Restitutions – Une histoire culturelle et politique

De Pierre Noual, 2021.

Autre lecture professionnelle, achetée à la formidable librairie du Louvre, ce petit livre des éditions Belopolie, mis en œuvre par l’avocat et historien de l’art Pierre Noual, a le grand mérite d’être une excellente synthèse actuelle de la question de la restitution (des œuvres culturelles au sens large, patrimoine archivistique compris). Ne succombant pas aux dangers de l’émotion partisane, Noual débute son ouvrage par un mise au point linguistique en définissant le périmètre de ce qui est entendu par une restitution. Puis, dans des sections successives, il décrit, multiples exemples à l’appui, quelles sont les pratiques actuelles en termes de restitution dans le cadre général et dans les cas spécifiques des biens spoliés aux juifs avant et pendant la seconde guerre mondiale et dans celui des biens acquis illégitimement pendant les périodes de colonisation.

Si l’on peut regretter que l’ouvrage soit avant tout franco-français, développant par le menu les exemples historiques, de De Gaulle en passant par Hollande, Macron et Chirac, des différents gouvernements successifs, il a le mérite de poser les jalons de cette question essentielle pour les musées et autres lieux de patrimoines d’aujourd’hui. Cette question est autant scientifique ou juridique qu’éthique. Et si, pour cette dernière dimension, il sera laissé à chacun la liberté de fixer son propre compas, les questions juridiques dans un état de droit et les questions scientifiques dans une démarche de préservation du patrimoine et du savoir ne peuvent être négligées.

Pierre Noual, probablement partiellement sujet à une forme de déformation professionnelle, s’attarde assez longuement sur le chapitre juridique. Ce qui peut de prime abord sembler assez aride s’avère cependant réellement passionnant, le droit étant envisagé ici comme il se doit, c’est à dire comme un instrument dédié à la mise en place d’une politique particulière et non comme une fin en soi. Les exemples qui émaillent le texte de Noual sont également tous très pertinents et éclairent si besoin est la grande richesse de cette question et la difficulté d’avoir une position tranchée.

Il est et reste en effet compliqué d’avoir une position absolue sur les questions de restitution. Confronté à des demandes légitimes, les excuses du droit et de la non-ratification de certains traités internationaux sont souvent mises en avant pour préserver (conserver ?) une certaine idée des musées-mondes, telle qu’imaginée au XVIIIe et au XIXe dans notre bonne vieille Europe, alors (et toujours) bien centrée sur elle-même. D’un autre côté, une certaine forme de pression existe également de la part de pays tiers pour ne pas restituer, car ces tiers considèrent que l’accès à la culture ne pourrait pas être garanti dans de bonnes conditions dans le pays en question pour diverses raisons (un musée-monde de type européen n’aurait que peu de sens dans certains pays d’Afrique sub-saharienne, par exemple, pays où la fameuse « identité nationale » que nourrirait ce patrimoine retrouvé est également une construction du colon qui ne représente culturellement que peu de chose pour la population locale). Sans parler du piège du « musée à touristes » qui s’adresserait aux mêmes populations que celles des musées mondes, mais de manière encore plus élitiste, comme le démontre par exemple les spin-offs de différents musées français dans le Golfe.

Bref, la démonstration de Noual tend à convaincre le lecteur qu’il est face à une question complexe. Et si la situation est plus simple dans le cas de œuvres spoliées par le régime nazi (peu de démocrates iront s’insurger contre le principe de la restitution dans ces cas), les choses deviennent directement plus floues quand il s’agit de tracer les contours exacts de ce qu’on considère comme de la spoliation. Dans quelle mesure une vente « forcée » l’est-elle ? Quels sont les critères économiques, forcément fluctuant, à prendre en compte ? Faut-il se fier aux commerçants en arts ou avoir une vision plus historique et/ou sociologique ? Et qu’en est-il du patrimoine à valeur symbolique ? Ou à traçabilité complexe, puisque la recherche de provenance reste la question scientifique clé qui doit précéder une éventuelle décision politique de restitution ?

