Cthulhu – Survie en terres lovecraftiennes

D’Alain T. Puysségur, 2020.

Je suis assez jaloux d’Alain T. Puysségur. L’auteur, surtout spécialisé dans la littérature jeunesse inspirée de jeux vidéo et dans le game-design, a couché sur le papier une idée qui m’était venue il y a quelques années et qui me taraudait régulièrement depuis : ne pourrais-je écrire un bouquin qui prend le mythe de Cthulhu (et, plus largement, l’univers de Lovecraft et de ses descendants littéraires) pour vrai ? Pas de chance, Puysségur l’a fait avant moi. Son guide, dont il prête la paternité au journaliste fictif Ian Arzhel, entends éduquer le lecteur sur les horreurs abyssales et autres joyeusetés chitineuses issues de l’imagination de l’homme de Providence.

Et Puysségur de le faire avec un certain brio. Bel objet, édité par Bragelonne qui étend chaque année sa collection « Cthulhu » par des livres inédits en plus de republier les textes du maître, ce guide de survie se divise en différents chapitres abordant l’imaginaire lovecraftien par thématique, à la manière d’un manuel de jeux de rôle. Construit comme une progression vers l’horreur, le guide souhaite éveiller son lecteur aux réalités du monde des anciens dieux et aux horreurs et dangers qui le peuple. Tout son propos est de prévenir et d’éduquer, dans la mesure du possible, afin de préparer le chaland à reconnaître les signes du mythe et à s’en protéger de toutes les manières possibles.

Amusant et érudit, le guide aborde tous les immanquables auxquels on s’attend dans pareil ouvrage : les grands anciens, le monde du rêve, les créatures du mythe, les livres maudits ou encore les artefacts connus que l’on retrouve tant dans les écrits de Lovecraft que dans ceux de Howard, d’Ashton Smith ou encore de Belknap Long. Plus surprenant, on y lira aussi une forme de classification du héro lovecraftien, allant de la victime à l’enquêteur en passant par l’érudit ou l’amateur d’occulte. Cela, comme je le disais plus haut, rapproche ce guide d’un manuel de jdr qui ne dit pas son nom et peut donc aisément être utilisé dans ce cadre pour colorer une campagne de jdr dans un système de jeu non-dédié.

Le bouquin est par ailleurs richement illustré au-delà de sa couverture inquiétante. Les cahiers intérieurs sont ainsi dotés de marges assez larges qui permettent à l’auteur fictif, Ian Arzhel, d’annoter ses écrits, de les compléter par des dessins presque symboliques, par des citations ou des commentaires effrayés. Puysségur s’est même amusé à agrémenter ses pages de textes rédigés dans un alphabet fictif, dont la clé de lecture est livrée au gré des pages du bouquin. J’avoue ne pas m’être amusé à « traduire » lesdites annotations, mais ça donne certainement un cachet supplémentaire à l’objet-livre, qui bénéficie donc d’un travail d’édition méticuleux et agréable à l’oeil. Seul petit regret à ce propos : le choix de la fonte de caractère pour les annotations « manuscrites » qui est assez difficile à lire, certaines consonnes étant difficile à distinguer l’une de l’autre.

Dans l’ensemble ce guide est donc une lecture agréable qui, bien qu’elle n’apprenne pas grand-chose à l’amateur de Lovecraft, peut aisément constituer une porte d’entrée didactique et complète (malgré sa pagination finalement relativement modeste) sur l’œuvre de Lovecraft. Cela transpire à toutes les pages que Puysségur est un amoureux des textes de l’homme de Providence et qu’il a mis tout son cœur dans cet ouvrage qui se veut une référence dans le domaine. Les esprits chagrins (j’en suis, parfois) regretteront peut-être quelques faiblesses d’écriture et de style qui rendent parfois le propos redondant. Avec dix mises en garde similaires, on aura en effet compris l’idée. De la même manière, et même si c’est logique dans la logique interne du récit, il est un peu lassant de lire que la solution est systématiquement la fuite dès que l’on est confronté à une manifestation du mythe. Sur le fond, c’est certain, mais il n’était peut-être pas nécessaire de le répéter toutes les trois pages… Au-delà de ces faiblesses mineures, le bouquin reste une lecture agréable et une référence utile pour s’y retrouver dans l’œuvre de Lovecraft et ses multiples avatars, pour celles et ceux qui ne serait pas amateurs éclairés des textes d’origine.

