble pas plus bouleversé que cela lorsqu’il devient progressivement l’apprenti magicien éponyme de la saga.

Un autre aspect qui m’a fait un peu sortir du bouquin par moment est le fait que les « règles » de ce monde magiques semblent évoluer au fur et à mesure des besoins de l’enquête (et de l’auteur, par ailleurs). Si la pièce débute par quelques règles de magie simple et quelques sorts qui, par cette simplicité directement reconnaissable, donnent la mesure du pouvoir des protagonistes et si l’on reconnait aisément quelques figures du fantastiques (fantômes, vampires, extra lucidité), j’avoue que l’irruption de dieux ou demi-dieux à la manière des American Gods de Gaiman dans le récit noie un peu le poisson. Ceci sans mauvais jeu de mots, considérant que les Dieux en question sont les incarnations des rivières de Londres, qui donnent leur nom à ce premier opus.

Je pinaille probablement sur des détails, mais je suis un peu chagriné de constater qu’après les 400 pages de ce premier tome, la relation des personnages entre eux n’a que peu évolué et que le voile n’a finalement été que très partiellement levé sur un monde qui semble intéressant, mais que l’on découvre réellement par la petite porte. C’est probablement dû au choix du style de récit : l’angle policier nous fait découvrir un univers par sa lie et par ses anecdotes parfois triviales, mais d’autres s’en sortent mieux avec le même postulat de base. Ainsi, Pierre Pevel avec ses Enchantements d’Ambremer parvient à mes yeux à embarquer le lecteur beaucoup plus rapidement dans son monde de fiction.

Les rivières de Londres n’en demeure pas moins un bouquin fort agréable à lire. S’il y a quelques longueurs ici et là (notamment vers la fin, qui piétine un peu), le bouquin est réellement amusant, émaillé ci et là de références geeks judicieusement dispensées et trouve un bon équilibre entre les phases d’apprentissage et les phases plus noires et violentes consacrées à l’affaire qui nous occupe dans ce tome. Si les motivations finales du criminel me laissent un peu dubitatif, la mécanique de l’enquête est assez efficace et la progression de sa résolution assez bien dosée. Reste qu’il s’agit sans doute d’un exercice ingrat de débuter par un premier tome qui a pour difficile tâche de décrire un monde et des personnages nouveaux tout en faisant avancer l’intrigue : cela peut donner de brillantes réussites ou un bouquin un peu bancal où aucune des deux pistes n’est réellement creusée jusqu’au bout. Je situerai ce premier tome dans la deuxième catégorie, malheureusement. Espérons que le second souffre moins d’un placement de décors un peu décevant pour se pencher à fond dans son enquête en étoffant ci et là ses personnages et son lore interne.

Le livre des sœurs

D’Amélie Nothomb, 2022.

Lorsque Gallimard aura réussi, en 2048, à racheter les droits des romans d’Amélie Nothomb à Albin Michel pour les republier dans un modeste tome de la Pléiade (que les puristes de la littérature française se calment : j’use ici d’un procédé fictif de mise en situation, je ne dis pas que Nothomb a sa place à la Pléiade…), il sera intéressant de lire ce qu’un universitaire obscur d’une fac littéraire parisienne indiquera dans le forcément très fouillis appareil critique. Tentons l’exercice : « Avec Le livre des sœurs (2022), l’outre-Quiévraienne ne se cache plus derrière de faux-prétextes et des intrigues liminales ; elle assume finalement le fait que ses romans parlent d’elle et uniquement d’elle. Sans être une biographie à proprement parler et sans se perdre dans les délires narcissiques de l’autofiction, Nothomb franchi ici un cap en se mettant plus que jamais clairement en scène dans une intrigue imaginaire. L’excès de ses personnages n’a qu’un et un seul sens : montrer que les individus hors-normes ne sont pas forcément héroïque. Ils traversent la vie comme ils le peuvent, à l’instar de l’orpheline sentimentale Tristane, toujours à cheval entre le prosaïque d’une vie familiale dysfonctionnelle et la fuite en avant de sa mythopoïétique personnelle. »

Bon, ça ne sonne pas assez érudit, mais je fais ce que je peux à l’instinct. Le livre des sœurs, en effet, nous parle à nouveau d’Amélie et de ses liens familiaux. En y ajoutant le prétexte du désamour parental et d’une fascination adulescente pour le rock, Amélie nous parle d’elle-même et de sa sœur. Cela donne, comme toujours, un très court roman qui hésite entre le tragi-comique et l’anecdotique, sauvé, là aussi comme toujours, par un style et un rythme qui lui son propre. Ce n’est pas dans ce 31ème opus successif qu’elle innovera sur la forme, mais au moins laisse-t-elle transparaître de plus en plus clairement ses propres pathos au fil des livres. Moins délirant que Stupeur et tremblements, moins martial que ses dernières fournées, Le livre des sœurs marque un retour à une certaine légèreté du portait de personnages « bigger than life » qui ne vivent que des aventures ordinaires.

On suit donc la vie de l’effacée Tristane, qui par suite d’un désamour involontaire de ses parents, compense ce manque sur sa petite sœur, au point de former un duo fusionnel que seul le passage à l’âge adulte tempèrera. Il est étonnant d’ailleurs de lire un développement « raisonnable » de ses personnages, qu’on a connu souvent beaucoup plus absolutistes et jusqu’au-boutiste dans d’autres romans de Nothomb. Mis à part ceci, le livre est assez sage. Bien qu’il use, là aussi un grand classique pour l’auteur, d’une mort abrupte et imprévisible pour marquer le passage d’un acte à l’autre du récit classique que ce roman développe, il reste très sage et très linéaire. Et sans doute un poil prévisible. Notons pour finir une fin abrupte et assez mal exploitée. Si l’effet coup de poing recherché par Nothomb pour conclure ses trajectoires romanesques est bien là, le roman aurait certainement gagné à développer davantage la relation mère-filles et la déchéance finale de la première citée en une bonne dizaine de pages supplémentaires en fin de volume. Mais peut-être est-ce demander trop de normalité à un auteur qui semble de plus en plus chercher l’épure dans la forme courte que le développement dans une forme plus complexe ?