L’essai a l’intelligence de ne pas répondre à toutes ces questions, qui sont souvent contextuelle à une œuvre, un pays ou une occasion particulière. Elles dépendent également de l’éthique alors en vigueur, concept évoluant au fil des décennies, comme le démontre l’évolution de l’inacceptable au sein d’une même société. Il éclaire cependant le débat en posant quelques jalons de réflexion, quelques mécanismes de questionnement qui ne peuvent que contribuer à une approche moins conflictuelle et plus réfléchie d’un nécessaire positionnement du monde culturel face à l’évolution des sociétés. L’ajout, en annexe de l’essai, de quelques discours politiques et de quelques textes à portée plus normatives, illustre également cette évolution des situations et cette importance de l’instant dans une prise de décision rationnelle et scientifique. Un bel essai qui donne à réfléchir et aide à se construire une opinion personnelle, à défaut de produire une vérité absolue qui ne pourrait être qu’illusoire.

Que faire du passé ? Réflexions sur la « cancel culture »

De Pierre Vesperini, 2022.

Après un long hiatus, dû à une intense activité professionnelle, je reviens dans ces colonnes avec une lecture elle-aussi professionnelle. L’essai du philosophe, spécialisé dans l’antiquité, Pierre Vesperini a le mérite de jeter un œil neuf, un regard inédit sur un phénomène de société qui fait couler beaucoup d’encre depuis maintenant quelques années. Si son œil acéré et cultivé est en effet neuf, c’est qu’il n’est pas issu du sérail. Ce n’est pas un artiste ou quelqu’un directement lié au monde artistique qui s’exprime, mais bien un philosophe et qui plus est un philosophe peu intéressé par les débats modernes. Son point de vue d’amateur éclairé, de citoyen que le sujet frappe, tient donc davantage d’une démarche d’historien et de philosophe, intéressé par les mécanismes en jeu et leurs réminiscences dans l’histoire plutôt que par les avatars médiatiques récents, même si les deux aspects se nourrissent mutuellement pour former sa pensée, bien entendu.

Son court essai se compose donc de plusieurs textes. Le premier et le plus long a pour titre « Culture européenne et cancel culture« . Vesperini y démontre, nombreux exemples à l’appui, que le phénomène de la cancel culture n’est en rien nouveau. Au contraire, c’est un mécanisme vieux comme le monde que l’adage populaire résume encore le plus efficacement : ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire de la guerre. De fait, Vesperini multiplie les exemples, l’histoire de l’Eglise catholique en tête, pour démontrer que les mécanismes de la cancel culture (suppression d’une culture au nom de nouvelles valeurs, ostracisme, mise au ban de la société des derniers défenseurs, ridiculiser l’ancien quand on ne le condamne pas officiellement, etc.) ont de tout temps été utilisé et, en particulier, par « l’esprit » européen, depuis ses sources antiques jusqu’à nos jours. Il est difficile à dire, d’ailleurs, si c’est un trait particulièrement européen ou si Vesperini est touché à son tour par ses référents européocentristes qui passent sous silence les exemples qui pourraient être parlant dans d’autres culture (il serait intéressant, par exemple, de consacrer une monographie à ce phénomène dans la Chine antique, lorsqu’une dynastie prend le pas sur la précédente – d’autres exemple, comme l’effacement des cartouches des pharaons précédents par leurs successeurs, ne sont pas non plus repris alors qu’ils participent d’une même logique).

On décortique dans ce premier texte le phénomène sous cet aspect historico-philosophique qui rend la lecture de Que faire du passé ? un véritable plaisir édifiant. Vesperini a, de plus, la plume relativement agréable ce qui renforce la compréhension et l’intérêt de son propos. On y apprend par exemple que, par exemple, c’est bien l’Eglise catholique qui est à la fois la cause d’une presque disparition de la culture antique lors du Moyen-âge et, en même temps, à travers certains de ses érudits résistants, la raison de sa sauvegarde : en effet, quelques lettrés religieux n’ont pu se résoudre à brûler ces textes antiques, permettant ainsi leur redécouverte tardive à l’aube de la Renaissance.