The Adam Project

De Shawn Levy, 2022.

Le dernier né des longs produits par et pour Netflix rassemble pour la deuxième fois en deux ans Ryan Reynolds (qui les enchaîne…) et Shawn Levy, après le sympathique Free Guy en 2021. Le réalisateur des très efficaces La Nuit au Musée (mon gamin adore !) laisse cette fois-ci tomber le monde des jeux vidéo pour se lancer dans un film d’aventure de SF qui mêle histoires de famille, voyage dans le temps et vannes cyniques « à la Ryan Reynolds« . Autant dire que Netflix ne prend aucun risque : ils enchainent les valeurs sûres pour réaliser un carton en streaming. Et je suis sûr que ça marchera. Quelques semaines (mois ?) après le grand succès de Red Notice, le studio rempile donc à Reynolds qui fait du Reynolds et remplace The Rock par un gamin et Gal Gadot par Zoe Saldana. Pour la bonne mesure, ils ajoutent même Mark Ruffalo dans un rôle de scientifique un peu barré, pas tellement éloigné du Bruce Banner qu’il incarne dans la saga Marvel.

Et si le film est un divertissement inoffensif et sympathique – je ne me suis honnêtement pas embêter en le regardant, même si je n’ai jamais été le moins du monde surpris, le principal reproche que l’on peut lui faire est et reste son manque de courage. C’est l’exemple parfait d’un film de marketeux. Même s’il ne s’agit pas d’une adaptation, d’une suite ou d’un remake, ce qui est un bon signe, le film enchaîne les scènes convenues avec les gimmicks de réalisation qui ont marché dans tous les blockbusters à succès de ces dernières années. On dirait le résultat d’une séance de brainstorme entre consultants lambda qui ont écrit sur des post-its toutes les idées qu’ils aimaient bien chez Marvel, DC et autres dans la liste de 10 films le plus rentables au box-office depuis 2015. Ryan Reynolds qui lance vannes cyniques sur vannes cyniques ? Check ! Scènes de baston systématiquement soutenue par une musique un peu oubliée des années 80/90 qui désamorce le côté violent ? Check ! Conflit paternel larvé façon Spielberg ? Check ! Et on peut continuer la liste à l’envie.

Le résultat des courses est qu’on a un sous les yeux un film qui manque singulièrement d’âme. Lorsque Levy s’échinait sur les Nuits au Musée, au moins proposait-il un divertissement pour enfant sincère qui amenait quelques idées nouvelles. Même dans Free Guy, dont le mécanisme scénaristique complet est pourtant un copier-coller « cool » du Truman Show, Levy apportait quelques bonnes idées de mise en scène et exploitait mieux le côté benêt naïf de Reynolds. Dans cet Adam Projet, non, rien de cela. Le pauvre gamin qui joue la version jeune de Reynolds aurait pu être l’homme providentiel qui sauvait le film, insérant une dynamique amusante et enfantine dans la logique éculée du buddy movie, mais même là, ça ne fonctionne pas vraiment. Au-delà de ne pas être très agréable et pas très réaliste (son cynisme est excessif pour un gamin de 13 ans et n’est là que pour bien insister sur le fait que c’est Ryan Reynold jeune), son personnage n’apporte pratiquement rien au récit et assistera a la plupart des évènements comme un spectateur extérieur qui traîne dans les pattes de sa version adulte.

On ne va pas s’épancher sur les problèmes de scénar liés au voyage dans le temps, puisqu’il s’agit d’un divertissement qui n’a pas pour ambition de creuser son sujet. S’il fallait résumer l’intrigue, on pourrait se contenter de dire que Ryan Reynolds (le Adam du titre) vit dans un futur pas très amusant et revient dans le passé pour essayer de sauver sa femme disparue quelques années plus tôt dans les méandres du temps. Pas de bol, il revient en 2022 et non en 2018 et tombe sur son moi jeune, qu’il est obligé d’emmener avec lui alors même qu’il est poursuivi à travers le temps par une ancienne associée de son père qui contrôle la société future, visiblement. Ça tire dans tous les sens contre des méchants masqués des pieds à la tête pour les gamins, y’a des références à Star Wars pour et des blagues toutes les cinq minutes minimums pour papa et, enfin, des moments d’émotion pour faire pleurer madame. Le tout assez bien produit et filmé pour faire passer à tous un dimanche après-midi sympathique en famille.

Le problème est qu’en voulant plaire à se point à tout le monde, le film se noie dans une relative médiocrité scénaristique qui rend l’ensemble particulièrement oubliable. Je ne doute pas que le film va réaliser un carton sur la plateforme de streaming. Mais il est tellement intrinsèquement fade qu’il sera oublié dans quelques semaines seulement. Le genre de de film qu’on finit avec le commentaire suivant : « ah ! c’était sympa… bon… qu’est-ce qu’on regarde ?« 

Invincible – Saison 1

De Robert Kirkman, 2021.

A force de voir des memes nsfw sur Reddit cette dernière année, une séance de rattrapage motivée par la curiosité s’imposait. Et pour une fois, Reddit ne m’a pas déçu. Moi qui ne suis pas très comics, à l’exception de quelques titres généralement atypique, je me suis laissé piégé par la série de Robert Kirkman, qui est également l’auteur du comics duquel la série est adaptée, comics conclu il y a quelques années déjà et dispo en FR chez Delcourt (réédition en intégrale en cours, certainement sur ma liste d’achats dans les mois qui viennent !). Si la première demi-heure de l’anime laisse présager une série sympatoche de super-héros classiques, au centre de laquelle on retrouve Mark Grayson, un ado qui découvre ses pouvoirs en même temps les conséquences de ceux-ci, il est évident que c’est la fin du premier épisode qui fait le taf pour accrocher le téléspectateur. En résumé, c’est comme si le red wedding avait eu lieu dans le premier épisode de Game of Thrones.

Le père de Mark, Omni-man, est le super-héros le plus puissant sur Terre. Quel n’est donc pas notre surprise lorsque [SPOILER – en même temps… pas vraiment, puisque c’est pour ça que la série est mondialement connue !] ce dernier débite en petits morceaux sanglants le plus célèbre groupe de super-héros défendant la Terre sans avancer une quelconque raison et sans avoir le moindre remord… [/SPOILER]. Et c’est ce twist initial qui tient le spectateur en haleine dans pendant les 9 épisodes de 45 minutes qui suivent cet épisode d’ouverture magistral : cette menace latente, cette pression liée au fait que tout peut basculer sans raison dans le gore assumé le plus glauque sans s’embarrasser de justification.

Le brave Mark Grayson, qui officie bien vite sous le nom d’Invincible, sera donc amener à rencontrer ses semblables, des ados bourrés de pouvoir et … de problèmes d’ados. Et à affronter des méchants d’opérette, clichés de comics qui sont surtout là pour servir d’excuses au développement des quelques protagonistes principaux. Et la série est généreuse avec ces derniers : alors que la clé de l’histoire est et reste le conflit à venir entre Invincible et son père, Robert Kirkman prend pourtant le temps nécessaire à développer des personnages accessoires qui cherchent eux-aussi un sens à leurs actions et qui doivent apprendre à vivre avec les conséquences de leurs actes et de leurs choix.

Scénaristiquement malin, la série alterne à merveille entre le développement de personnage et le world-building anticipant sur la conclusion attendue dès ce traumatique premier épisode. Et Kirkman de ne pas épargner grand-chose à son héro : déconvenue amoureuse, naïveté dans les causes qu’il défend, amitié gâchée par des choix hasardeux, le tout dans un climat qui ne pardonne pas les faux pas. Pour faire un parallèle, c’est comme si la première saute d’humeur de Peter Parker était la cause directe du fait que Mary-Jane devait être ramassée à la petite cuillère après une chute de 80 étages de mains du Bouffon Vert… Pas de fin heureuse pour Mary-Jane, juste un beau puzzle sanglant pour les spécialistes du médico-légal.