La deuxième partie de l’ouvrage regroupe plusieurs textes plus courts que Vesperini a précédemment publié, notamment dans Philosophie magazine. Ces textes, au premier rang desquels Faut-il brûler les classics ? (dans l’acception anglo-saxonne du terme, à savoir les hautes études de littérature classique pour lesquelles la connaissance du grec et du latin sont un prérequis), sont probablement plus anecdotique. Ils reprennent en partie les démonstrations du premier texte par le prisme particulier de l’un ou l’autre évènement particulier au fil des ans. Le premier de ces textes, consacré comme je le précisais à l’avenir des études de littérature gréco-latine aux Etats-Unis en particulier, se construit autour d’un choix faire l’éducation américaine de ne plus rendre obligatoire la connaissance du grec et du latin pour poursuivre cette filière, arguant qu’il s’agit là d’une discrimination à l’entrée. Le propos de Vesperini est de démontrer que derrière cette décision socialement « légitimable » se cache en fait plus de mal que de bien. L’adoption de la mesure n’aurait pour effet que de ghettoïser encore davantage une catégorie d’étudiants qui deviendraient des classisistes de deuxième zone, ne pouvant espérer un emploi stable dans une profession qui n’en compte déjà que très peu. Le témoignage d’une universitaire afro-américaine active dans ce domaine, qui suit le texte de Vesperini, est à ce sujet fort parlant.

Si l’essai n’est donc pas révolutionnaire et ne fait qu’aborder la question de la cancel culture de manière finalement détournée, il développe des arguments et des idées novatrices que l’on n’a pas l’habitude d’entendre sur les nombreux plateaux télé et autres talk-shows où les invités, souvent peu inspirés, ressassent les mêmes poncifs sur la question. La remise en contexte historique du phénomène dans la construction des identités européennes est particulièrement pertinente et démontre que si le phénomène a un échos particulièrement large grâce aux médias sociaux aujourd’hui, il n’est en rien nouveau ni difficile à comprendre dans une perspective de construction des normes sociales (et, donc, culturelles). L’auteur de remarquer finalement que la différence la plus fondamentale entre les avatars les plus récents de la cancel culture et leurs exemples historique est que là où le phénomène était construit par une élite intellectuelle pour influencer une masse inculte, il est désormais construit, porté et défendu par une masse cultivée (si l’on s’en réfère à l’accès à l’éduction et à l’accès à la culture, justement). Différence qui ne peut qu’inquiéter ceux qui s’intéresse à la construction des nouvelles normes sociales et qui font confiance à l’intelligence dite collective.

Cthulhu – Survie en terres lovecraftiennes

D’Alain T. Puysségur, 2020.

Je suis assez jaloux d’Alain T. Puysségur. L’auteur, surtout spécialisé dans la littérature jeunesse inspirée de jeux vidéo et dans le game-design, a couché sur le papier une idée qui m’était venue il y a quelques années et qui me taraudait régulièrement depuis : ne pourrais-je écrire un bouquin qui prend le mythe de Cthulhu (et, plus largement, l’univers de Lovecraft et de ses descendants littéraires) pour vrai ? Pas de chance, Puysségur l’a fait avant moi. Son guide, dont il prête la paternité au journaliste fictif Ian Arzhel, entends éduquer le lecteur sur les horreurs abyssales et autres joyeusetés chitineuses issues de l’imagination de l’homme de Providence.

Et Puysségur de le faire avec un certain brio. Bel objet, édité par Bragelonne qui étend chaque année sa collection « Cthulhu » par des livres inédits en plus de republier les textes du maître, ce guide de survie se divise en différents chapitres abordant l’imaginaire lovecraftien par thématique, à la manière d’un manuel de jeux de rôle. Construit comme une progression vers l’horreur, le guide souhaite éveiller son lecteur aux réalités du monde des anciens dieux et aux horreurs et dangers qui le peuple. Tout son propos est de prévenir et d’éduquer, dans la mesure du possible, afin de préparer le chaland à reconnaître les signes du mythe et à s’en protéger de toutes les manières possibles.

Amusant et érudit, le guide aborde tous les immanquables auxquels on s’attend dans pareil ouvrage : les grands anciens, le monde du rêve, les créatures du mythe, les livres maudits ou encore les artefacts connus que l’on retrouve tant dans les écrits de Lovecraft que dans ceux de Howard, d’Ashton Smith ou encore de Belknap Long. Plus surprenant, on y lira aussi une forme de classification du héro lovecraftien, allant de la victime à l’enquêteur en passant par l’érudit ou l’amateur d’occulte. Cela, comme je le disais plus haut, rapproche ce guide d’un manuel de jdr qui ne dit pas son nom et peut donc aisément être utilisé dans ce cadre pour colorer une campagne de jdr dans un système de jeu non-dédié.