Vous aurez saisi que la série n’est pas à mettre entre toutes les mains. Comme pour les Boys qui cartonnent en ce moment, on en moins dans du Marvel lambda que dans une version moderne des Watchmen. Loin de l’idéalisme d’un Superman ou de l’héroïsme masochiste d’un Batman, Invincible tient plus de l’ado paumé qui frime un temps et se prend les conséquences dans la gueule. Une version sous stéroïdes du « With great powers come great responsabilities » de Spiderman… Le seul aspect de la série qui me semble fort gentil et pudibond reste la manière dont le sexe est envisagé (à savoir : très peu). C’est pourtant un ressort qui aurait également pu être utilisé pour rendre l’ensemble encore plus réaliste et cru, mais il faut croire qu’Amazon et Kirkman ont malgré tout tablé sur un public plus large que le Rated-R que la série mérite par ailleurs (PS : je ne sais pas si le comic d’origine était plus franc du collier sur le sujet, donc c’est peut-être malgré tout une adaptation fidèle). Le fait que Kirkman ait même adapté quelques personnages pour répondre mieux aux enjeux de société actuels (la copie de Mark, lui-même eurasien, est désormais une black) ne gâche rien et s’inscrit parfaitement dans l’histoire, ajoutant sans doute une couche de lecture supplémentaire sans sembler forcé.

Question animation, Amazon ne s’est pas moqué de nous. La qualité reste constante tout au long des 10 épisodes : c’est fluide, percutant, coloré quand il faut, sombre quand cela est nécessaire. Je ne suis pas particulièrement fan du charachter design, mais je le suis rarement dans le monde du comics en général (je suis plus un enfant du manga et/ou de la bd francobelge que des comics us). Mais bon, je pinaille : ça marche très bien et, ce, sans tomber dans l’escalade musculeuse de certains dessinateurs des écuries Marvel et DC. Evidemment, les super-héros sortent d’un moule archi-connu, mais c’est également le principe d’une série qui se veut au moins partiellement méta, manipulant ses archétypes pour mieux surprendre le téléspectateur inattentif.

En résumé, Invincible est une très bonne surprise et l’un des rares animes que j’ai maté en quelques jours depuis de nombreuses années (sans doute une légère overdose il y a une quinzaine d’années a un peu tué l’attrait du média pour moi). C’est sans doute moins révolutionnaire que les mêmes laissent entendre (Watchmen reste quand même quelques crans au-dessus comme forme ultime d’anti-comics, n’en déplaise à certains), mais c’est tout aussi sûrement une série qui gagne à être connue et vue. Dans l’attente des saisons 2 et 3, financées par Amazon, mais qui semblent prendre un peu de temps à être développée si j’en crois cette grande boîte à rumeurs qu’est devenu Internet. Soyons patients.

La profondeur des tombes

De Thierry Di Rollo, 2003.

Cela faisait bien des années que je n’avais pas relu du Di Rollo. Pourtant, son style enjoué, sa plume picaresque et l’humour omniprésent font de ses œuvres de vraies parties de plaisir ! … Naaaaan, je déconne. Ça ne rigole pas des masses, dans les romans de Di Rollo. Que du contraire : le nihilisme, le désespoir et l’horreur à échelle humaine suintent de chacune de ses pages. Et La profondeur des tombes, comme son titre le laisse entendre, est du même tonneau que les autres bouquins que j’ai lu de lui.

Dans un futur postapocalyptique, causé non par la guerre mais par l’extinction des ressources énergétiques qui pousse collectivement l’humanité à retomber sur le charbon, quitte à détruire encore plus vite ce qui lui reste de futur, un homme seul erre au sens propre comme au sens figuré. Porion dans une mine dantesque où la vie humaine n’a que peu de prix, il est chargé de vérifier le travail des uns et des autres et d’amener un nouvel animal synthétique à un « fouineur » chargé de dénicher les nouveaux filons de centaines de mètres sous terre. Il remonte dans la nuit continue, sous un ciel continuellement sombre et dans le froid ambiant causé par la couche de pollution qui voile le soleil faiblard en journée, après avoir traversé des galeries pleines d’âmes en peine.