Le bouquin est par ailleurs richement illustré au-delà de sa couverture inquiétante. Les cahiers intérieurs sont ainsi dotés de marges assez larges qui permettent à l’auteur fictif, Ian Arzhel, d’annoter ses écrits, de les compléter par des dessins presque symboliques, par des citations ou des commentaires effrayés. Puysségur s’est même amusé à agrémenter ses pages de textes rédigés dans un alphabet fictif, dont la clé de lecture est livrée au gré des pages du bouquin. J’avoue ne pas m’être amusé à « traduire » lesdites annotations, mais ça donne certainement un cachet supplémentaire à l’objet-livre, qui bénéficie donc d’un travail d’édition méticuleux et agréable à l’oeil. Seul petit regret à ce propos : le choix de la fonte de caractère pour les annotations « manuscrites » qui est assez difficile à lire, certaines consonnes étant difficile à distinguer l’une de l’autre.

Dans l’ensemble ce guide est donc une lecture agréable qui, bien qu’elle n’apprenne pas grand-chose à l’amateur de Lovecraft, peut aisément constituer une porte d’entrée didactique et complète (malgré sa pagination finalement relativement modeste) sur l’œuvre de Lovecraft. Cela transpire à toutes les pages que Puysségur est un amoureux des textes de l’homme de Providence et qu’il a mis tout son cœur dans cet ouvrage qui se veut une référence dans le domaine. Les esprits chagrins (j’en suis, parfois) regretteront peut-être quelques faiblesses d’écriture et de style qui rendent parfois le propos redondant. Avec dix mises en garde similaires, on aura en effet compris l’idée. De la même manière, et même si c’est logique dans la logique interne du récit, il est un peu lassant de lire que la solution est systématiquement la fuite dès que l’on est confronté à une manifestation du mythe. Sur le fond, c’est certain, mais il n’était peut-être pas nécessaire de le répéter toutes les trois pages… Au-delà de ces faiblesses mineures, le bouquin reste une lecture agréable et une référence utile pour s’y retrouver dans l’œuvre de Lovecraft et ses multiples avatars, pour celles et ceux qui ne serait pas amateurs éclairés des textes d’origine.

The Adam Project

De Shawn Levy, 2022.

Le dernier né des longs produits par et pour Netflix rassemble pour la deuxième fois en deux ans Ryan Reynolds (qui les enchaîne…) et Shawn Levy, après le sympathique Free Guy en 2021. Le réalisateur des très efficaces La Nuit au Musée (mon gamin adore !) laisse cette fois-ci tomber le monde des jeux vidéo pour se lancer dans un film d’aventure de SF qui mêle histoires de famille, voyage dans le temps et vannes cyniques « à la Ryan Reynolds« . Autant dire que Netflix ne prend aucun risque : ils enchainent les valeurs sûres pour réaliser un carton en streaming. Et je suis sûr que ça marchera. Quelques semaines (mois ?) après le grand succès de Red Notice, le studio rempile donc à Reynolds qui fait du Reynolds et remplace The Rock par un gamin et Gal Gadot par Zoe Saldana. Pour la bonne mesure, ils ajoutent même Mark Ruffalo dans un rôle de scientifique un peu barré, pas tellement éloigné du Bruce Banner qu’il incarne dans la saga Marvel.

Et si le film est un divertissement inoffensif et sympathique – je ne me suis honnêtement pas embêter en le regardant, même si je n’ai jamais été le moins du monde surpris, le principal reproche que l’on peut lui faire est et reste son manque de courage. C’est l’exemple parfait d’un film de marketeux. Même s’il ne s’agit pas d’une adaptation, d’une suite ou d’un remake, ce qui est un bon signe, le film enchaîne les scènes convenues avec les gimmicks de réalisation qui ont marché dans tous les blockbusters à succès de ces dernières années. On dirait le résultat d’une séance de brainstorme entre consultants lambda qui ont écrit sur des post-its toutes les idées qu’ils aimaient bien chez Marvel, DC et autres dans la liste de 10 films le plus rentables au box-office depuis 2015. Ryan Reynolds qui lance vannes cyniques sur vannes cyniques ? Check ! Scènes de baston systématiquement soutenue par une musique un peu oubliée des années 80/90 qui désamorce le côté violent ? Check ! Conflit paternel larvé façon Spielberg ? Check ! Et on peut continuer la liste à l’envie.