A la surface, la misère d’une vie solitaire et ses souvenirs l’attendent. Jusqu’au jour où il craque et détruit l’équilibre fragile de sa vie d’esclave lâche et complaisant pour poursuivre une idée, un rêve, dans l’U-Zone, cette grande région de non-droit qui entoure les quelques poches citadines anonyme où l’humanité survit petitement. Il sera accompagné par un ersatz de sa fille, sous la forme d’un répliquant détraqué en fin de vie mécanique et d’une hyène de garde, génétiquement créée et modifiée pour lui obéir en toutes circonstance. Que fera cet homme désespéré, brisé, lorsque son histoire personnelle le rattrapera ?

Et bien il faudra lire le bouquin pour le savoir. Court roman, dur, froid et désespéré, Di Rollo, comme Number Nine, Archeur ou encore La lumière des morts, signe un voyage presque personnel, une étude psychanalytique d’un homme brisé qui a perdu sa raison d’être et de vivre et qui s’enfonce toujours plus loin dans ses illusions. Di Rollo ne se dit pas influencé par K. Dick pour rien : il parvient à dresser en quelques paragraphes disséminés ci et là le portait d’un monde futuriste affreux dont les règles, parfois plus symboliques que pratiques, entraîne invariablement le protagoniste dans une descente aux enfers où souvenirs et présent, où réalité et fictions se mêlent dans un flou violent et presque absurde. Désespérément beau, Di Rollo a également le sens de la fulgurance et la capacité à toucher son lecteur avec quelques tableaux impressionnistes où les trajectoires de vie se croisent et s’éteignent.

A réserver à ceux ne s’enfoncent pas eux-mêmes dans des spirales négatives lorsqu’ils lisent celle d’un autre. Et à classer dans ce genre finalement très française du postapocalyptique personnel, psychologique et pratiquement absurde (le Mondocane de Barbéri m’est revenu en tête à plusieurs moments). Un bon roman, pour autant qu’on est sensible à ce que Di Rollo tente de démontrer. Et pour autant qu’il tente effectivement de démontrer quelque chose et pas simplement de plonger son lecteur dans une expérience de l’absolu, sans concession à la bienveillance ou même au récit en tant que tel.

Trolls & Légendes

Edité par Valérie Frances, 2015.

Après un long hiatus, il est temps de revenir à ces colonnes pour partager à nouveau avec vous (et avec moi-même) mes impressions de lecture. Même si j’ai un peu moins lu ces derniers mois, pris par des activités professionnelles chronophages, je n’en ai pas moins allongé la liste des œuvres à propos desquelles je voulais écrire quelques paragraphes. Et quoi de mieux, pour reprendre le chemin de la publication en ligne, qu’un recueil de nouvelles édité par ActuSF en marge du salon de la fantasy belge, le si bien nommé Trolls et Légendes, se tenant chaque année à Mons et rassemblant des auteurs, des joueurs et des musiciens pendant quelques jours autours de l’inévitable cuvée des trolls !

ActuSF et Valérie Frances ne se sont donc pas creusés bien loin pour le titre de l’anthologie, ni pour son contenu. Ce Trolls & Légendes (vous noterez le subtil remplacement du « et » par un « & ») est consacré… aux trolls ! Et c’est ma fois une créature des légendes nordiques qui a bien peu de place dans la fantasy moderne, donc pourquoi pas. Sont convoqués à la table des auteurs ce que la fantasy francophone, invitée à l’édition 2015 dudit festival, faisait de mieux. Pas encore de Stefan Platteau, le régional de l’étape, à l’époque, mais quand même du beau monde. Développons comme il se doit cet avis texte par texte, auteur par auteur.

On débute donc l’anthologie avec le très sympathique Sous les ponts de Paris, de Pierre Pevel. L’auteur des Enchantements d’Ambremer, des Lames du Cardinal ou encore de Haut-Royaume, nous ramène donc dans le Paris des Merveilles de son héro dandy Hyppolyte Griffont et de sa fantasque égérie Isabel de Saint-Jil. Il est question ici d’une révolte des trolls de Paris, qui s’assurent depuis des siècles parfois que les Parisiens puissent traverser la Seine sans encombre à toute heure du jour ou de la nuit. Révolte causée par le peu de considération que la mairie ou la cours de la Reine du Ppeuple leur témoigne, allant même jusqu’à ne pas leur verser le salaire promis lorsque le monde réel et Ambremer ont trouvé un équilibre plus ou moins stable voilà quelques décennies. Texte malin, notamment dans sa manière de lié la personnalité des trolls à l’âge des ponts parisiens, on reconnait aisément la patte amusée et légèrement surannée de Pevel. Ceux qui aiment sa steampunk-fantasy stylisée seront convaincus. Les autres trouveront peut-être cette première nouvelle un peu vide, au-delà de son charme suranné intrinsèque…

D’azur au troll d’or, de Claudine Glot, appartient quant à lui davantage au style du conte que de la nouvelle. La cocréatrice et présidente du Centre de l’imaginaire arthurien (où j’avais acheté le très complet et intéressant La légende du roi Arthur lors d’un voyage en Bretagne), signe ici un texte précieux où un jeune chevalier en quête de gloire charme bien malgré lui par son chant une trollesse qui n’hésitera pas à le suivre sa vie durant. Nostalgique et maîtrisé dans sa forme comme dans son message, ce conte mélancolique offre une vision assez classique du troll des légendes en restant très agréable à lire.

Le troisième texte est signée par la toujours très brillante Estelle Faye. La montagne aux trolls nous emmène dans la vie d’une jeune femme qui, un peu par hasard, se retrouve conservatrice dans un musée régional perdu au fond des Vosges. C’est la fascination pour un retable, sombre et dont la provenance semble intraçable, qui force pratiquement la jeune femme à changer de vie et opter pour cette semi-retraite ascétique, ponctuée par de rares contacts avec les villageois de son âge qui, bien qu’ils l’apprécient, gardent une certaine distance malgré les années qui passent. Mais notre protagoniste fini par apprendre que ce retable n’est peut-être pas ce qu’il parait être au premier regard et que sa fascination peut s’expliquer par des phénomènes qui dépassent le sens commun. Superbe nouvelle, je retrouvais ici avec plaisir la plume d’Estelle Faye, toujours aussi délicate et frappante à la fois. Clairement l’un des meilleurs textes de l’anthologie.

Yamadut, de Cassandra O’Donnel, n’est malheureusement pas du même tonneau. Même si le texte propose un twist final amusant, j’ai eu du mal à m’investir dans le texte. Ecrit comme une courte aventure indépendante de l’héroïne d’une série au long cours de son auteur, connue pour ses séries de fantasy à destination des jeunes femmes, elle part du principe que l’on connait qui est la protagoniste principale de la nouvelle et quels sont ses pouvoirs/sa nature. Ce n’est pas mon genre, même si j’admets volontiers que le texte est plutôt bien tourné. Le cinquième texte, Seulement les méchant, de Jean-Luc Marcastel, est quant à lui une surprise. Si le texte débute comme un polar hard-boiled, on se rend vite compte que l’inspecteur retord qui enquête sur le meurtre affreux d’une jeune femme a affaire un suspect d’une autre « nature » que celle à laquelle il s’attendait. Relecture moderne du troll, amusante malgré le prétexte assez sombre de l’enquête, l’auteur à l’intelligence de jouer avec le fait que le monstre n’est pas forcément celui que l’on croit. Amusant, mais qui tient surtout sur son concept.

Le texte suivant est pour moi le second grand texte de l’anthologie après la contribution d’Estelle Faye. Une créature extraordinaire, de Magali Ségura, nous plonge dans la Scandinavie natale des trolls, à l’époque, idéale pour un récit de fantasy, des vikings. On y suit une jeune fille qui, suite à une dispute avec sa mère, décide de fuir son village et rejoindre sa tante à quelques kilomètres de là pour entamer une nouvelle vie. Elle chute cependant dans une caverne dont elle ne sait ressortir où elle rencontrera un monstre de légende qui l’aidera bien malgré lui à grandir. Coming of age story simple et touchante, la plume de Ségura et le portrait subtil et complexe qu’elle esquisse en quelques paragraphes de ses protagonistes porte la nouvelle à merveille. Au-delà du conte fantastique, on a un texte qui parle avec des mots juste de la relation mère-fille, du passage l’âge adulte et du deuil. Un petit bijou à découvrir de toute urgence.