Le résultat des courses est qu’on a un sous les yeux un film qui manque singulièrement d’âme. Lorsque Levy s’échinait sur les Nuits au Musée, au moins proposait-il un divertissement pour enfant sincère qui amenait quelques idées nouvelles. Même dans Free Guy, dont le mécanisme scénaristique complet est pourtant un copier-coller « cool » du Truman Show, Levy apportait quelques bonnes idées de mise en scène et exploitait mieux le côté benêt naïf de Reynolds. Dans cet Adam Projet, non, rien de cela. Le pauvre gamin qui joue la version jeune de Reynolds aurait pu être l’homme providentiel qui sauvait le film, insérant une dynamique amusante et enfantine dans la logique éculée du buddy movie, mais même là, ça ne fonctionne pas vraiment. Au-delà de ne pas être très agréable et pas très réaliste (son cynisme est excessif pour un gamin de 13 ans et n’est là que pour bien insister sur le fait que c’est Ryan Reynold jeune), son personnage n’apporte pratiquement rien au récit et assistera a la plupart des évènements comme un spectateur extérieur qui traîne dans les pattes de sa version adulte.

On ne va pas s’épancher sur les problèmes de scénar liés au voyage dans le temps, puisqu’il s’agit d’un divertissement qui n’a pas pour ambition de creuser son sujet. S’il fallait résumer l’intrigue, on pourrait se contenter de dire que Ryan Reynolds (le Adam du titre) vit dans un futur pas très amusant et revient dans le passé pour essayer de sauver sa femme disparue quelques années plus tôt dans les méandres du temps. Pas de bol, il revient en 2022 et non en 2018 et tombe sur son moi jeune, qu’il est obligé d’emmener avec lui alors même qu’il est poursuivi à travers le temps par une ancienne associée de son père qui contrôle la société future, visiblement. Ça tire dans tous les sens contre des méchants masqués des pieds à la tête pour les gamins, y’a des références à Star Wars pour et des blagues toutes les cinq minutes minimums pour papa et, enfin, des moments d’émotion pour faire pleurer madame. Le tout assez bien produit et filmé pour faire passer à tous un dimanche après-midi sympathique en famille.

Le problème est qu’en voulant plaire à se point à tout le monde, le film se noie dans une relative médiocrité scénaristique qui rend l’ensemble particulièrement oubliable. Je ne doute pas que le film va réaliser un carton sur la plateforme de streaming. Mais il est tellement intrinsèquement fade qu’il sera oublié dans quelques semaines seulement. Le genre de de film qu’on finit avec le commentaire suivant : « ah ! c’était sympa… bon… qu’est-ce qu’on regarde ?« 

Invincible – Saison 1

De Robert Kirkman, 2021.

A force de voir des memes nsfw sur Reddit cette dernière année, une séance de rattrapage motivée par la curiosité s’imposait. Et pour une fois, Reddit ne m’a pas déçu. Moi qui ne suis pas très comics, à l’exception de quelques titres généralement atypique, je me suis laissé piégé par la série de Robert Kirkman, qui est également l’auteur du comics duquel la série est adaptée, comics conclu il y a quelques années déjà et dispo en FR chez Delcourt (réédition en intégrale en cours, certainement sur ma liste d’achats dans les mois qui viennent !). Si la première demi-heure de l’anime laisse présager une série sympatoche de super-héros classiques, au centre de laquelle on retrouve Mark Grayson, un ado qui découvre ses pouvoirs en même temps les conséquences de ceux-ci, il est évident que c’est la fin du premier épisode qui fait le taf pour accrocher le téléspectateur. En résumé, c’est comme si le red wedding avait eu lieu dans le premier épisode de Game of Thrones.

Le père de Mark, Omni-man, est le super-héros le plus puissant sur Terre. Quel n’est donc pas notre surprise lorsque [SPOILER – en même temps… pas vraiment, puisque c’est pour ça que la série est mondialement connue !] ce dernier débite en petits morceaux sanglants le plus célèbre groupe de super-héros défendant la Terre sans avancer une quelconque raison et sans avoir le moindre remord… [/SPOILER]. Et c’est ce twist initial qui tient le spectateur en haleine dans pendant les 9 épisodes de 45 minutes qui suivent cet épisode d’ouverture magistral : cette menace latente, cette pression liée au fait que tout peut basculer sans raison dans le gore assumé le plus glauque sans s’embarrasser de justification.