L’excellent Adrien Tomas signe le texte suivant : Le troll de sa vie. On retombe dans le polar avec un texte qui mêle avec un amusement certain humour et action. Et autant j’aime l’auteur pour son côté percutant et sans concession, autant j’ai trouvé qu’il cabotinait un peu dans cette nouvelle sympathique mais oubliable. Les effets de manche sont peut-être un peu gros et ses personnages et situations sont trop rapidement expédiés pour créer un véritable intérêt chez le lecteur. La nouvelle aurait sans doute gagné à s’étendre au format d’un roman (à la condition de prendre un prétexte d’enquête un peu plus sérieux/complexe, sans doute !)

Dans un genre aussi brut et expéditif, le texte suivant, Le mythe de la caverne, de Gabriel Katz, est nettement plus marquant. Il aurait trouvé sa place sans rougir dans l’anthologie Vauriens de Gardner Dozois, aux côtés des auteurs de dark fantasy américaine célébrés de par le monde. On y suit une bande de mercenaires sur le retour, des anciens des croisades, qui prend les armes une dernière fois, pour débarrasser le comté d’un horrible troll contre monnaie sonnante et trébuchante. Pas de bol, les choses ne se passent pas comme prévu et ils tombent sur une équipée adverse. Violant, brut et ironique. Parfait pour moi.

L’avant-dernier texte, Le mal caché, est signé par Patrick McSpare, davantage actif dans le monde la BD et de la littérature jeunesse. Le co-auteur des Hauts Conteurs avec Olivier Peru signe avec cette nouvelle le seul texte de l’anthologie qui nous met dans la peau d’un troll (si ce n’est pas clair dans les premières pages, on comprend assez vite le subterfuge), l’un des derniers de son espère, qui souhaite se venger contre les humains responsables de la mort de sa compagne. Joli texte, efficace, mais qui manque peut-être un peu d’aspérité pour rester réellement dans les mémoires.

L’anthologie se conclut sur un texte mineur de Megan Lindholm. L’américaine archi-connue et mère de la saga de L’Assassin royal était probablement un produit d’appel pour ActuSF à mettre en avant sur la couverture de l’anthologie pour attirer le chaland. Sa nouvelle, Vieux Tacot, se passe dans le futur, dans un monde où les voitures autonomes sont devenues la norme mais où les virus peuvent donner de drôle d’idées aux IA de nos automobiles. Au-delà du fait que le texte est relativement anecdotique, il est aussi notable qu’il s’agit là du seul texte de l’anthologie qui n’a… aucun rapport quelconque avec les trolls. J’ai essayé de vérifier si je n’avais pas raté une référence, si le vieux tacot dont il est question dans le titre de la nouvelle, chargé de l’IA de l’arrière-grand-père de la narratrice, pouvait être une allégorie quelconque du troll, mais… non. Du coup, cette dernière nouvelle, au-delà d’être assez faible, est complètement hors sujet dans cette anthologie.

En résumé, on a comme toujours un recueil qui enchaîne le bon et moins bon. C’est le propre de l’exercice. La qualité moyenne est cependant tout à fait honorable et je pinaille sur quelques faiblesses qui ne sont finalement qu’accessoires par rapport au fait d’avoir un recueil complet sur cette créature de l’imagine souvent délaissée dans la fantasy moderne qu’est le troll. Et si l’on ne tient pas compte de la dernière nouvelle, on a une variation de traitement qui rend l’anthologie très agréable (et très rapide) à lire. Verdict : si vous avez l’occasion de vous la procurer pour pas cher, comme je l’ai fait, n’hésitez pas, ça fait une soirée agréable avec au moins deux grands textes.