Le brave Mark Grayson, qui officie bien vite sous le nom d’Invincible, sera donc amener à rencontrer ses semblables, des ados bourrés de pouvoir et … de problèmes d’ados. Et à affronter des méchants d’opérette, clichés de comics qui sont surtout là pour servir d’excuses au développement des quelques protagonistes principaux. Et la série est généreuse avec ces derniers : alors que la clé de l’histoire est et reste le conflit à venir entre Invincible et son père, Robert Kirkman prend pourtant le temps nécessaire à développer des personnages accessoires qui cherchent eux-aussi un sens à leurs actions et qui doivent apprendre à vivre avec les conséquences de leurs actes et de leurs choix.

Scénaristiquement malin, la série alterne à merveille entre le développement de personnage et le world-building anticipant sur la conclusion attendue dès ce traumatique premier épisode. Et Kirkman de ne pas épargner grand-chose à son héro : déconvenue amoureuse, naïveté dans les causes qu’il défend, amitié gâchée par des choix hasardeux, le tout dans un climat qui ne pardonne pas les faux pas. Pour faire un parallèle, c’est comme si la première saute d’humeur de Peter Parker était la cause directe du fait que Mary-Jane devait être ramassée à la petite cuillère après une chute de 80 étages de mains du Bouffon Vert… Pas de fin heureuse pour Mary-Jane, juste un beau puzzle sanglant pour les spécialistes du médico-légal.

Vous aurez saisi que la série n’est pas à mettre entre toutes les mains. Comme pour les Boys qui cartonnent en ce moment, on en moins dans du Marvel lambda que dans une version moderne des Watchmen. Loin de l’idéalisme d’un Superman ou de l’héroïsme masochiste d’un Batman, Invincible tient plus de l’ado paumé qui frime un temps et se prend les conséquences dans la gueule. Une version sous stéroïdes du « With great powers come great responsabilities » de Spiderman… Le seul aspect de la série qui me semble fort gentil et pudibond reste la manière dont le sexe est envisagé (à savoir : très peu). C’est pourtant un ressort qui aurait également pu être utilisé pour rendre l’ensemble encore plus réaliste et cru, mais il faut croire qu’Amazon et Kirkman ont malgré tout tablé sur un public plus large que le Rated-R que la série mérite par ailleurs (PS : je ne sais pas si le comic d’origine était plus franc du collier sur le sujet, donc c’est peut-être malgré tout une adaptation fidèle). Le fait que Kirkman ait même adapté quelques personnages pour répondre mieux aux enjeux de société actuels (la copie de Mark, lui-même eurasien, est désormais une black) ne gâche rien et s’inscrit parfaitement dans l’histoire, ajoutant sans doute une couche de lecture supplémentaire sans sembler forcé.

Question animation, Amazon ne s’est pas moqué de nous. La qualité reste constante tout au long des 10 épisodes : c’est fluide, percutant, coloré quand il faut, sombre quand cela est nécessaire. Je ne suis pas particulièrement fan du charachter design, mais je le suis rarement dans le monde du comics en général (je suis plus un enfant du manga et/ou de la bd francobelge que des comics us). Mais bon, je pinaille : ça marche très bien et, ce, sans tomber dans l’escalade musculeuse de certains dessinateurs des écuries Marvel et DC. Evidemment, les super-héros sortent d’un moule archi-connu, mais c’est également le principe d’une série qui se veut au moins partiellement méta, manipulant ses archétypes pour mieux surprendre le téléspectateur inattentif.

En résumé, Invincible est une très bonne surprise et l’un des rares animes que j’ai maté en quelques jours depuis de nombreuses années (sans doute une légère overdose il y a une quinzaine d’années a un peu tué l’attrait du média pour moi). C’est sans doute moins révolutionnaire que les mêmes laissent entendre (Watchmen reste quand même quelques crans au-dessus comme forme ultime d’anti-comics, n’en déplaise à certains), mais c’est tout aussi sûrement une série qui gagne à être connue et vue. Dans l’attente des saisons 2 et 3, financées par Amazon, mais qui semblent prendre un peu de temps à être développée si j’en crois cette grande boîte à rumeurs qu’est devenu Internet. Soyons patients.